Crédit immobilier : la fiducie-sûreté sur parts de SPV
Par Ladislas Manset, cofondateur de Pono Financial Solutions
Le marché du crédit immobilier aux entreprises se porte bien (encours de 309 Md€ fin 2020, croissance de 4,2 % par an depuis 2016). Pourtant, la conjoncture des dernières années aurait pu impacter l’attrait des acteurs du crédit pour ce secteur. Si les professionnels du crédit, en premier lieu les banques, ont pleinement joué leur rôle, c’est aussi grâce à la réassurance apportée par certaines garanties du crédit. Si les garanties traditionnelles sont largement connues des investisseurs, il existe un outil plus récent, et efficace d’un point de vue juridique et économique : la fiducie-sûreté sur parts de SPV.
La fiducie-sûreté sur parts de SPV (parts sociales de SCI ou titres de SAS) détenant un actif immobilier gagne rapidement ses lettres de noblesse auprès des acteurs du crédit au sens large : établissements de crédit spécialisés dans le financement immobilier, fonds de dette, crowdlenders immobiliers, Family Offices ou encore CGP désireux de faire investir leurs clients privés dans une classe d’actif appréciée, tout en bénéficiant de la grande sécurité qu’apporte la fiducie dans une opération de financement.
Voici un éclairage sur cet outil qui a le vent en poupe : rappel sur le régime juridique, mise en place et fonctionnement d’un point de vue opérationnel et enfin bénéfices pour les parties prenantes.
Rappel sur le régime de la fiducie
La fiducie est apparue en 2007 dans le droit français. Apparue ? Pas totalement, car la loi de 2007 a réintroduit un outil utilisé durant les siècles précédents, permettant de confier les biens d’une personne entre les mains d’un tiers de confiance, ce dernier en devenant le propriétaire légal, pour une durée limitée (quatre-vingt-dix-neuf ans maximum).
La fiducie de 2007 conserve cette originalité : une personne, le « constituant », qui transfère temporairement la propriété d’un bien ou d’un droit entre les mains d’un tiers de confiance – le fiduciaire – qui agit dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires, qui peuvent inclure le constituant. Le fiduciaire peut également être le bénéficiaire de la fiducie. C’est en particulier le cas lorsque le fiduciaire est un établissement de crédit et qu’il souhaite bénéficier de la fiducie-sûreté pour sécuriser le prêt octroyé.
Qui peut être fiduciaire ?
Des professions réglementées, au nombre de cinq : les établissements de crédit, les compagnies d’assurance et les entreprises d’investissement (EI) régulés par l’ACPR, les sociétés de gestion de portefeuille (SGP) régulées par l’AMF et enfin les avocats.
La fiducie-sûreté
Il s’agit d’une sûreté du crédit qui permet à un emprunteur, sous réserve de sa solvabilité, d’avoir accès au financement en mettant en garantie un bien – ou ensemble de biens, y compris de nature différente –, quel qu’il soit. Ce bien mis en garantie est « sanctuarisé » dans la fiducie, ce qui signifie que le prêteur, souvent une banque, bénéficie d’une protection efficace en cas de défaut de remboursement du prêt. Mais c’est aussi une source de réassurance pour l’emprunteur : en effet, en cas d’impossibilité de rembourser le prêt garanti, il est assuré que le bien confié ne sera pas vendu dans la précipitation et que le fiduciaire pourra maximiser la valeur de ce bien. En outre, l’emprunteur, surtout s’il est dirigeant d’entreprise, pourra plus facilement accéder au crédit sans avoir à consentir de garantie personnelle, par exemple une caution.
Les avantages de la fiducie-sûreté pour l’emprunteur
Pour les constituants emprunteurs, la fiducie permet tout d’abord d’avoir un accès au crédit dans de bonnes conditions de taux et de montant de dette. Ensuite, elle permet de protéger la valeur des actifs collatéralisés en cas de défaut de remboursement de la dette garantie et de réalisation de la sûreté.
En effet, dans le cadre des sûretés dites traditionnelles (hypothèque, gage, nantissement) qui n’entraînent pas un transfert de propriété du bien mis en garantie, la réalisation de la sûreté s’accompagne d’une voie d’exécution, par exemple une saisie immobilière, qui se prolonge par une mise en vente judiciaire du bien saisi. Ce processus est non seulement long, coûteux et néfaste pour la publicité des parties, mais la cession judiciaire du bien est également destructrice de valeur car ne s’improvise pas broker immobilier qui veut !
