Gérer le patrimoine du chef d’entreprise : un vrai métier
Par Pascal Pineau, responsable pédagogique du DU IPCE de l’université d’Auvergne, et formateur en droit patrimonial pour l’Aurep
La gestion de patrimoine du chef d’entreprise est une discipline à part entière dont l’université d’Auvergne et l’Association universitaire de recherche et d’enseignement sur le patrimoine (Aurep) ont fait le choix de traiter les spécificités en créant, voilà dix ans déjà, le diplôme universitaire Ingénierie patrimoniale du chef d’entreprise (IPCE). Dans le cadre du séminaire fêtant l’événement (Paris, 6 septembre 2016), quelques modifications législatives ont été proposées afin d’adapter le droit aux exigences modernes et d’accroître la sécurité juridique, dans le sillage du rapport Dombre-Coste (1).
De conseil en gestion de patrimoine est une profession encore jeune et, on ne peut que le regretter, insuffisamment définie, ce d’autant que son essence pluridisciplinaire le positionne entre métiers du chiffre et du droit. Nonobstant, un praticien, qui plus est généraliste, constate souvent sur le terrain les défauts des lois. Ceux qui l’appuient dans sa démarche – en l’occurrence, ici, ceux qui le forment – doivent s’emparer des problèmes lorsqu’ils sont réels et tenter de trouver des solutions. Y compris en s’en faisant l’écho auprès du législateur.
En finir avec l’homologation…
Le premier point, sur lequel nous emboîtons le pas au rapport Dombre-Coste (p. 49 et s.), concerne la procédure de changement de régime matrimonial (C. civ., art. 1397) : suppression du délai de deux ans – a-t-il un sens aujourd’hui ? –, ainsi que l’homologation judiciaire, et ce même en présence d’enfant mineur ou en cas d’opposition.
Nous espérons que l’actuelle résistance du Sénat (refus exposé dans Rép. min. Le Fur, JOAN 14 juin 2016, n° 86947), à l’encontre de la position du Conseil supérieur du notariat, ne sera au final qu’une péripétie.
… et pourquoi pas distinguer aménagement et changement ?
Mais poussons l’audace. L’occasion est trop belle pour ne pas exhumer une tribune parue dans ces colonnes voilà quelques années déjà (Régime matrimonial : aménager le changement ?, P. Pineau, Profession CGP juin-juillet 2009) : il s’agit de distinguer, eu égard à l’épineuse question de la liquidation du régime dans le cadre de la procédure, d’une part le changement – comprenant une liquidation avec deux régimes successifs – et, d’autre part, l’aménagement – un seul régime qui se poursuit, donc sans liquidation – afin de sécuriser clients et professionnels tout en limitant les frais induits.
Constatons au passage que la solution bâtarde actuellement en vigueur gêne au point, par exemple, de faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (décision n° 2016-560 QPC, 8 septembre 2016, concluant néanmoins à la conformité du texte malgré la différence de traitement entre les conjoints, notamment selon qu’ils ont ou non des enfants mineurs).
Moderniser la participation aux acquêts
Autre souhait : un toilettage du régime de la participation aux acquêts, auquel les chefs d’entreprise ont recours plus que les autres (en raison de l’indépendance et de la séparation des passifs en cours de mariage, et d’un partage de l’enrichissement protecteur de leur conjoint dans l’hypothèse de leur prédécès).
Nous proposons tout d’abord de codifier la réponse ministérielle Huyghe (n° 18632, 26 mai 2009) précisant que « la volonté des époux de maintenir les avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux (…) peut être manifestée dans le contrat de mariage » et sera respectée par le juge au moment du divorce.
Après ce point concernant la sécurité juridique, nous invitons le législateur à introduire :
- une clause reprenant le principe d’accroissement de valeurs mobilières (C. civ., art. 1406) ;
- la possibilité d’indexation générale, pour l’entreprise au moins (cf. régime franco-allemand) ;
- la confirmation que les modifications du contrat telles que prévues par le Code civil sont des avantages matrimoniaux au sens de l’action en retranchement ;
- la capacité à utiliser une clause d’emploi ou de remploi au regard des biens et sommes issus du patrimoine originaire (L’emploi à contre-emploi, P. Pineau, Droit & Patrimoine n° 224, avril 2013).
