Holding animatrice : le charme de la complexité

Par : edicom

Par Jérôme Barré, avocat associé au cabinet Yards

Afin de répondre à des préoccupations à la fois juridiques, économiques, financières et fiscales, les sociétés françaises sont de plus en plus organisées sous forme de groupes de sociétés, à la tête desquelles se trouve une société holding détenant des participations dans plusieurs sociétés filiales. Intimement liée à la notion de « groupe » (qui demeure une notion économique et non juridique), la holding préfigure l’existence de tout groupe de sociétés. De nombreux régimes de faveur ont été institués par le législateur fiscal en vue de favoriser la création, la détention et la transmission d’entreprises.

A cet égard, qu’elles soient animatrices ou passives, les holdings détenant une ou plusieurs sociétés peuvent bénéficier de régime d’imposition favorable sous conditions : le régime mère-fille concernant l’imposition des dividendes, le régime des titres de participation concernant l’imposition des plus-values sur titres qualifiés comme tels au regard du droit comptable, le régime d’intégration fiscale concernant notamment l’imposition consolidée du résultat du groupe soumis à l’IS, et enfin l’assujettissement possible à la TVA pour les prestations de services rendues aux filiales.

Boîte à outils

La holding est en quelque sorte une « boîte à outils » qui permet à la fois de procéder à des investissements, à les organiser et parfois à les animer et à les gouverner.

Le pacte Dutreil, introduit par la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, est un mécanisme incitatif visant à permettre la transmission anticipée des entreprises dans un cadre familial. Ce mécanisme concerne les activités industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale (ICAAL). Au contraire des holdings passives ou pures qui sont celles dont le rôle consiste à détenir et gérer des participations, majoritaires ou minoritaires, dans d’autres sociétés, il s’agit des holdings animatrices qui peuvent être considérées comme éligibles au pacte Dutreil si elles animent des entités ICAAL.

En l’absence d’une définition légale et jurisprudentielle, la doctrine administrative considérait qu’étaient animatrices les sociétés pour l’application de plusieurs dispositifs « qui, outre la gestion d’un portefeuille de participation assurent la gestion de la trésorerie du groupe ; effectuent au profit des sociétés du groupe des prestations de services correspondant à des fonctions de direction, de gestion, de coordination ou de contrôle ; se livrent le cas échéant à des activités de recherche et de développement au profit du groupe ».

Puis, selon la jurisprudence, une holding animatrice est une « société holding qui a pour activité principale, outre la gestion d’un portefeuille de participations, la participation active à la conduite de la politique du groupe et au contrôle de ses filiales et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers, est animatrice de son groupe et doit, par suite, être regardée comme une société exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière au sens des dispositions de l’article 150-0 D bis, II-2°-b du CGI, éclairées par les travaux préparatoires de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 de laquelle elles sont issues » (CE plén., 13 juin 2018, n° 395495, Cofices).

La Cour de cassation considère « qu’une société qui a pour activité principale l’animation de filiales au sein desquelles elle détient une participation majoritaire, ne perd pas son statut de holding animatrice dans le cas où elle détient également une participation minoritaire dans une autre société, dont elle n’assure pas l’animation » (Cass. com., 19 juin 2019, n° 17-20.559 et 17-20.560, D).

Depuis l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2024, l’admission des sociétés holdings animatrices au régime Dutreil est légalisée. L’article 787 B du CGI précise qu’est considérée comme telle la société qui, outre la gestion d’un portefeuille de participations, a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe constitué de sociétés contrôlées directement ou indirectement exerçant une activité ICAAL et auxquelles elle rend, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers. Cette définition reprend la jurisprudence élaborée depuis plusieurs années.

Pour qu’un Pacte Dutreil puisse être conclu sur les titres d’une holding, il convient de valider, et le cas échéant de sécuriser, son caractère animateur. Si la holding n’est pas animatrice, il sera pertinent de signer un pacte Dutreil qui portera non pas sur les titres de la holding, mais sur les titres de ses filiales développant une activité opérationnelle.

Nous nous attacherons ici à analyser et développer quelques points pratiques qui, affinés par la jurisprudence, sont finalement d’application plus subtile et plus compliquée au fur et à mesure de l’ajout de ces précisions par les magistrats.

Organiser le pilotage stratégique des filiales

La première clé pour qu’une holding soit qualifiée d’animatrice réside dans sa capacité à contrôler et à diriger ses filiales. Ce contrôle ne se limite pas à une simple détention capitalistique, il implique une véritable participation à la stratégie du groupe.

Les décisions jurisprudentielles ayant statué sur ce sujet précisent que la holding animatrice doit participer « activement à la gestion des sociétés du groupe en prenant des décisions de politique commerciale ou d’orientations stratégiques », ou encore qu’elle « a la charge de la gestion stratégique du groupe et décide des orientations qui engagent celui-ci sur le long terme » (Cass. com., 10 décembre 2012, n° 12-23.720 ; Cass. com., 23 juin 2021, n° 19-16.351).