Dans le cadre de la fiducie, la vente du bien transféré s’effectue par le fiduciaire, de gré à gré et à des conditions qui ne sont pas différentes des conditions normales dans lesquelles le constituant-emprunteur lui-même mettrait son propre bien en vente.
Les conditions de cette vente sont arrêtées dans le contrat de fiducie. Les parties se mettent notamment d’accord dès la signature du contrat sur les conditions d’expertise et les conditions de commercialisation des biens mis en fiducie (désignation de l’expert, désignation du broker ou du conseil pour optimiser la valorisation du bien mis sur le marché). Dans ces conditions, la réalisation d’une fiducie-sûreté permet, au-delà du remboursement des créanciers, de permettre aux constituants-emprunteurs de maximiser les chances de recevoir un boni de liquidation (soulte) sur la vente du ou des actifs. Il n’est d’ailleurs pas rare que les contrats de fiducie prévoient que l’emprunteur conserve le contrôle de la vente de l’actif ce qui accroît son intérêt pour les emprunteurs, compte tenu de leur connaissance du marché. Par ailleurs, la fiducie peut être sensiblement moins chère que les autres sûretés. Par exemple, dans le cas d’une fiducie sur titres de société détenant un actif immobilier pour sécuriser le financement d’acquisition, la fiducie sera bien moins onéreuse que le coût de l’hypothèque (parfois jusqu’à cinq fois !) et son coût sera en outre lissé dans le temps alors que les coûts de constitution de l’hypothèque sont payés dès la signature du crédit par l’emprunteur.
Les avantages pour les prêteurs
La fiducie offre aux créanciers la protection la plus efficace du droit français qui lui a valu le surnom de « reine des sûretés » par la pratique. En effet, la fiducie-sûreté garantit au prêteur l’exclusivité de la valeur du ou des biens et droits transférés pour garantir le bon remboursement de la créance de prêt et également une immédiateté potentielle dans l’exercice de la garantie, selon que les actifs sont mis à disposition du constituant-emprunteur ou non :
- exclusivité : car les actifs transférés en fiducie, étant sortis du patrimoine du constituant emprunteur, échappent à la loi du concours entre créanciers ;
- immédiateté : si la fiducie est constituée avec dépossession (i.e. sans mise à disposition du bien ou du droit entre les mains du constituant) elle pourra être réalisée dès la survenance d’un cas de défaut au titre du crédit et ce, indépendamment de l’ouverture d’une procédure collective ouverte par ce dernier ;
- et traitement de la créance garantie dans le cadre de la réforme des restructurations : l’entrée en vigueur de la directive restructuration vient renforcer le rôle des créanciers garantis dans le cadre des procédures non liquidatives. L’efficacité de la sûreté est donc devenue un enjeu majeur du traitement du créancier dans le cadre des plans de restructuration.
Le fiduciaire peut mettre en vente le bien sans avoir besoin de le saisir dans le patrimoine de l’emprunteur puisque le transfert de propriété intervenu à l’origine, dès la conclusion de l’acte de fiducie, a eu pour effet de faire sortir ce bien du patrimoine de l’emprunteur. La mise en vente intervient en cas de défaut de paiement de la dette garantie. La possibilité de réaliser la fiducie-sûreté sans passer par une saisie et une vente judiciaire est évidemment un facteur de valeur ajoutée pour le prêteur-bénéficiaire en ce qu’elle garantit une optimisation de la valeur du bien mis en garantie dans le processus d’exécution de la sûreté.
Certains pourraient objecter que des garanties autres que la fiducie offrent un avantage similaire. Ainsi il est vrai qu’un prêteur peut assortir son hypothèque ou son gage d’un pacte commissoire par exemple, ou demander l’attribution judiciaire du bien mis en garantie devant le juge compétent, c’est-à-dire le transfert de propriété du bien au créancier en échange de l’extinction de la créance. Ces deux techniques de réalisation permettent en effet de recevoir la propriété du bien mis en garantie et offrent un potentiel d’éviction du concours des créanciers sur les biens de l’emprunteur. Cependant ces accessoires des sûretés traditionnelles sont, au-delà de leurs défauts structurels (rang non garanti, notamment), totalement inopérants dès que survient l’ouverture d’une procédure collective de l’emprunteur puisque leur mise en œuvre est interdite par le Livre VI du Code de commerce… précisément quand survient une procédure collective.
Le fonctionnement de la fiducie sûreté sur parts de SCI
Le fonctionnement de ce type de fiducie est très simple.
