Eric Pichet (Impi) : trente années de formation
L’an prochain, l’Institut de management du patrimoine et de l’immobilier (IMPI) de Kedge Business School fêtera son trentième anniversaire, dont vingt-cinq années sous la direction d’Eric Pichet, l’un de ses fondateurs. L’occasion de le rencontrer pour observer les évolutions du marché des formations en gestion de patrimoine, mais aussi du métier de conseiller, le tout avec un regard prospectif.
Profession CGP : Votre formation, le mastère spécialisé IMPI-Gestion patrimoniale et immobilière de Kedge Business School, aura trente ans l’an prochain. Pourriez-vous revenir sur sa genèse ?
Eric Pichet : A la sortie d’HEC, j’ai commencé en Bourse chez Cholet Dupont, à l’époque une charge d’agent de change personnes physiques qui se rendaient tous les jours à la corbeille au palais Brongniart pour traiter les ordres. Je me suis rapidement spécialisé sur le marché des options qui venait de se créer en 1987. Au même moment, Arnaud Franel, le fondateur des éditions Sefi, m’a sollicité pour rédiger un livre sur le sujet, ouvrage qui mène toujours sa vie puisque la huitième édition est parue en 2018 (Guide pratique des options et du Monep 2018 – 8e édition, ndlr).
Mes premiers cours aux professionnels de la Société française des analystes financiers (SFAF) ont été une révélation pour moi, et j’ai décidé assez rapidement d’en faire mon métier. C’est ainsi qu’en 1993, avec Bernard Thion et Martin Hoesli, deux professeurs d’immobilier d’affaires, à l’époque à l’ESC Bordeaux, nous avons lancé l’IMPI. Modèles à l’appui, ils avaient constaté que les investisseurs institutionnels n’avaient pas assez d’actifs immobiliers dans leurs portefeuilles. De mon côté, j’apportais des compétences en finance de marchés et en fiscalité personnelle et patrimoniale. Nous avons donc créé ce mastère spécialisé avec une double spécialité : la gestion privée et l’immobilier d’affaires. Notre formation a reposé sur trois piliers qui font encore la force du diplôme :
- l’alternance entre le premier semestre plus théorique à Bordeaux et le second plus professionnel à Paris ;
- un équilibre entre la gestion de patrimoine et l’immobilier d’affaires qui représentent tous deux 50 % du contenu du programme ;
- et l’alternance entre les cours et l’immersion en entreprise, initialement sous forme d’un stage et maintenant exclusivement en apprentissage.
Quelques années plus tard, en 2000, j’ai pris la direction de la formation, au moment où se dessinait une convergence entre les deux métiers avec l’avènement de la pierre-papier. J’ai nettement renforcé les professionnels en activité dans l’équipe d’enseignants : ils composent aujourd’hui environ 80 % du corps professoral, les 20 % restants étant des enseignants-chercheurs qui donnent aux étudiants un indispensable cadre théorique. Et, dès 2002, l’IMPI a été accrédité par la Royal Institution of Chartered Surveyors (RICS), la prestigieuse association mondiale des professionnels de l’immobilier B2B, dont le siège se trouve sur la très chic place du Parlement à Londres.
Comment se différencie votre formation ?
Nous sommes la seule formation qui façonne des étudiants aux deux cultures, l’immobilier d’affaires et la gestion de patrimoine. Outre la forte présence de l’immobilier dans notre parcours, plusieurs autres caractéristiques singularisent l’IMPI. A mon sens, les formations universitaires sont souvent très, voire trop, théoriques car élaborées par de purs universitaires et des chercheurs. A l’inverse, de nombreuses Business Schools focalisées sur la rentabilité à court terme ne disposent d’aucun enseignant-chercheur permanent et ne font intervenir que des vacataires qui ne sont même pas ou plus en activité. A l’IMPI, le premier semestre permet de reprendre les bases théoriques grâce aux enseignants-chercheurs de Kedge, puis nos étudiants sont en immersion dans le monde professionnel, tous en contrat d’apprentissage puisqu’il s’agit d’un prérequis avant d’intégrer le programme. Au second semestre, de janvier à septembre, ils suivent des cours durant deux à trois jours tous les quinze jours sur le nouveau campus parisien de Kedge, cour Saint-Emilion.
