Indispensable prévoyance
Par Sonia Elmlinger, directrice générale de Lilycare
Sur la totalité des entreprises qui disparaissent en France chaque année, un tiers est dû à une indisponibilité temporaire ou définitive du chef d’entreprise. Ces chiffres sont importants et alarmants, sans compter le coût social évident pour la société tout entière. Sur les quatre millions de travailleurs indépendants, seulement un tiers est couvert par un contrat de prévoyance. C’est donc un enjeu national majeur de les protéger en cas d’aléa de la vie.
Le contrat de prévoyance propose une couverture contre les risques ayant les conséquences les plus graves, tels que l’incapacité, l’invalidité ou le décès. Il vient en complément des prestations fournies par le régime obligatoire auquel est affilié le travailleur non-salarié (TNS). Celles-ci se révèlent, en effet, souvent insuffisantes pour faire face aux répercussions financières liées à une maladie, un accident ou un décès.
Pour un travailleur indépendant ou un chef d’entreprise, l’assurance-prévoyance lui permet de se protéger, ainsi
que sa famille, contre les imprévus de la vie (accident, maladie, hospitalisation), notamment en lui garantissant le maintien de ses revenus s’il est dans l’incapacité de travailler.
Le régime obligatoire de prévoyance du TNS dépend de son secteur d’activité. Selon les cas, ce peut être la Sécurité sociale des indépendants (SSI), une des dix caisses de la CNAVPL (Cipav, CARMF, CARPV, CAVP…) ou la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) pour les avocats par exemple.
Il existe de nombreuses caisses de régimes de prévoyance en France et autant de particularités en fonction des diverses professions. C’est un vrai casse-tête !
Les couvertures pour les TNS
La garantie arrêt de travail
Un arrêt de travail dû à une maladie ou un accident entraîne une perte de revenus pour le travailleur non salarié. Grâce à la couverture prévoyance, il pourra percevoir des indemnités journalières (IJ) en cas d’incapacité temporaire de travail (ITT), en complément de celles potentiellement octroyées par son régime obligatoire. Il pourra alors maintenir son niveau de vie durant cette période d’inactivité et ne pas se retrouver en difficulté financière.
Au-delà de trois ans d’arrêt de travail, c’est la garantie invalidité qui prend le relais.
La garantie invalidité
L’invalidité permanente partielle (IPP) est définie par un taux d’invalidité compris entre 33 et 66 %, tandis que l’invalidité permanente totale (IPT) correspond à un taux supérieur à 66 %.
En deçà de 33 % (ou parfois 15 % selon certains contrats), aucune prestation n’est accordée. En souscrivant une couverture contre ce risque majeur, le travailleur non salarié peut, sous certaines conditions, bénéficier du versement d’une rente d’invalidité jusqu’à sa retraite permettant de compenser la baisse ou la perte de ses revenus professionnels.
Par exemple, un chirurgien-dentiste libéral qui perd l’usage d’un pouce ne pourra plus exercer son activité, il sera mis en invalidité. Son contrat de prévoyance va lui permettre de maintenir ses revenus jusqu’à la retraite tout en lui permettant d’apprendre un autre métier et de se reconvertir s’il le souhaite dans une autre activité.
La manière d’aborder l’invalidité peut varier en fonction des contrats de prévoyance, notamment concernant le barème qui permet de définir le montant perçu en cas d’invalidité. Il existe trois types de barème invalidité :
- le barème « fonctionnel » est celui du Code de la Sécurité sociale, sans prise en compte la spécificité de la profession ;
- le barème « professionnel » prend en compte l’incapacité à exercer sa profession en faisant abstraction des possibilités d’en exercer une autre ;
- le barème « croisé » prévoit un tableau à double entrée, qui va tenir compte du taux d’invalidité fonctionnelle et du taux d’invalidité professionnelle. Il est généralement meilleur qu’un barème fonctionnel unique, mais moins bon qu’un barème professionnel.
Le choix d’un barème professionnel est donc à privilégier.
