L’incidence des donations sur le règlement successoral
Lors de la liquidation d’une succession, les conditions dans lesquelles sont réalisées des donations doivent être regardées de près afin de réellement atteindre les objectifs recherchés. La preuve par l’exemple.
Les donations entre vifs ont deux effets : l’un immédiat, le donateur se dépouille irrévocablement d’un bien (donner et retenir ne vaut) ; l’autre à terme, lors du règlement de la succession. En outre, compte tenu de la règle du rapport fiscal, elles seront prises en compte sur le plan fiscal, sans limitation de durée et pendant un délai de quinze ans à compter de la signature de la donation acceptée pour l’héritier-donataire au niveau des abattements et du taux des droits dus au décès. Le conseil en gestion de patrimoine doit contribuer à la transmission du patrimoine de son client dans les meilleures conditions financières et familiales. La connaissance des règles liquidatives, tant civiles que fiscales, qui s’appliqueront lors du décès du donateur, lui permettra de conseiller plus utilement ses clients. Au travers de divers exemples, nous pourrons mesurer l’importance dans les actes de donation des diverses stipulations définissant le type de donation.
Avant tout, revenons sur les différentes notions utilisées dans ce contexte :
- La réserve et la quotité disponible : la réserve se définit comme la portion de ses biens dont une personne ne peut disposer à titre gratuit, et qui se trouve ainsi réservée à ses héritiers que l’on dit alors réservataires. Le surplus, laissé à sa libre disposition, constitue la quotité disponible. (Michel Grimaldi - Droit civil successions, 6e édition, aux éditions Litec, page 275) ;
- La réunion fictive : opération purement comptable (aucune obligation de restitution) qui n’a lieu que s’il existe au moins un héritier réservataire acceptant et une libéralité dont bénéficie une personne autre que lui.
- Le rapport des libéralités : institution en vertu de laquelle un héritier doit rendre compte à la succession des libéralités qu’il a reçu du défunt. Il doit les rapporter à la masse successorale, qui ainsi reconstituée, se partagera entre tous les héritiers à proportion de la vocation héréditaire de chacun. Le rapport peut comprendre deux modalités : soit il est dû en nature, et c’est le bien lui-même qui doit être joint à la masse partageable ; soit il est dû en valeur et c’est alors la seule valeur du bien qui doit l’être, sa propriété restant acquise au gratifié. (Michel Grimaldi, supra p. 643).
- L’imputation : opération qui consiste à examiner pour chaque libéralité, si elle porte atteinte à la réserve. La loi fixe l’ordre légal des imputations et celui des réductions, l’ordre des imputations n’est autre que celui des réductions inversées. On réduit en premier lieu la donation la plus récente.
Données
Monsieur Prudent a deux enfants : Pierre et Ingrid.
En décembre 2004, il a donné à Pierre un appartement d’une valeur de 100 000 €. Les droits de donation d’un montant de 5 200 € ont été payés par Monsieur Prudent. Ce bien, dans le même état qu’au jour de la donation vaut, au jour du décès et du partage, 200 000 €. En 2007, il a donné à Ingrid une maison d’une valeur de 150 000 €. Les droits de donation d’un montant de 10 800 € ont été également payés par le donateur. Cette maison dans le même état qu’au jour de la donation vaut au jour du décès et du partage, 220 000 €.
Monsieur Prudent décède le 1er avril 2015.
Les deux enfants, Pierre et Ingrid, acceptent sa succession, laquelle comprend également des titres d’une valeur de 120 000 €. Par souci de simplification, les valeurs des biens au décès et au partage sont les mêmes.
Pour mesurer l’importance des différentes clauses pouvant être insérées dans un acte de donation, voici quatre hypothèses.
Monsieur Prudent a pu réaliser ces donations :
- en avance sur part successorale ;
- hors part successorale à l’un des deux enfants seulement et une donation en avancement de part successorale pour l’autre ;
- hors part successorale aux deux enfants ;
- ou une donation hors part successorale et une donation en avance sur part successorale avec rapport forfaitaire pour l’autre.
