Participation aux acquêts : l’avantage perdant
Par Pascal Pineau, gérant Atelier Formation Pascal Pineau, formateur en gestion de patrimoine
Par un arrêt du 18 décembre dernier, la Cour de cassation a jeté le trouble sur l’efficacité de la clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation et, avouons-le, sur la participation aux acquêts tout entière par ricochet. Paradoxalement, c’est bien la reconnaissance du caractère d’avantage matrimonial de cette clause qui, en chaîne, pourrait occasionner rien moins que la disparition du régime. Une déflagration qui nuirait sans aucun doute à l’équipement matrimonial du chef d’entreprise.
La Cour de cassation s’est prononcée dans une affaire de divorce entre époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts, et plus précisément à propos d’une clause prévoyant, en cas de dissolution du régime pour une autre cause que le décès des époux, que « les biens affectés à l’exercice effectif de la profession des futurs époux lors de la dissolution, ainsi que les dettes relatives à ces biens, seront exclus de la liquidation » (Cass. 1re civ., 18 décembre 2019, n° 18-26.337).
La clause concernait au cas particulier les patrimoines personnels des deux époux, elle comme pharmacienne et lui en tant que directeur d’un laboratoire d’analyses. Quel était alors l’intérêt d’un contentieux ? Tout simplement un enrichissement contrasté de part et d’autre ; et c’est le mari, moins « performant », qui demandait que les biens concernés soient intégrés à la liquidation de la créance de participation, sans égard à la clause du contrat et comme le veut le régime dans la version de référence qu’en présente le législateur (C. civ., art. 1569 à 1580).
Une exclusion en discussion
L’argument du mari pour parvenir à cette solution : expliquer que la clause doit être considérée comme un avantage matrimonial prenant effet à la dissolution, avec pour conséquence directe l’effet recherché, à savoir une révocation de plein droit aux termes de l’article 265 du Code civil.
La cour d’appel de Chambéry (10 septembre 2018) applique néanmoins l’exclusion des biens professionnels du calcul des patrimoines originaires et finaux en s’appuyant sur le respect des volontés supposées des époux.
En effet, elle voit dans la clause le souhait de se rapprocher partiellement du régime séparatiste, sans pour autant en tirer toutes les conséquences sur les biens non professionnels, chacun des époux entendant rester maître, en revanche, de la gestion de son outil de travail et du développement futur de ce dernier. Et elle signale que cette configuration, d’une part, permet que chacun profite des revenus d’activité perçus pendant le mariage et même, d’autre part, protège chacun de la dépréciation du bien professionnel de l’autre.
La cour d’appel affirme enfin que la notion d’avantage matrimonial est attachée au régime de communauté seulement – ce qui préserverait la participation aux acquêts, laquelle n’est pas une communauté conventionnelle comme peut l’être, en marge de la séparation de biens, une société d’acquêts. La Cour de cassation a-t-elle suivi le même raisonnement ? Il faut l’avouer d’emblée, elle s’en est singulièrement éloignée.
Membre du club ?
Au plan opérationnel, il s’agissait de répondre successivement à deux questions à propos de la clause qui constitue l’objet du débat : quelle qualification ? Quelles conséquences au moment du divorce ? La Cour de cassation prend la cour d’appel à contre-pied sur la qualification de la clause : « les profits que l’un ou l’autre des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts peut retirer des clauses aménageant le dispositif légal de liquidation de la créance de participation constituent des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial ».
Le raisonnement économique amène à identifier le gain potentiel pour l’un des époux qui est lié à la clause : cette dernière « conduit à avantager celui d’entre eux ayant vu ses actifs nets professionnels croître de manière plus importante en diminuant la valeur de ses acquêts dans une proportion supérieure à celle de son conjoint ». La solution rejoint sur ce point l’analyse – le constat ? – des services du ministère de la Justice (rendue à propos de l’action en retranchement des enfants non communs à la suite d’une question que j’avais fait transmettre) : « la doctrine estime aujourd’hui assez largement qu’il faut entendre de manière large la notion d’avantage matrimonial au sens de l’article 1527 du code civil pour inclure tous les avantages issus du contrat de mariage tels ceux prévus dans un régime de participation aux acquêts par exemple » (Rép. min. Delpon, JOAN 1er janvier 2019, p. 12456, n° 12379).