Le contrat de fiducie-sûreté
Le contrat prend la forme d’un acte sous seing privé d’une vingtaine de pages en moyenne et dont la grande majorité du contenu est standard. Il constitue une annexe au contrat de crédit. Il est signé par le ou les constituants qui apportent les parts sociales de la SCI en fiducie-sûreté et le fiduciaire-bénéficiaire, à savoir l’établissement de crédit ou l’entreprise d’investissement/société de gestion de portefeuille qui finance le constituant-emprunteur. Un fiduciaire tiers peut également s’interposer entre le prêteur et l’emprunteur et assumer le rôle de fiduciaire, notamment lorsque le prêteur n’a pas l’agrément nécessaire pour être fiduciaire (personnes physiques en direct ou via une structure dédiée). Bien entendu, la « désintermédiation » permet de limiter les coûts de l’opération, notamment subis par l’emprunteur. Les formalités d’un contrat de fiducie-sûreté sur parts sociales de SCI sont limitées. Outre la déclaration d’existence et l’enregistrement qui sont communs à tous les contrats de fiducie, les parties devront modifier les statuts de la SCI afin d’y faire apparaître le fiduciaire en qualité d’associé pour le compte de la fiducie. Enfin, considérant le ou les biens immobiliers sous-jacents, il peut être utile (mais pas obligatoire) de faire intervenir un notaire pour diligenter un audit desdits biens, en marge de la rédaction de l’acte de fiducie.
Mission du fiduciaire dans la fiducie-sûreté sur parts sociales de la SCI
La mission du fiduciaire consiste en une mission de conservation des actifs – les parts sociales de la SCI – jusqu’au remboursement de la dette garantie. Le fiduciaire devient donc associé, en agissant au nom et pour le compte de la fiducie, de la SCI. La mission se traduit en conséquence par une série de tâches administratives, opérationnelles ou juridiques aux fins d’assurer cette conservation.
Par principe, le fiduciaire n’intervient pas dans la gestion effective de la SCI qui reste à la main du gérant. Néanmoins, selon les statuts de la SCI, le fiduciaire en sa qualité d’associé pourra être consulté lorsque des décisions prises par le gérant revêtent un caractère exceptionnel, par exemple la vente ou l’affectation en garantie de biens détenus par la SCI. Le fiduciaire pourra s’opposer à de tels actes si le contrat de fiducie le prévoit ou plus largement s’il est raisonnablement estimé que ces décisions amoindrissent la protection offerte au prêteur-bénéficiaire de la fiducie. Dans tous les cas, le fiduciaire participe a minima aux assemblées générales ordinaires de la SCI. Dans ce cadre, il exerce son droit de vote et s’assure que les décisions soumises à ce vote ne contreviennent pas aux engagements pris par l’emprunteur. Traditionnellement, le fiduciaire exerce son droit de vote selon les recommandations du constituant (les recommandations sont non-liantes). Après la survenance d’un cas de défaut, il est fréquent que le contrat de fiducie stipule que le fiduciaire exerce son droit de vote en suivant les instructions des bénéficiaires.
Mission spéciale de réalisation de la fiducie-sûreté de parts sociales de la SCI
Cette mission spéciale est déclenchée lors de la survenance d’un cas de défaut au titre du remboursement de la dette garantie. La procédure est simple. Lorsque le fiduciaire est lui-même le prêteur (la banque, par exemple), la survenance du cas défaut lui permet de conserver la propriété des parts sociales ou de les vendre sur le marché.
Lorsque le fiduciaire n’est pas le prêteur, il reçoit une notification de réalisation adressée par le bénéficiaire-prêteur de la fiducie. La notification vise le cas de défaut prévu au titre du contrat de prêt et instruit le fiduciaire de mettre en vente le ou les biens mis en fiducie, à savoir les parts sociales de la SCI. Le fiduciaire procède alors à la récupération de la part sociale résiduelle (cf. supra) afin de pouvoir vendre l’intégralité des parts de la SCI sur le marché. Comme évoqué précédemment, l’originalité de la fiducie-sûreté tient à son mode de réalisation : confidentielle et à une valeur de marché. Alternativement, le fiduciaire peut utiliser les parts sociales qu’il détient pour convoquer une assemblée générale de la SCI et procéder à la vente du ou des biens immobiliers sous-jacents. Il devra dans ce cas porter un soin tout particulier au passif sous-jacent de la société dont il cède le ou les biens.