Donation en avancement sur part successorale (APS), sans donation hors part successorale (HPS) ni testament
Monsieur Prudent a donné l’appartement à Pierre et la maison à Ingrid en avancement sur part successorale ; la prise en charge des frais par le donateur le fut au même titre. Dans ce type de donation, le défunt souhaite l’égalité entre ses héritiers au moment de sa succession. Les deux héritiers, Pierre et Ingrid, doivent se partager à parts égales le patrimoine de leur père. Quelles opérations sont-elles à réaliser au décès ?
Prenons d’abord connaissance de deux articles du Code civil à prendre en compte pour le traitement de ce premier cas :
- Article 919-1 : « La donation faite en avancement de part successorale à un héritier réservataire qui accepte la succession s’impute sur sa part de réserve et, subsidiairement, sur la quotité disponible,… L’excédent est sujet à réduction. »
- Article 922 : « La réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou
du testateur. Les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d’après
leur état à l’époque de la donation et leur valeur à l’ouverture de la succession… »
Remarque : le calcul de la quotité disponible sera réalisé ci-après dans un seul souci pédagogique. Juridiquement, il est inutile, puisque les donations sont réalisées en avance de part successorale à des héritiers réservataires, et qu’il n’y a ni testament ni donation hors successorale.
Déterminons la masse à partager qui devra être répartie entre les enfants, en deux parties égales, puisque
les donations n’étaient qu’une opération d’anticipation sur la succession.
Elle se compose des biens donnés rapportés pour leur valeur au jour du partage et leur état à l’époque de la donation et les biens existants. Il s’agit, en quelque sorte, de reconstituer le patrimoine de leur père au jour du partage, comme si en réalité le père n’avait réalisé aucune donation.
La masse de calcul est donc la suivante :
- biens existants au jour du décès : un portefeuille-titres de 120 000 € ;
- réunion fictive des donations : la donation faite à Pierre d’un appartement d’une valeur au décès de 200 000 €, à quoi s’ajoutent les frais de donation pour 5 200 € ;
- la donation faite à Ingrid d’une maison d’une valeur au décès de 220 000 €, à quoi s’ajoutent les frais de donation de 10 800 €.
Masse à partager
- le rapport par Pierre du bien donné, valeur au partage : 200 000 €
- la réunion fictive des frais payés par son père à sa place : 5 200 €
- le rapport par Ingrid du bien donné, valeur au partage : 220 000 €
- la réunion fictive des frais payés par son père à sa place : 10 800 €
- les biens existants, titres appartenant au défunt : 120 000 €
Total à partager : 556 000 €
Revenant pour moitié à chacun des héritiers : 556 000/2, soit 278 000 €.
Comment vont être partagés ces 556 000 € ?
On attribue à Pierre :
- En tout premier lieu son rapport : soit 200 000 + 5 200 = 205 200 €
- Une partie des titres pour arriver à 278 000, soit 72 800 €
Total égal à ses droits : 78 000 €.
On attribue à Ingrid :
- En tout premier lieu son rapport : 220 000 + 10 800 = 230 800 €
- Une partie des titres pour arriver à 278 000, soit 47 200
Total égal à ses droits : 278 000 €.
NB : nous avons considéré que le paiement des frais et droits de donation par le donateur était animé d’une intention libérale.
Pour terminer avec cette première hypothèse : la quotité disponible et la réserve de chacun des enfants est d’un tiers des biens existants au décès pour leur valeur au jour du décès soit 566 000/3 = 185 333 €. Les donations à Pierre et à Ingrid dépassent la réserve de chacun, on pourrait penser que le surplus est conservé par chacun à titre d’avantage définitif en faisant une mauvaise lecture de l’article 919 du Code civil. Il n’en est rien, car les donations doivent être rapportées pour le tout, et ainsi l’égalité est préservée au moment de la succession. Le terme « subsidiairement » de l’article 919-1-du Code civil a pour effet de diminuer l’efficacité des donations HPS et des legs que le donateur pourra faire ultérieurement.
Donation hors part successorale et donation en avancement de part successorale, pas de testament
M. Prudent a donné l’appartement à Pierre hors part successorale et la maison à Ingrid en avancement sur part successorale. Le paiement du montant des frais par le donateur pour les donataires suit pour chaque donation le caractère de la donation. La libéralité hors part successorale doit être mentionnée expressément dans l’acte de donation, dans un acte postérieur ou dans un testament.
Quelles opérations sont-elles à réaliser à la suite du décès ?