La garantie décès
La garantie décès permet au travailleur indépendant de protéger sa famille financièrement s’il venait à disparaître. Selon les options sélectionnées lors de la souscription, l’assurance-décès peut prévoir le versement d’un capital-décès, qui aide la famille à faire face aux répercussions financières du décès du chef d’entreprise indépendant, d’une rente éducation destinée à financer les études des enfants et d’une rente conjoint, qui permet au conjoint survivant de continuer à assumer les charges familiales et à maintenir son niveau de vie.
Les avantages de la loi Madelin
Le travailleur indépendant, dirigeant d’entreprise, peut profiter du cadre fiscal avantageux offert par la loi Madelin pour sa protection sociale personnelle. En souscrivant un contrat répondant aux exigences de cette loi, il a la possibilité de déduire les cotisations versées de son bénéfice imposable.
Cependant, les mandataires sociaux, les micro-entrepreneurs et les travailleurs non-salariés agricoles ne sont pas éligibles aux avantages des contrats Madelin.
Cette déductibilité fiscale avantageuse est également soumise à un plafonnement. Ainsi, le TNS peut déduire les cotisations prévoyance et santé Madelin dans la limite de 3,75 % de son revenu professionnel, auxquels s’ajoutent 7 % du plafond annuel de la Sécurité sociale (Pass), soit 46 368 euros en 2024. Le montant total de cette déduction ne peut dépasser 3 % de huit fois le Pass.
Les autres garanties optionnelles
D’autres garanties optionnelles peuvent être mises en place dans le cadre de la prévoyance d’un travailleur indépendant ou chef d’entreprise et sont très utiles.
La garantie frais généraux
En cas d’arrêt de travail du dirigeant ou travailleur indépendant, la stabilité financière de l’entreprise peut être menacée. C’est pourquoi certains contrats d’assurance-prévoyance incluent une garantie « frais généraux ». Cette garantie permet, par le versement d’une indemnité, de couvrir les charges fixes de l’entreprise, telles que les salaires des employés, le loyer d’un local ou de bureaux, un salarié en remplacement, le remboursement d’emprunts ou la location de matériel. La durée d’indemnisation est plafonnée la plupart du temps entre douze à vingt-quatre mois maximum.
La garantie chômage du dirigeant
Ce contrat fait aussi partie du dispositif global de protection du chef d’entreprise. C’est une assurance spécialement conçue pour protéger les dirigeants d’entreprise contre le risque de perte d’emploi.
Contrairement aux salariés, les dirigeants (gérants majoritaires, présidents de SAS mandataires sociaux, ou travailleurs indépendants) ne bénéficient pas de l’assurance-chômage classique du régime général en cas de cessation d’activité. Ce type de contrat permet donc de compenser cette absence de couverture. Il offre en effet une indemnisation au dirigeant sur une durée en général de neuf à vingt-quatre mois s’il perd son emploi de manière involontaire, par exemple en cas de révocation, de liquidation judiciaire, de redressement judiciaire ou de cessation d’activité de l’entreprise. La garantie chômage du dirigeant permet alors de compenser la perte de revenus et d’assurer un maintien du niveau de vie du dirigeant pendant la période de recherche d’une nouvelle activité. A noter qu’il existe la plupart du temps une carence, une franchise de douze mois à la souscription du contrat. Il faut donc bien anticiper cette couverture.
Les cotisations payées pour un contrat de garantie chômage du dirigeant peuvent, dans certains cas, être déductibles fiscalement. Cependant, les conditions de déduction varient en fonction du régime fiscal de l’entreprise et de la forme juridique du contrat. Si le dirigeant est TNS, comme les gérants majoritaires de Sarl ou les entrepreneurs individuels, et que le contrat de garantie chômage est un contrat Madelin, les cotisations sont déductibles du revenu imposable dans les limites du plafond de déduction Madelin. Le plafond est calculé selon un pourcentage du revenu professionnel (limité à 3 % du revenu professionnel avec un maximum d’environ 8 123 euros en 2024). Pour bénéficier de cette déduction, le contrat doit respecter certaines conditions strictes, notamment être souscrit par le dirigeant et non par l’entreprise.