Malheureusement, la Cour de cassation tire ensuite une conséquence – dévastatrice – de son analyse : des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial « sont révoqués de plein droit par le divorce des époux, sauf volonté contraire de celui qui les a consentis exprimée au moment du divorce ». Place nette !
Peut-on soupçonner la Cour de cassation de regretter in petto cette décision mais d’avoir voulu démontrer par l’absurde, en tranchant à la lettre, l’impéritie d’un législateur qui s’est contenté en 2004, avec l’article 265, d’une esquisse grossière ? Sans aller jusque-là, il n’est pas inutile de rappeler la genèse de la clause de reprise des apports en cas de divorce, souvent appelée « clause alsacienne ».
Reprise, reprise ?
Au cœur d’un virulent débat doctrinal, cette clause, accusée notamment par ses contempteurs de réaliser une liquidation alternative du régime proscrite au regard du principe d’immutabilité du régime matrimonial, a finalement été adoubée par le législateur au moins autant au regard de son utilité que de sa validité juridique. La solution mérite, à mon sens, approbation : elle répond à des préoccupations légitimes et encourage la générosité pour l’autre en cas de décès en la dissociant de l’exposition au risque pour soi en cas de divorce. Plus équilibrée qu’équilibriste, elle suscitait un légitime espoir et son utilisation actuelle, fort courante, démontre que l’attente était bien réelle et que l’outil répond effectivement aux vœux des couples concernés.
Si ce choix n’a pas été étendu pour l’heure à d’autres clauses, il faut concéder qu’une évolution législative pourrait constituer une honorable porte de sortie. Sortie de secours, peut-être, mais l’essentiel est ailleurs.
Une réponse murmurée
De surcroît, au regard des réponses successives apportées à l’Assemblée nationale par le Ministère de la Justice, un espoir légitime demeure : si le contrat de mariage prévoyait expressément que les époux entendent voir jouer cette clause en cas de divorce, les juges n’en admettraient-ils pas le maintien au titre de l’exception prévue par l’article 265 du Code civil lui-même ?
A vrai dire, il est aussi facile de l’espérer que difficile d’y croire ! Certes, dans l’affaire étudiée, le divorce n’était pas expressément visé par le contrat de mariage… mais constituait indubitablement l’une des hypothèses de dissolution de l’union autrement que par décès – et, sans doute, la principale.
La question est d’autant plus prégnante que d’autres clauses sont menacées, et bien au-delà des horizons – pas si lointains – de la participation aux acquêts…
Jeu de quilles, jeu de massacre ?
Outre la très proche clause de plafonnement du montant de la créance de participation en présence d’une entreprise, moins brutale que la clause d’exclusion, c’est bien l’ensemble des clauses conventionnelles en participation aux acquêts que le vent mauvais du divorce emporterait comme des fétus de paille, puisque rien ne se fait jamais dans ce régime sinon à la dissolution.
Plus aucun aménagement possible en cas de divorce en conséquence : un partage égal des acquêts s’imposerait, auquel il ne serait pas possible de déroger, en dépit des volontés des époux. Est-ce bien la volonté du législateur ? Ce serait fort dommage, et totalement à contre-courant de réformes récentes, au cœur desquelles a largement figuré, et parfois comme boussole, la liberté contractuelle. Et l’épidémie pourrait d’ailleurs passer ces frontières pour frapper d’autres régimes, comme les communautés conventionnelles, par exemple en ce qu’elles fixent le sort des récompenses en cas de divorce.