Prenons d’abord connaissance de l’article 919-2 du Code civil : « La libéralité faite hors part successorale s’impute sur la quotité disponible. L’excédent est sujet à réduction. »
Compte tenu de la nature hors part successorale de la donation, il convient de procéder à la réunion fictive des biens donnés pour déterminer si la quotité disponible a été dépassée et si la réserve de chacun est bien respectée.
Calcul de la quotité disponible
Masse de calcul de la quotité disponible :
- Réunion fictive de la donation à Pierre : 200 000 €
- Réunion fictive des frais et droits : 5 200 €
- Réunion fictive de la donation à Ingrid : 220 000 €
- Réunion fictive frais et droits : 10 800 €
- Biens existants : 120 000 €
Total de la masse : 556 000 €
- Quotité disponible (1/3) : 185 333 €
- Réserve globale (2/3) : 370 666 €
- Réserve individuelle (1/3) : 185 333 €
La donation hors part successorale s’impute sur la quotité disponible (Art. 919-2 du Code civil). Celle-ci étant de 185 333 €, la donation faite à Pierre, représentant 200 000 € au jour du partage, plus le montant des frais de donation qui ont été stipulés de même nature, excèdent la quotité disponible de 19 867 €.
Pierre doit verser dans la masse à partager une indemnité de réduction égale à ce montant.
A retenir : l’indemnité de réduction est la somme due par le bénéficiaire d’un legs ou d’une donation aux héritiers réservataires lorsque la libéralité qui lui a été attribuée dépasse la quotité disponible.
Déterminons la masse à partager
Celle-ci est différente par rapport à l’hypothèse précédente du fait que la donation faite à Pierre étant hors part successorale, celui-ci n’a pas à la rapporter. Seule, la partie dépassant le montant de la quotité disponible sera prise en compte.
Masse à partager :
- le rapport de la donation à Ingrid : 220 000 €
- le rapport par Ingrid des frais de donation : 10 800 €
- les biens existants, les titres : 120 000 €
- l’indemnité de réduction due par Pierre : 19 867 €
Total à partager : 370 667 €
Revenant pour moitié à chacun des deux enfants : 370 667/2. Pierre et Ingrid ont donc droit chacun à 185 334,50 €.
Comment vont être partagés ces 375 867 € ?
Attributions
Pierre a droit à 185 334,50 €, il lui est attribué :
- la totalité des titres : 120 000 €
- son indemnité par confusion : 19 867 €
- une soulte due par Ingrid : 45 466,50 €
Total égal à ses droits : 185 334,50 €.
Ingrid a droit à 185 334,50 €:
- elle va conserver son bien (rapport) : 220 000 €
- et le rapport des frais de donation : 10 800 €
- elle va devoir payer à son frère Pierre la soulte due : 45 466,50 €
- il lui reste donc le montant de ses droits : 185 334,50 €.
Remarque : Pierre conserve sa donation valant 200 000 € et ne rembourse pas les frais de donation payés par son père, soit 5 200 €. Au final, et c’est loin d’être neutre, Pierre aura eu 205 200 + 185 334,50 = 390 534,50 €. Ingrid aura eu 185 334,50 €.
A retenir toutefois : Dans ce type de donation (hors part successorale) le donateur souhaite rompre l’égalité entre ses héritiers pour avantager l’un d’eux au moment de sa succession.
Donation hors part successorale aux deux enfants, sans testament
M. Prudent a donné l’appartement à Pierre hors part successorale et la maison à Ingrid hors part successorale. Le paiement du montant des frais par le donateur pour les donataires suit pour chaque donation le caractère de la donation.
Reprenons les calculs de la partie précédente.
La masse de calcul de la quotité disponible et de la réserve se calcule selon les mêmes critères que précédemment, nous avons donc :
- Quotité disponible : 185 333
- Réserve globale : 370 666
- Réserve individuelle : 185 333
Deux points méritent notre attention.
D’une part, comme précédemment, la donation hors part successorale s’impute sur la quotité disponible.
D’autre part (article 923 du Code civil) : « … lorsqu’il y aura lieu à réduction, elle se fera en commençant par la dernière donation, et ainsi de suite en remontant des dernières aux plus anciennes » (en d’autres termes, premier entré premier servi ou dernier rentré premier sorti).