Dernière distinction cruciale, l’IMPI est un pur mastère spécialisé labellisé par la Conférence des grandes écoles (CGE) et un véritable bac +6 : nous ne recrutons que des titulaires d’un master (bac +5) en gestion de patrimoine ou en immobilier et aucun étudiant en master 1.
Comment recrutez-vous vos étudiants ?
Le recrutement est très sélectif puisque, sur plus de trois cents candidatures nous n’en retenons que soixante-dix selon un système de filtres successifs. En phase d’admissibilité, nous éliminons la moitié des dossiers en vérifiant bien les compétences acquises dans nos deux domaines d’expertise. Lors de l’entretien, que je mène toujours personnellement avec un diplômé IMPI, nous attachons une grande importance aux compétences interpersonnelles, comportementales et sociales des étudiants dans le monde professionnel. Il est d’ailleurs rassurant de constater que la plupart des candidats maîtrisent de mieux en mieux les codes de l’entreprise grâce à leurs années d’apprentissage antérieures. A la différence de mes collègues des universités, nous attachons peu d’importance aux notes des années précédentes, une question de culture sans doute.
Si notre formation est de plus en plus attractive, c’est indéniablement grâce à la loi Macron de 2018 qui a retiré le pouvoir aux régions peu compétentes à notre niveau d’études et considérablement élargi l’apprentissage, désormais la seule voie d’accès au sein de notre cursus, ce qui permet à l’étudiant d’être bien rémunéré et de voir sa formation entièrement prise en charge. A ce sujet, la fin largement anticipée de la prime d’apprentissage de 6 000 euros par étudiant accordée aux employeurs en 2025 sera un révélateur et devrait contribuer à faire le tri parmi les trop nombreux troisièmes cycles en gestion de patrimoine.
Quelles sont les attentes de vos étudiants ?
Ils sont nombreux à débuter leur carrière dans un grand établissement bancaire, comme assistant banquier privé ou banquier privé, plus rarement comme ingénieur patrimonial car les postes proposés sont bien moins nombreux. Or, depuis une dizaine d’années, je constate une désaffection d’une partie des diplômés pour le monde bancaire, même s’il reste de loin le principal employeur. Le poids des tâches administratives et des reportings est devenu colossal, à tel point qu’ils estiment souvent ne pas pouvoir exercer vraiment leur métier. Même en banque privée, les jeunes diplômés ont le sentiment désagréable de ne pas être des conseillers, mais des vendeurs de produits… Cela est très frustrant et occasionne un taux de démission élevé. C’est pourquoi les bons cabinets de CGP, s’ils restent moins généreux en termes de rémunération – nos étudiants ont un salaire brut annuel, primes comprises, d’au moins 50 000 euros bruts à la première embauche – redeviennent attractifs.
L’évolution de carrière repose généralement sur le niveau des clients suivis, même si quelques-uns s’orientent vers des postes de management dans l’univers du conseil patrimonial. En immobilier, la demande reste forte depuis plus de cinq ans, car portée par la vague de collecte qu’a connue la pierre-papier avant de chuter récemment. Surtout, les métiers de l’immobilier, apparus il y a une vingtaine d’années, comme l’Asset Management, le Fund Management ou au sein des directions immobilières en pleine évolution, sont peu sensibles aux soubresauts de l’immobilier résidentiel et ont toujours besoin de professionnels compétents. Les rémunérations en immobilier d’affaires sont toujours plus élevées qu’en banque privée et les évolutions plus rapides.
Pour quelles raisons l’approche produitcontinue-t-elle de perdurer dans les établissements ?
Dans le monde bancaire, la marge de manœuvre des conseillers se réduit sous l’effet de l’omniprésence du réglementaire et des processus internes de contrôle, de la standardisation des tâches et d’un business model toujours axé sur les commissions. Le métier reste rentable pour les banques, exige très peu de fonds propres et souffre peu de la concurrence des FinTechs du fait de la méfiance des clients. Malheureusement, trop souvent les établissements privilégient les produits les plus rentables à ceux les plus adaptés aux clients… Et la conformité verrouille tous les processus de décision par peur des risques. La dimension conseil n’arrive vraiment qu’au niveau de la gestion de fortune qui permet de suivre des clients dotés d’un patrimoine financier d’au moins 5 millions d’euros ou, bien entendu, pour les Ultra High Net Worth Individuals en family office au-delà de 30 millions d’euros de gestion.
