Donation démembrée de titres de sociétés non cotées : qui paie l’impôt de plus-value à la revente ?
Par Rosa Riche, responsable ingénierie patrimoniale chez Cholet Dupont
La jurisprudence du Conseil d’Etat incite les parties à veiller au respect d’un certain formalisme pour établir le report du démembrement sur le remploi du prix ou la constitution du quasi-usufruit. Eclairage.
Il est fréquent lors d’une donation que les parents ne transmettent que la nue-propriété à leurs enfants. Assortir une donation d’une réserve d’usufruit présente en effet un double intérêt. D’une part, cela permet au donateur d’organiser de façon anticipée la transmission de son patrimoine tout en conservant la jouissance et les revenus du bien donné. D’autre part, la donation avec réserve d’usufruit viager bénéficie d’un régime fiscal favorable. Dès lors que seule la nue-propriété des biens est transmise, les droits ne sont calculés que sur une fraction de la valeur de la pleine propriété, estimée d’après l’âge de l’usufruitier au jour de la donation.
Il est classique également que la donation s’accompagne de clauses d’inaliénabilité interdisant aux nus-propriétaires de nantir ou de céder leurs droits sur les biens donnés, sans l’accord du donateur. Que la cession (1) des titres dont la nue-propriété a été donnée intervienne peu de temps après la donation ou qu’elle se réalise plus tard, elle est susceptible de générer une plus-value imposable, au moins à hauteur de l’usufruit (2).
Qui est redevable de l’impôt sur la plus-value ?
En cas de vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien, l’article 621 du Code civil pose le principe de la répartition du prix entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits. Or c’est rarement la volonté des donateurs qui entendent toujours disposer de revenus et qui souvent ne souhaitent pas que leurs enfants, trop jeunes ou prodigues, disposent de cash en pleine propriété.
La répartition du prix réduit l’anticipation transmissive manifestée par la donation. Non seulement lorsque l’usufruitier décède, les donataires nus-propriétaires perdent le bénéfice de l’article 1133 du CGI qui leur permet de devenir pleins propriétaires sans payer d’impôt, mais en outre ils supportent des droits de succession sur les biens acquis par leur parent en remploi de sa quote-part dans le prix de vente. L’article 621 du Code civil permet cependant aux parties de ne pas opérer cette répartition et ces derniers peuvent convenir de reporter le démembrement :
- sur le prix de vente, ce qui se traduit par un quasi-usufruit. Le prix est alors intégralement remis au quasi-usufruitier qui devra à la fin de l’usufruit rendre aux nus-propriétaires soit des choses de même quantité et qualité, soit leur valeur estimée à la date de la restitution.
- sur les biens acquis en remploi du prix de vente. L’usufruitier disposera de la jouissance et des revenus des biens nouvellement acquis et les nus-propriétaires deviendront pleins propriétaires desdits biens à l’extinction de l’usufruit.
Au plan fiscal, l’administration (3) a précisé les règles d’imposition qui s’appliquent aux plus-values générées par la cession de valeurs mobilières ou de droits sociaux dont la propriété a été démembrée depuis le 3 juillet 2001. Soit le prix de cession est réparti et chacun de l’usufruitier et du nu-propriétaire est susceptible de dégager une plus-value imposable à son nom. Soit le nu-propriétaire et l’usufruitier conviennent (ou ont convenu lors d’une convention antérieure) ensemble du sort du prix de vente : s’il est remployé dans l’acquisition d’autres valeurs, droits ou titres eux-mêmes démembrés, la plus-value est imposable au nom du nu-propriétaire ; s’il est attribué en totalité à l’usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit, la plus-value est imposable au nom de l’usufruitier.
Notons, qu’en l’absence de répartition du prix, la plus-value est calculée de la même façon, quel que soit le redevable de l’impôt de plus-value. Cependant, si les titres ont été acquis avant le 1er janvier 2018 et si le redevable devait opter pour la taxation au barème progressif de l’impôt, la durée de détention s’apprécie différemment selon le redevable de l’impôt.
Lorsque la plus-value est imposable au nom du nu-propriétaire, la date d’acquisition de la nue-propriété est prise en compte. La donation de la nue-propriété de titres préalablement à leur cession peut ainsi faire perdre le bénéfice de l’abattement lié à la durée de détention afférent à l’usufruit conservé par le donateur.
Lorsque la plus-value est imposable entre les mains de l’usufruitier, le délai de détention se calcule à compter de la date d’acquisition de l’usufruit.
Si l’hypothèse de la répartition du prix de vente des titres non cotés dont la nue-propriété a été donnée ne pose aucun problème, il en va autrement lorsque donateurs et donataires entendent poursuivre le démembrement. La jurisprudence du Conseil d’Etat incite les parties à veiller au respect d’un certain formalisme pour établir le report du démembrement sur le remploi du prix ou la constitution du quasi-usufruit.