La donation faite à Pierre, représentant 200 000 € au jour du partage, plus le montant des frais de donation qui ont été stipulés de même nature, excède la quotité disponible de 19 867 €. En conséquence, Pierre doit verser dans la masse à partager une indemnité de réduction égale à ce montant.
La donation faite à Ingrid l’a été après celle de Pierre. Or Pierre a utilisé toute la quotité disponible. La quotité disponible étant épuisée, toute la donation faite à Ingrid et les frais y étant attachés devront faire l’objet d’une indemnité de réduction, en d’autres termes, elle devra remettre dans la masse la même somme que dans la première hypothèse non plus au titre du rapport, mais au titre de l’indemnité de réduction. Par suite, les résultats sur le plan financier seront exactement les mêmes que ceux de la deuxième hypothèse.
Donation hors part successorale et donation en avancement de part successorale avec stipulation de rapport forfaitaire
M. Prudent a donné l’appartement à Pierre hors part successorale et la maison à Ingrid en avancement sur part successorale en précisant que la donation ne serait rapportable uniquement pour un montant forfaitaire de 180 000 €. Les frais et droits sont traités de la même manière que dans les cas ci-dessus.
Compte tenu de la présence d’une HPS qui s’impute sur la quotité disponible et d’une donation APS avec montant forfaitaire qui s’impute pour partie sur la réserve et pour la valeur au-delà du montant forfaitaire sur la quotité disponible, il est nécessaire de calculer la quotité disponible.
La masse de la quotité disponible s’établit ainsi :
- Réunion fictive de la donation à Pierre : 200 000 €
- Réunion fictive des frais et droits : 5 200 €
- Rapport de la donation à Ingrid pour le montant forfaitaire : 180 000 €
- Réunion fictive de l’excédent de valeur de la donation à Ingrid : 40 000 €
- Réunion fictive des frais de donation d’Ingrid : 10 800 €
- Biens existants : 120 000 €
Total : 556 000 €.
- Réserve globale : 370 666 €
- Réserve individuelle (1/3) : 185 333 €.
La donation hors part successorale faite à Pierre s’impute sur la quotité disponible. La donation faite à Pierre, représentant 200 000 € au jour du partage, plus le montant des frais de donation qui ont été stipulés de même nature, Pierre doit verser dans la masse à partager une indemnité de réduction égale à 19 867 € correspondant au dépassement de cette quotité disponible. La donation à Ingrid s’impute sur la réserve pour 180 000 €, et le surplus soit (220 000 + 10 800 - 180 000) 50 800 € sur la quotité disponible, mais celle-ci a été entièrement absorbée par la donation faite à Pierre (premier entré et premier servi).
La masse à partager s’établit donc comme suit :
- Biens existants : 120 000 €
- Indemnité de réduction de Pierre : 19 867 €
- Rapport d’Ingrid : 180 000 €
- Indemnité de réduction d’Ingrid : 50 800 €
Total : 370 667 €
- Revenant pour moitié à chacun, soit : 185 334 €.
L’imputation se fait par ordre chronologique en commençant par la plus ancienne et on réduit en commençant par la dernière (art. 923 du Code civil).
En conséquence, la donation à Pierre ayant absorbé toute la quotité disponible, Ingrid, en pratique, doit à la masse à partager, la valeur totale de sa donation : tant au titre du rapport pour la partie forfaitaire, soit 180 000 €, qu’au titre d’une indemnité de réduction de 50 800 € pour l’excédent (différence entre les 220 000 € valeur au décès, plus les frais soit 230 800 € et les 180 000 € montant du rapport forfaitaire), les attributions s’effectuent ainsi :
Pierre :
- Les biens existants : 120 000 €
- Son indemnité de réduction par confusion : 19 687 €
- Soulte d’Ingrid : 45 467 €
Total égal à ses droits : 185 334 €.
Ingrid :
- Son rapport forfaitaire : 180 000 €
- Son indemnité de réduction par confusion : 50 800 €
- Moins la soulte due à Pierre : 45 467 €
Total égal à ses droits : 185 334 €.
Remarque : compte-tenu de la donation à Pierre qui
a absorbé la quotité disponible, sur le plan financier
la « forfaitarisation » de la donation faite à Ingrid ne l’a en rien avantagée.
Michel Brillat, directeur de l’ingénierie patrimoniale de CGP Entrepreneurs, et Claude Abrial, notaire à Grenoble
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