Faire place nette en supprimant des dispositions bancales
Plus que toiletter, il s’agirait aussi de supprimer deux articles qui font figure d’ovnis :
- l’article 14 la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989, lequel prévoit, pour le conjoint survivant du chef d’une entreprise artisanale, commerciale ou libérale qui justifie une participation directe et effective à l’activité de l’entreprise pendant au moins dix ans sans salaire ni bénéfices, un droit de créance (trois fois le Smic annuel dans la limite de 25 % de l’actif successoral)… avant de préciser que « le montant des droits propres du conjoint survivant dans les opérations de partage successoral et de liquidation du régime matrimonial est diminué de celui de cette créance » (par ailleurs soumise aux droits de succession) ;
- l’article 1387-1 du Code civil qui précise qu’en cas de divorce, si des dettes ou sûretés ont été consenties par les époux dans le cadre de la gestion d’une entreprise, le tribunal de grande instance peut décider d’en faire supporter la charge exclusive au conjoint qui conserve patrimoine professionnel ou, à défaut, qualification professionnelle ayant servi de fondement à l’entreprise (sans aucune ligne directrice donnée aux juges).
Développer la dot d’entreprise
Il nous semble que l’extension du système de dot (C. civ., art. 1438, réservé aujourd’hui à l’« établissement de l’enfant commun ») à la transmission d’entreprise pourrait avoir du sens : les parents sont « censés avoir doté chacun pour moitié, soit que la dot ait été fournie ou promise en biens de la communauté, soit qu’elle l’ait été en biens personnels à l’un des deux époux » – mais à charge d’indemnité dans ce dernier cas – l’enfant commun, lequel « bénéficie du double abattement » (BOI-ENR-DMTG-20-30-20-20, n° 1). Si la transmission familiale a du sens (comme l’ont démontré, chiffres à l’appui, lors de notre séminaire, messieurs Tardy – BPI – et Tourdjman – BPCE), cette proposition en a aussi.
Donner un cadre législatif au droit de jouissance spéciale
Autre point évoqué par Maître Frédéric Aumont lors du séminaire : pour la Cour de cassation, « le propriétaire peut consentir, sous réserve des règles d’ordre public, un droit réel conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien » (Cass. 3e civ., 31 octobre 2012, n° 11-16.304, « La Maison de poésie », s’appuyant sur C. civ., art. 544 et 1134). Un droit à développer pour s’adapter aux exigences modernes comme par exemple le besoin d’occuper partiellement des locaux de façon discontinue dans le temps ; un droit qui fait d’ailleurs l’actualité puisque la Cour de cassation vient à nouveau de trancher un point délicat en affirmant qu’« aucune disposition légale ne prévoyait qu’il soit limité à une durée de trente ans » (Cass. 3e civ., 8 septembre 2016, n° 14-26.953).
Et au-delà du droit civil…
Bien sûr, ces propositions ne peuvent se cantonner au droit civil. Sans entrer dans le détail, évoquons pêle-mêle deux points – et autant de griefs – qui mériteraient une évolution rapide :
- la diminution du droit de partage dont le taux exagérément accru (de 1,1 à 2,5 %) incite à fuir l’acte qui en est le fait générateur et nuit en conséquence à la sécurité juridique ;
- la suppression de la fiscalité punitive des cessions d’usufruits à durée fixe (taxés contre toute logique comme des revenus et non au titre des plus-values pour les cessions qui sont intervenues depuis le 12 novembre 2012 ; CGI, art. 13-5, 1° issu de LFR 2012, art. 15) alors même que l’administration a reconnu l’absence d’abus (avis CADF, aff. 2013-16 et 2012-53 auxquels elle s’est ralliée).
Quelques points parmi d’autres ! Il y a tant à faire…
1. Favoriser la transmission d’entreprise en France : diagnostic et propositions, rapport remis le 7 juillet 2015 à la demande du Premier ministre par Fanny Dombre-Coste, députée de l’Hérault.
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