Le conseil d’Etat (CE) s’est ainsi prononcé en 2009, 2012, 2019 et récemment le 2 avril 2021 (4). En 2009, le CE a jugé que la pratique – courante – qui consiste à déposer le prix de cession sur un compte ouvert au nom de l’usufruitier et des nus-propriétaires ne suffit pas pour établir le report du démembrement affectant le droit de propriété des titres cédés sur le droit de propriété des titres acquis. Il a considéré qu’en l’absence d’un acte ayant date certaine, le report du démembrement sur les titres acquis en remploi du prix de cession n’avait pas été établi, dès lors les nus-propriétaires n’étaient pas les redevables de l’impôt de plus-value.
En 2012, le CE se prononce pour l’imposition du seul usufruitier, considérant que les donations-partages à l’origine du démembrement comportaient des clauses qui, en premier lieu prévoyaient, en cas de cession des parts, le report du droit d’usufruit sur le prix de cession, en deuxième lieu autorisaient, à titre de condition essentielle et déterminante, l’usufruitier des parts sociales ayant fait l’objet des donations à aliéner ces parts et, enfin, interdisaient au contraire au donataire de les aliéner ou de les nantir sous peine de nullité des aliénations ou nantissements. Le CE a validé l’analyse faite par la cour d’appel selon laquelle ces restrictions conduisaient à regarder le donateur comme étant le seul redevable de l’impôt, alors même que donataires et donateur avaient, suite à l’apport de titres démembrés, été rémunérés par la remise de parts sociales démembrées.
En 2019, le CE précise qu’il convient de se placer à la date du fait générateur de l’imposition pour déterminer le redevable de l’imposition due à raison de la plus-value réalisée. Dès lors, le nu-propriétaire n’est imposable en totalité sur la plus-value de cession de titres démembrés que si le remploi dans l’acquisition de titres démembrés résulte d’une convention antérieure ou concomitante à la cession ; cette convention ne peut résulter des seules modalités de remploi du prix.
En 2021, le CE fait preuve d’une interprétation restrictive des clauses de la donation-partage, dont la rédaction pouvait prêter à confusion.
Le CE relève qu’il appartenait à la cour d’appel, en présence d’une clause dans la donation-partage prévoyant le remploi du produit de la vente des titres avec report des droits des usufruitiers sur les biens nouvellement acquis, de rechercher si ce remploi du produit de cession était une obligation pour les parties à l’acte ou s’il n’était qu’une simple faculté à la main des seuls usufruitiers. Le CE a considéré que lorsque l’usufruitier conserve la faculté de remployer ou non le produit de la cession des titres dont il a l’usufruit, le droit d’usufruit doit être regardé, pour l’imposition des plus-values résultant de la cession, comme reporté sur le produit de cette cession, rendant ainsi l’usufruitier intégralement redevable de l’imposition.
En l’espèce, il existait un pacte adjoint à la donation-partage qui imposait aux donataires d’apporter à une société à constituer avec les donateurs une « fraction » des titres. Le CE a considéré que ces stipulations ne pouvaient être regardées comme organisant une clause de remploi à due concurrence de cette fraction, dès lors qu’aucune stipulation n’en définissait le quantum.
Le CE relève enfin qu’aucun acte antérieur ou concomitant à la cession ne prévoyait expressément le report du démembrement sur le remploi du prix de vente.
Alors, quelles précautions prendre en pratique en l’absence de répartition de prix ?
Si la cession des titres dont la nue-propriété est donnée n’est pas une perspective au jour de la donation, les parties n’ont pas nécessairement arrêté leur choix quant au sort d’un futur prix de vente. Dès lors, l’acte de donation ne précise pas de modalités impératives du report du démembrement.
Les clauses de l’acte de donation devraient cependant permettre :
- d'écarter la possibilité pour les nus-propriétaires de céder leurs droits ou de les nantir sans l’accord du donateur ;
- d'écarter la possibilité pour les nus-propriétaires de demander la répartition du produit de cession (5) ;
- de préciser qu’usufruitier et nus-propriétaires s’entendront, au plus tard au jour de la cession, pour reporter le démembrement soit sur le prix de vente, soit sur les biens qui seront acquis en remploi.
Nb : à cet égard, l’usufruitier ne devrait pas être le seul à décider des biens dans lesquels le produit de la cession sera remployé, même si l’on peut comprendre qu’en cas de désaccord le choix de l’usufruitier devrait l’emporter, afin notamment de lui garantir un réinvestissement "protecteur de ses intérêts", donc générateur de revenus.
En tout état de cause au plus tard dans l’acte de cession ou dans un acte concomitant ayant date certaine (6), le sort du produit de la cession sera formalisé, permettant ainsi de déterminer le redevable de l’impôt de plus-value.
1. Il peut s’agir également d’opérations assimilées à des cessions, tels que des apports ou des échanges de titres.
2. C’est le cas, lorsque la donation de la nue-propriété, quasi concomitante à la cession, se réalise sur la base d’une pleine propriété de même valeur.
3. BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60 n° 40 s.
4. CE 30.12.2009 n°307165 ; CE 12.12.2012 n°336273 et 336303 ; CE 28.01.2019 n°407305 ; CE 02.04.2021 n°429187.
5. Dans le cadre d’un apport à société, il s’agit d’éviter la rémunération dudit apport par la remise de titres en pleine propriété à chacun de l’usufruitier et du nu-propriétaire.
6. Acte notarié ou acte sous seings privé enregistré.
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