Le réglementaire prendrait donc le pas sur l’intérêt du client…
C’est manifeste, alors même qu’il est censé protéger le client ! En vingt ans, la conformité qui ne figurait pas dans le fameux modèle des cinq forces de Porter, est passée de la sixième force à la première dans le secteur. Aujourd’hui, tout est contrôlé par la compliance, y compris la formation et les méthodes de vente. Ces services ont désormais un pouvoir très puissant sur les opérationnels.
Sommes-nous allés trop loin ? Sans doute, mais c’est la façon dont nous appréhendons la réglementation qui est peut-être inadéquate. Sur ce point, les échanges que nous avons régulièrement avec les Anglais de la RICS dans le cadre de notre accréditation sont très utiles, car si leur vision de la réglementation est fondée sur des grands principes, elle repose aussi sur le principe « comply or explain » (« appliquer ou expliquer »), soit vous appliquez le principe soit vous motivez les raisons de sa non-application au cas particulier. Sous l’influence américaine, nous appliquons, en France et en Europe continentale, des règles et des procédures qui visent trop souvent à bien cocher toutes les cases, sans s’interroger sur la finalité de l’exercice.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la profession de CGP ?
Les CGP ont des coûts fixes qui se sont envolés avec la réglementation et qui expliquent, en grande partie, la consolidation actuelle du marché. Parallèlement, les fournisseurs, en particulier les assureurs, se concentrent sur les gros acteurs et réduisent le nombre de leurs partenaires par souci d’économies d’échelle. Nous sommes ainsi passés d’une logique de CGP qui exerçait un métier de profession libérale, mais rémunéré sous forme de commissions des fournisseurs, à une logique industrielle. Je suis persuadé que l’avenir du métier de CGP ira vers une facturation en honoraires, comme les avocats ou les experts-comptables, mais cette logique passe encore mal chez les clients qui préfèrent inconsciemment des commissions élevées mais indolores…
On note également l’émergence des cabinetsde family office…
Un terme bien galvaudé et trop souvent utilisé uniquement à des fins marketing. Certaines banques utilisent même ce terme. Mais par essence une banque ne peut pas proposer de service de family office, c’est totalement antinomique. Le family officer est une profession libérale par nature, comme un médecin généraliste : il n’a aucune autre dépendance que celle d’être liée à son client et doit s’en tenir à un strict secret professionnel qui ne peut exister chez un salarié d’une banque. Le métier reste mal connu en France, mais l’Association française du family office créé en 2001 par Bernard Camblain, un professionnel chevronné, fait un travail utile pour structurer et faire reconnaître le métier.
S’agissant de la matière patrimoniale, quelles observations faites-vous après trente années d’expérience ?
J’observe que les passifs sont souvent oubliés ou peu analysés. A titre d’exemple, ce n’était souvent qu’au moment de la déclaration d’impôt que les assujettis prenaient conscience du montant du passif d’une pension alimentaire… Quant aux actifs, ils sont vus d’une façon trop réductrice.
A mon sens, il faut analyser le patrimoine en trois grandes catégories d’actifs. En premier lieu, le patrimoine matériel, en second lieu le patrimoine financier et en troisième lieu le patrimoine immatériel. Ce dernier est très important et très mal estimé par les conseillers. A titre d’exemple, une retraite de cadre supérieur de 5 000 euros prise à soixante-cinq ans représente un actif de plus de 1,5 million d’euros. C’est un patrimoine très utile pour le client, non taxé et que l’on peut optimiser, notamment avec le rachat de points, tout en étant non transmissible. A ce jour, les seuls professionnels qui s’y intéressent sont les conseillers en reconstitution de carrière qui sont en plein boom. J’y ajoute volontiers ce que Bourdieu qualifiait, à juste titre, de capital social (la famille, le réseau) et culturel, mais celui-ci ne se valorise pas.
A l’IMPI, les étudiants se créent un formidable esprit de promotion au cours du premier semestre à Bordeaux. Ils se dotent ainsi, sans même en avoir conscience, d’un puissant réseau qui leur servira tout au long de leur carrière professionnelle, comme j’ai pu le constater depuis trente ans désormais…
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