La holding ne doit pas être rémunérée au titre de la définition de la stratégie. Il est donc nécessaire que la holding animatrice prenne elle-même des décisions concernant la gestion stratégique relative à l’activité opérationnelle de ses filiales. La doctrine administrative a récemment précisé que ce contrôle s’apprécie en fonction du pourcentage de capital détenu, des droits de vote et de la structure de l’actionnariat, sans que cela ne soit strictement lié à la majorité aux assemblées générales prévue par l’article L. 233-3 du Code de commerce (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n°55).

A la lecture de cette doctrine, les modalités de prise en compte de la structure de l’actionnariat dans ce contexte restent à préciser.

On relèvera que l’appréciation du contrôle a évolué. Auparavant, la jurisprudence considérait que ce contrôle se limitait à un contrôle juridique, c’est-à-dire aux droits de vote détenus par la holding, consolidés si besoin par un pacte d’actionnaires. Aujourd’hui, il s’agit également d’un contrôle matériel, la holding définissant la politique du groupe et vérifiant son exécution au sein des filiales. Contrairement à une holding purement financière, qui se contente de détenir des participations sans implication active, la holding animatrice doit donc être engagée dans la définition et la mise en œuvre de la politique du groupe.

C’est ainsi que la jurisprudence considère qu’une holding qui ne contrôle aucune filiale opérationnelle au moment du fait générateur de l’imposition ne peut être qualifiée de holding animatrice (Cass. com., 3 mars 2021, n° 19-22.397).

La cour d’appel de Paris a souligné que l’absence de contrôle effectif sur les filiales ou d’une stratégie claire imposée par la holding pouvait remettre en cause le statut d’animatrice (CA Paris, 13 mai 2024, n° 22/02881). En effet, dans cette affaire, la holding ne pouvait révoquer indirectement les membres du directoire des filiales ni imposer de décisions stratégiques. De plus, les rapports de gestion ne faisaient état d’aucune politique cohérente appliquée à l’ensemble des filiales.

Précaution à prendre

Mettre en place un double flux d’informations entre la holding et ses filiales. Non seulement la holding doit communiquer à ses filiales la politique à suivre, mais les filiales doivent accuser réception de la mission qui leur est confiée, mettre en œuvre la politique définie par la holding, puis rendre compte régulièrement de leur mise en œuvre et des résultats obtenus, telles un officier rendant compte à son général des missions qui leur ont été confiées (cf. illustration ci-contre).

Les « indices » à ne pas négliger

De multiples critères annexes requièrent également la plus grande vigilance pour apprécier la notion de holding animatrice de groupe.

Prestations de services

C’est notamment la question des prestations de services réalisées par la holding au profit de ses filiales. En effet, si la réalisation de prestations de services n’est ni nécessaire ni suffisante pour établir l’animation, mais elle peut jouer un rôle complémentaire dans l’appréciation globale de l’activité de la holding. Des prestations dans des domaines tels que le développement commercial, le marketing ou encore la gestion financière peuvent, par exemple, renforcer la preuve d’une animation réelle et effective du groupe. La production de procès-verbaux d’un organe social de la holding, tel que le conseil d’administration ou le directoire, constitue souvent un précieux instrument de preuve pour illustrer son rôle d’animation au sein du groupe, lorsqu’ils reflètent les débats et les décisions portant sur la stratégie des filiales.

Dans cette optique, une holding disposant d’un organe de direction collégial peut avoir un peu plus de poids qu’une holding dirigée par un président ou un dirigeant unique. Il convient d’éviter une certaine schizophrénie du dirigeant qui pourrait s’adresser à lui-même. La présence d’administrateurs indépendants dans les organes sociaux de la holding, de responsables de la définition de la stratégie du groupe ou encore d’un comité stratégique délibératif constitue aussi un élément intéressant. La holding montre ainsi sa démarche, pour autant qu’elle soit effectivement suivie d’effet.

Externaliser ces prestations à des entités tierces affaiblit voire annihile la qualification de holding animatrice. La jurisprudence considère qu’une holding qui confie à une entité indépendante la réalisation de prestations de services, qu’elle exerçait jusqu’alors à destination de ses filiales, atteste du fait qu’elle s’est déchargée de son caractère animateur (CA Pau, 13 octobre 2015, n° 14/00362). Par ailleurs, une mauvaise application des conventions de services, par exemple en l’absence de moyens matériels et humains suffisants permettant à la holding d’assurer ces prestations, peut également remettre en question ce statut (Cass. com., 23 juin 2021, n° 19-16.350).

Précaution à prendre

Si la réalisation de prestations de nature administrative, comptable ou juridique présente un intérêt moindre pour caractériser l’animation, il en va différemment lorsque ces prestations favorisent le contrôle des filiales par la holding. Il serait opportun de favoriser des prestations de développement commercial, de R&D, ou en lien avec d’éventuels projets de recherche et de développement pour renforcer l’animation, tout en veillant à disposer des moyens nécessaires pour les réaliser effectivement.

Départ de l’animation

Doit également être abordée avec attention la question du départ de l’animation car le caractère animateur de la holding doit être caractérisé au plus tard au moment de la donation ou de la succession. Il est donc nécessaire de respecter cette condition d’antériorité.