Le fiduciaire peut même – si le contrat le prévoit – octroyer à l’emprunteur un délai afin que celui-ci procède à la vente des parts de la SCI ou à la vente du bien sous-jacent pour désintéresser de manière amiable le bénéficiaire de la fiducie.
Comptabilité et fiscalité du transfert des parts sociales de SCI en fiducie
La revue comptable de la fiducie est obligatoire dès la signature du contrat. Cette obligation permet notamment d’assurer la bonne ségrégation des actifs fiduciaires vis-à-vis du patrimoine du constituant, du fiduciaire et de l’éventuel bénéficiaire. Elle est ainsi la reconnaissance concrète de l’autonomie patrimoniale de la fiducie. En pratique, l’expert-comptable de la fiducie est désigné par les parties signataires. Un commissaire aux comptes est également désigné si la comptabilité du constituant est sujette à la revue d’un tel professionnel (rarement dans le cas de SCI).
Du point de vue comptable, les actifs fiduciaires sont, dans la très grande majorité des cas, transférés dans la fiducie à leur valeur nette comptable. Le transfert s’effectuant à la valeur nette comptable, il ne génère pas en tant que tel de plus-value imposable. La valeur nette comptable retenue sera la valeur qui figure au bilan du constituant avant la signature de la fiducie. Un actif ayant une valeur « de couverture » importante (immeuble de bureaux en centre-ville bien valorisé sur le marché) sera transféré en fiducie à une valeur nette comptable inférieure à sa valeur vénale si le bien est détenu depuis longtemps par le constituant et qu’il a été amorti. Cet écart n’a aucune incidence sur la valeur économique du bien et sur la protection offerte par la fiducie au prêteur. Si le constituant est une personne physique, à défaut de valeur bilantielle, la valeur retenue sera le plus souvent la valeur historique d’acquisition du bien mis en garantie. Pendant la durée du contrat de fiducie, les revenus tirés des actifs fiduciaires (par exemple les dividendes de la SCI ou les loyers perçus par cette dernière quand la SCI est transparente) seront imposés directement au niveau du patrimoine du constituant.
La fiducie sur titres de SAS détenant un actif immobilier fonctionne de façon très similaire à la fiducie sur parts de SCI. La principale différence réside dans le fait que la modification statutaire n’est pas obligatoire dans le cas d’une fiducie sur titres de SAS.
Utilisateurs et bénéficiaires de la fiducie
La fiducie crée un climat de confiance entre prêteur et emprunteur. Elle permet donc de donner accès au crédit à des conditions optimales. En pratique, les banques actives sur le marché du financement immobilier sont particulièrement désignées pour recourir à ce type d’outil : commercialement, il permet de réduire le coût d’accès au financement immobilier (par rapport, par exemple, à l’hypothèque). Du point de vue du risque de défaut, la fiducie offre une protection incomparable face au risque d’insolvabilité de l’emprunteur et une optimisation de la valeur de l’actif en phase de réalisation. Ce constat vaut aussi, bien sûr, pour les acteurs du financement alternatif immobilier (foncières, fonds de dette immobilière, crowdlending) qui trouvent dans la fiducie un moyen de sécuriser leurs opérations et d’attirer des investisseurs sur leur plate-forme.
Logiquement, les opérateurs du marché immobilier qui doivent régulièrement constituer des sûretés sur les actifs immobiliers qu’ils financent (en direct ou via des sociétés créées pour les besoins de l’acquisition) trouveront également dans la fiducie de nombreuses vertus. En particulier les promoteurs et marchands de biens. Cependant les particuliers désireux de financer l’achat de biens immobiliers (à titre résidentiel ou commercial) bénéficieront aussi de l’efficacité, tant économique que juridique, de la fiducie-sûreté. La fiducie leur offre un surplus de sécurité appréciable pour des projets d’investissement structurants à l’échelle d’un patrimoine privé.
Quels obstacles ont empêché la « vague fiducie » de déferler sur la pratique du financement immobilier jusqu’à maintenant ? Une certaine confidentialité de l’outil très certainement, ainsi que les coûts de gestion historiquement élevés pratiqués par les fiduciaires tiers de la place. Cependant, la désintermédiation en cours du marché (de nombreuses banques et sociétés de gestion deviennent fiduciaires) et la diffusion du savoir-faire permettent de multiplier les usages, tout en ayant une saine concurrence sur les coûts de gestion fiduciaire. Ce phénomène de marché explique la popularité croissante depuis 2020 de la fiducie dans les opérations immobilières financées par des professionnels ou des particuliers.
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