Si le dirigeant est assimilé salarié, comme les présidents de SAS ou les gérants minoritaires/égalitaires de Sarl, les cotisations versées au titre d’un contrat de garantie chômage ne sont pas déductibles fiscalement pour l’entreprise, ni pour le dirigeant en tant que revenu salarial. Ces cotisations sont considérées comme des charges personnelles et n’ouvrent donc pas droit à une déduction fiscale.
La prévoyance des salariés
La prévoyance de base obligatoire
Pour un salarié c’est la sécurité sociale qui va indemniser en cas d’arrêt de travail. Le système est très inégal en fonction de la situation professionnelle de chacun, que la personne soit salariée du privé ou fonctionnaire.
La prévoyance complémentaire
Cette prévoyance dans le cadre de l’entreprise est à ce jour obligatoire uniquement pour les salariés cadres du privé. A noter que certaines conventions collectives l’obligent également pour les non-cadres.
Quand on est salarié non-cadre, en cas d’arrêt de travail, la Sécurité sociale va prendre en charge les indemnités journalières à partir du quatrième jour d’arrêt de travail, à hauteur de 50 % du salaire brut, avec un plafond calculé sur la moyenne des salaires bruts des trois derniers mois précédant l’arrêt. Le montant de l’indemnité est plafonné et revalorisé chaque année.
Pour l’invalidité, toujours pour un salarié non-cadre, cela va être un pourcentage du salaire de base en fonction de la catégorie d’invalidité allant de 30 à 50 % d’indemnisation maximum. Ce n’est bien sûr pas suffisant, d’où la nécessité de mettre en place une prévoyance en complément pour les non-cadres dans l’entreprise si elle n’est pas prévue dans la convention collective.
Cinq étapes sont indispensables pour la mise en place de la prévoyance des salariés :
- vérifier les dispositions de sa convention collective ou les accords de branche avec les garanties minimales à souscrire ;
- décider du mode de mise en place : accord collectif d’entreprise, référendum ou décision unilatérale de l’employeur (DUE) ;
- définir ses besoins et la couverture que l’on souhaite offrir à ses salariés (le cas échéant si le dirigeant a des salariés) ;
- sélectionner l’assureur et le contrat ;
- informer ses salariés des garanties du régime de prévoyance qui a été mis en place.
Il faudra mettre à jour le contrat de prévoyance salarié régulièrement en fonction des évolutions de la convention collective de l’entreprise, sinon cela peut générer un risque important, allant du redressement Urssaf jusqu’au risque pénal en cas de décès d’un des salariés cadre par exemple.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier la clause bénéficiaire de la garantie décès dans un contrat de prévoyance. Une clause bénéficiaire mal rédigée peut, en effet, avoir des implications importantes.
Le souscripteur d’un contrat de prévoyance peut utiliser la clause type proposée ou opter pour une clause personnalisée. Les contrats de prévoyance incluent souvent une clause type pour simplifier les démarches de l’assuré. Cette clause pré-rédigée, peut varier d’un assureur à l’autre. Elle précise habituellement que les capitaux seront versés « au conjoint non séparé de corps judiciairement, ou au partenaire de Pacs ; à défaut, par parts égales aux enfants nés ou à naître, vivants ou représentés ; à défaut, aux héritiers ».
Mais cette clause peut ne pas refléter la situation personnelle spécifique de l’assuré. Il faudra alors adapter la clause bénéficiaire à l’évolution de sa situation personnelle et rédiger une clause personnalisée.
Qu’elle soit standard ou personnalisée, il est essentiel pour l’assuré de réviser régulièrement sa clause bénéficiaire de son ou ses contrats de prévoyance afin de l’ajuster aux changements de sa situation personnelle (mariage, Pacs, divorce, naissance, décès, etc.). Cela permet de s’assurer que les personnes qu’il souhaite désigner comme bénéficiaires sont correctement mentionnées et que ses volontés seront respectées en cas de décès.
