Un époux peut disposer seul de la nue-propriété de son bien propre ou personnel constituant le logement de la famille

Par : edicom

Extrait de Fidnet, la solution digitale de Fidroit

La protection du logement de la famille est assurée par la réserve de l’usufruit au profit du seul donateur (Cass. civ. 1, 22/05/2019).

Ce qu'il faut retenir

Les dispositions de l’article 215 du code civil protègent le logement de la famille uniquement pendant le mariage. La protection prend donc fin au décès de l’un des époux (C. civ. art. 227).

Un époux peut donc disposer de la nue-propriété de son bien propre assurant le logement de la famille, sans accord de son conjoint. L’usufruit qu’il se réserve permettant l’usage et la jouissance du bien jusqu’à la fin du mariage (Cass. civ. 1ère, 22 mai 2019, n°18-16666).

Conséquences pratiques

La donation de la nue-propriété du logement de la famille a de lourdes conséquences sur la protection du conjoint survivant.

Au décès de l’époux propriétaire, l’usufruit s’éteint. Le conjoint survivant ne dispose donc ni du droit temporaire au logement, ni du droit viager (Rep. min. Jeanjean JOAN 25 janv. 2005 n° 39324).

Avis Fidroit : L’époux donateur doit être averti des conséquences d’une telle donation. Si le disposant désire protéger le survivant, on pourra utilement lui conseiller de prévoir dans l’acte de donation la réversion de l’usufruit au profit de son conjoint survivant. A contrario, la donation de la nue-propriété pourra être envisagée comme un outil de transmission : l’époux propriétaire recouvre son droit de disposer sans l’accord du conjoint, tout en contournant les droits de ce dernier sur le logement en cas de décès. Cela permet de contourner le droit temporaire (sauf cas de fraude) et de se dispenser du recours au testament authentique pour priver le conjoint de son droit viager.  

Pour aller plus loin

Contexte

La protection du logement de la famille est assurée par la mise en place d’une règle de cogestion. Cela signifie que l’accord des deux époux est nécessaire pour passer tout acte qui pourrait mettre en péril le logement (C. civ. art. 215).

Cette règle de cogestion est une exception au principe selon lequel les époux conservent la libre disposition de leur bien propre ou personnel, selon le régime.

Rappel : S’agissant d’un bien commun, les époux devront dans tous les cas (logement de la famille ou non) passer ensemble les actes de disposition sous peine de nullité C. civ. art. 1422, 1424 et 1427). 

La portée de cette protection est large : les droits visés peuvent être en propriété, en usufruit, issu d'un bail ou de parts de société détenant le logement… dès lors qu’ils assurent dans les faits le logement de la famille. Dans cet arrêt, la cour de cassation vient en préciser les contours.

Faits et procédure

Suite à son mariage célébré en 2003, Monsieur a fait donation de la nue-propriété d’un bien lui appartenant en propre à ses enfants. Ce bien constituait le logement du couple.

Lors de son décès, Madame a demandé l’annulation de cette donation sur le fondement de l’article 215 du code civil. Elle estimait que, s’agissant d’un acte de disposition, elle aurait dû intervenir à l’acte pour donner son accord.

La Cour d’appel de Papeete faisant droit à sa demande, les enfants de Monsieur, donataires, se sont pourvu en cassation.

Arrêt

La Cour de cassation rappelle le principe qu’elle a souvent dégagé : l’article 215 du code civil ne protège le logement de la famille que pendant le mariage.

L’usufruit conservé par monsieur était de nature à permettre l’usage et la jouissance du logement familial pendant le mariage, la donation était donc valable (elle n’était pas soumise à l’article 215 du code civil et ne nécessitait pas l’accord du conjoint).

Analyse

La solution rendue par la cour de cassation vient mettre fin à un débat doctrinal concernant la possibilité l’époux propriétaire de donner seul la nue-propriété du logement de la famille.

Une partie de la doctrine considérait qu’il fallait regarder les conséquences de l’acte : l’article 215 du code civil ne joue pas dès lors que la donation ou la vente du logement de la famille était assortie d’une réversion d’usufruit au profit du conjoint. Cette réversion étant de nature à assurer la protection du logement de la famille.

D’autres préconisaient de ne pas réaliser de tels actes : en vertu de l’article 215, tous les actes réalisés durant le mariage qui aurait pour effet à terme l’éviction du logement doivent être conclus avec l’accord du conjoint.

La Cour de cassation, quant à elle,  avait eu à trancher un cas où l’époux seul propriétaire avait cédé le logement de la famille, s’en réservant pour lui seul l’usufruit. La cour avait confirmé la nullité de cet acte en raison de la fraude qui entourait cet acte : la vente avait eu lieu 4 jours avant le décès.

La cour ne s’était pas prononcé directement sur l’application de l’article 215 dans ce cas de figure (C. civ. 1, 16 juin 1992, n° 89-17305).

Dans cet arrêt, elle tranche la question et met fin au débat : il y a seulement lieu de vérifier si l’acte porte atteinte ou non à l’usage et à la jouissance du logement durant le mariage.

Remarque : Par ailleurs, l’article 215 du code civil n’interdit pas à un époux de disposer du logement familial à cause de mort. (Cass. civ. 1, 22 oct. 1974, n°73-12402). Pour autant, dans ce cas :
- le droit temporaire sur le logement a vocation à s’appliquer ;
- le droit viager sur le logement s’appliquera en cas de testament olographe (la privation de ce droit ne peut se faire que par un testament authentique). En cas de testament authentique, il convient de préciser si le conjoint est privé ou non de son droit pour éviter les doutes à cet égard, la doctrine n’étant pas unanime et la jurisprudence muette...

  • Mise à jour le : 25/10/2019

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