Ironie du sort (ou plutôt parallélisme des formes), le traitement des éventuelles récompenses relatives à l’outil professionnel est souvent géré par le notaire en marge d’une exclusion de communauté prévue pour l’outil lui-même. L’article 265 du Code civil, bien que manifestement bâti pour les communautés conventionnelles, pourrait-il réaliser un doublé mortifère en frappant à nouveau l’entrepreneur ? Il serait malheureusement présomptueux de l’exclure. L’articulation entre la présence d’un bien spécifique et le choix général d’un régime, dans ces conditions, ne peut pas ne pas se poser.
Poupées gigognes
Voici l’occasion de revenir à une approche développée notamment par l’école clermontoise de gestion de patrimoine, dans le sillage de Jean Aulagnier et Jean-Marin Serre : elle s’appuie sur la distinction, fondamentale, entre contenant et contenu. Le contexte de cette étude nous invite à retenir le régime matrimonial pour représenter le contenant et l’entreprise, quelle qu’en soit la forme, pour illustrer un contenu.
Les contenus doivent en principe s’inscrire harmonieusement dans un contenant adapté. La mission du conseiller patrimonial est d’y veiller. Lorsqu’un contenu investit une place décisive pour au moins l’un des époux, une inversion de paradigme peut se produire, et le contenu influencer largement, voire dicter, le choix du contenant.
S’agissant d’un régime contractuel, avant de baisser pavillon, il convient évidemment de vérifier si une altération est envisageable. Dès lors que la survie de l’entreprise peut en dépendre, l’exercice s’impose. Devant le refus de juges arc-boutés sur l’article 265 du Code civil d’admettre l’efficacité d’un tel ajustement, le régime fait montre d’un manque total de souplesse en cas de divorce qui, en vérité, le condamne.
Vers d’autres voies ?
Petite cause, grands effets : alors que la participation aux acquêts paraît adaptée aux objectifs des clients, à défaut d’ajustement possible, voilà les époux privés d’un choix estimable et contraints sans doute à se replier vers une option « défensive », en l’occurrence une séparation de biens. Le recours à une société d’acquêts pour accompagner – et rendre moins aride – la séparation de biens ne pourra aboutir à des résultats identiques, dès lors qu’elle n’a pas vocation à organiser une forme de partage global de l’enrichissement mais qu’elle vise plutôt à préciser le sort particulier d’un ou plusieurs biens – au premier rang desquels figure régulièrement la résidence principale.
Là où la société d’acquêts définit ce qui est acquêt(s) – ou bien(s) commun(s) –, la participation aux acquêts vise à trouver des équilibres chiffrés ; dans l’esprit comme dans les résultats, les deux outils n’ont pas la même vocation – ce qui d’ailleurs permet d’en envisager la combinaison au sein du contrat de mariage. Il n’existe donc pas d’alternative véritable. A défaut de substitut satisfaisant, faire le deuil de ce régime serait donc malvenu. Et pourtant, c’est bien d’un sérieux coup de froid sur le régime de la participation aux acquêts dont il s’agit, au-delà de craintes plus larges encore !
Période glaciaire ?
Que faire en pratique ? Bien sûr, et c’est fort dommage, le régime doit être mis en quarantaine par les notaires en attendant (peut-être) qu’il retrouve meilleure santé. Il s’agit de s’abriter en attendant des jours meilleurs, choix peu glorieux s’il en est mais choix de raison.
Sans idée de plaidoyer, ce constat d’échec est navrant, alors que la dualité de la participation aux acquêts autoriserait à en faire l’un des très rares régimes aptes à parer en permanence les accidents de la vie – sinon le seul.
Quant à ceux qui sont engagés déjà, il n’est évidemment plus temps de s’abstenir. Notaires et clients peuvent évidemment nourrir quelque inquiétude. Wait and see, en espérant que la cavalerie arrive à temps…
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