A cet égard, la jurisprudence précise que l’animation ne peut être considérée comme telle si la holding est créée trop peu de temps avant la transmission des titres et n’a pas accumulé les preuves permettant de démontrer qu’elle a effectivement un statut d’animatrice du groupe (Cass. com., 11 mai 2023, n° 21-16.923).

De la même manière, les actes juridiques essentiels à la mise en œuvre d’une activité d’animation du groupe conçus moins de trois mois avant un acte de donation-partage doivent être regardés comme concomitants à l’acte de donation, et n’établissent pas l’effectivité de l’animation (Cass. com., 21 juin 2011, n° 10-19.770). Toutefois, la condition d’effectivité de ce rôle d’animation à la date de la donation ne saurait conduire à exiger que la holding considérée justifie d’actes d’animation accomplis de manière régulière depuis un laps de temps suffisant, ce qui reviendrait à exclure du dispositif légal d’exonération susvisé toutes les sociétés holding nouvellement créées.

Pour ces dernières, la jurisprudence précise que la condition d’effectivité de l’activité d’animation doit être regardée comme satisfaite lorsqu’à la date de la donation, la holding se trouve contractuellement engagée envers ses filiales à exercer ce rôle d’animation (Cass. com., 18 mars 2020, n° 17-321.233, D).

L’animation doit ainsi être continue et documentée pour convaincre l’Administration fiscale et les juridictions compétentes de son effectivité. Autrement dit, il faut être attentif à son cycle de définition puis de mise en œuvre de la stratégie.

On retiendra qu’a minima, le message comprenant la stratégie doit avoir été reçu et accusé réception avant de considérer que la holding est animatrice.

Précaution à prendre

Elaborer une animation effective avant la transmission et une documentation probante attestant du caractère animateur de la holding.

La trésorerie

Nous nous souvenons que pour que les titres de la société soient éligibles au dispositif Dutreil, les actifs liés à l’activité opérationnelle doivent représenter plus de 50 % de l’ensemble de son actif. En effet, la doctrine administrative précise qu’il est admis qu’« une société exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de façon prépondérante lorsque le chiffre d’affaires procuré par cette activité représente au moins 50 % du montant de son chiffre d’affaires total et que la valeur vénale de l’actif brut immobilisé et circulant affecté à cette activité représente au moins 50 % de la valeur vénale de son actif brut total » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 § 20).

L’administration ajoute « la trésorerie affectée à l’activité du groupe » peut être prise en compte (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 § 55). Si cette mention de la « trésorerie affectée à l’activité du groupe » a été de nature à rassurer entreprises et praticiens sur l’épineuse question de la prise en compte de la trésorerie dans l’actif affecté au sens du régime Dutreil, il n’en demeure pas moins que l’appréciation de ce fameux caractère affecté de la trésorerie reste soumise à une appréciation in concreto. En effet, la présence d’une trésorerie excédentaire, voire grasse et pléthorique, sans affectation ni potentielle utilisation, ou définition d’utilisation, peut remettre en cause le caractère animateur de la holding.

Un simple projet d’investissement ne suffit pas à qualifier la trésorerie d’affectée à une activité professionnelle (Com., 11 octobre 2023, n° 21-24.760).

De la même manière, la présence de liquidités importantes, nettement supérieures aux charges courantes d’une entreprise individuelle, peut faire échec à l’exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit.  Au cas d’espèce, les liquidités provenaient pour partie de la succession de l’épouse du défunt, prédécédée, et aucun élément ne démontrait que le défunt, âgé de 86 ans, avait prévu de son vivant des investissements importants dans son entreprise (Cass. com., 9 février 2022, n° 20-10.753).

La trésorerie d’une holding animatrice peut être considérée comme un actif éligible au pacte Dutreil, à condition qu’elle soit nécessaire à l’activité du groupe, par exemple pour financer des projets d’acquisition, des développements futurs ou encore pour assurer la gestion du fonds de roulement. Ainsi, la clé pour conserver la qualité d’animatrice réside dans une gestion proactive et stratégique des liquidités, documentée et justifiable auprès de l’administration fiscale.

Précaution à prendre

Il serait avisé de limiter la détention de trésorerie superflue pour l’activité du groupe et de définir clairement les périmètres nécessaires en termes de fonds de roulement (BFR), de croissance externe et d’investissements. Il est essentiel de soutenir ces projets par des documents concrets tels que des due diligences, des lettres d’intention, ou encore par l’acquisition de filiales ou d’équipements indispensables à l’activité opérationnelle. Veiller à ce que la trésorerie permette à court terme de financer les charges d’exploitation de la société permettra de considérer qu’elle est réellement affectée à son activité opérationnelle.

Il convient dès lors de demeurer à la fois attentif à la vie de son entreprise, de son groupe, mais aussi de suivre l’actualité jurisprudentielle pour en tirer les éléments renforçant l’état d’animatrice de sa holding.

  • Mise à jour le : 28/10/2024

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