Il est de manière générale indispensable de mettre à jour ces contrats de prévoyance au moins tous les deux ans pour éviter les mauvaises surprises en cas de sinistre.
Protéger la pérennité de l’entreprise
Le contrat homme-clé
Un contrat d’assurance homme-clé est une assurance-prévoyance destinée à protéger une entreprise contre les conséquences financières liées à la perte d’une personne essentielle à son fonctionnement. Cette personne, appelée « homme-femme clé », peut être le dirigeant salarié ou indépendant, un collaborateur ou tout employé ayant un rôle stratégique dont l’absence pourrait perturber l’activité de l’entreprise.
Le contrat vise à indemniser l’entreprise en cas de décès ou d’invalidité de cette personne. Les fonds perçus peuvent aider à faire face aux pertes de revenus, à financer le recrutement d’un remplaçant ou à compenser une baisse de chiffre d’affaires. La somme assurée est déterminée lors de la souscription du contrat et dépend de l’impact financier estimé de la perte de l’homme-femme clé sur l’entreprise. Ce type de contrat peut permettre de rassurer les partenaires financiers (banques, investisseurs, fonds d’investissement) et commerciaux sur la capacité de l’entreprise à faire face à des situations imprévues.
Le contrat de prévoyance croisés associés
C’est un dispositif destiné à protéger les intérêts financiers des associés ou des actionnaires d’une entreprise en cas de décès ou d’invalidité de l’un d’entre eux.
Ce type de contrat permet de garantir la continuité de l’entreprise et d’éviter les conflits entre les associés restants et les héritiers du défunt.
En cas de décès ou d’invalidité permanente d’un associé, le contrat prévoit le versement d’un capital aux associés survivants. Ce capital leur permet de racheter les parts ou actions de l’associé défunt ou invalide, afin d’éviter que ces parts ne soient transmises aux héritiers. Cela permet alors de maintenir l’équilibre de la répartition des parts et le contrôle de l’entreprise entre les associés restants. En effet, l’entrée d’héritiers dans le capital de l’entreprise peut entraîner des conflits ou des difficultés de gestion. Le contrat d’assurance croisés associés permet d’éviter ces situations en prévoyant une solution financière pour racheter les parts.
Chaque associé va souscrire une assurance sur la tête de chaque autre associé. Le montant du capital assuré est déterminé en fonction de la valeur des parts de chaque associé dans l’entreprise. Ce capital permettra le rachat total ou partiel des parts détenues par l’associé concerné.
Il existe aussi d’autres dispositifs complémentaires à ces contrats de prévoyance qui peuvent être mis en place pour protéger le dirigeant, son entreprise et son patrimoine, comme :
- la création d’une société, telle qu’une SAS, une Sarl ou une SA, qui permettra de distinguer le patrimoine personnel du patrimoine professionnel ;
- la constitution d’une holding patrimoniale qui pourra permettre de regrouper les actifs du chef d’entreprise dans une structure juridique dédiée, tout en préservant son patrimoine personnel ;
- l’adoption du régime matrimonial de la séparation de biens qui pourra permettre de séparer le patrimoine personnel du chef d’entreprise de celui de son conjoint ;
- les procurations post mortem ou pacte de succession future sont aussi des dispositifs utiles et peu connus chez les chefs d’entreprises.
Conclusion
En règle générale, on constate que les dirigeants sont souvent passés à côté de ces sujets de prévoyance par manque d’information ou/et par peur de parler de ces sujets. Si nous considérons que c’est dans l’ADN d’un chef d’entreprise de prendre des risques, il ne s’agit pas pour autant, de sauter en parachute… sans parachute !
Quel que soit leur statut – dirigeants d’entreprises, travailleurs indépendants, professions libérales, auto-entrepreneurs ou mandataires sociaux –, il est essentiel pour chacun de protéger sa famille, ainsi que ses intérêts financiers, juridiques et patrimoniaux. Pour ce faire, il est vivement recommandé de s’entourer de professionnels compétents, capables de les guider et de les accompagner efficacement dans cette démarche.
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