Sortie des minoritaires des sociétés civiles : problématique et parades possibles
Par Jean-Francois Lucq, directeur de l’ingénierie patrimoniale de Banque Richelieu
C’est souvent au moment de la constitution que la société civile est présentée sous son plus beau jour. Elle permet notamment de dissocier la propriété et le pouvoir, en confiant ce dernier aux ascendants alors même que les descendants en sont les propriétaires. Elle ressemble en cela au trust anglo-saxon si souvent vanté pour ses mérites. Après la disparition des parents, elle permet également aux descendants d’éviter les aléas de l’indivision, mettant ceux d’entre eux désireux de conserver un bien de famille à la merci d’un co-indivisaire les obligeant à vendre le bien, faute d’avoir les ressources financières pour lui racheter sa quote-part.
Mais la société civile a aussi sa face sombre, avec des associés enfermés dans d’inextricables querelles, trouvant sur le terrain judiciaire de larges développements.
En réalité, c’est dès sa conception que les fondateurs, qui sont le plus souvent les ascendants, doivent anticiper les conflits potentiels pour éviter ces querelles futures. Il est tout à fait logique, lorsque l’objet de la société civile est une maison de famille d’une grande valeur, de ne pas permettre à certains descendants de prendre en otage les autres en les obligeant à vendre. Pour autant, il serait cruel de condamner les minoritaires à rester, eux et leurs descendants, leur vie durant dans une société à laquelle ne les relie aucun « affectio societatis », surtout s’il n’est qu’une source de coûts récurrents... C’est pourtant la conséquence directe d’une durée statutaire de la société de 99 ans, comme on le voit trop souvent. Dans une telle configuration, les minoritaires ne pourront pas obliger les autres associés à vendre le bien détenu par la société. Mais s’ils souhaitent céder leurs titres, les majoritaires pourront leur imposer en toute tranquillité des décotes importantes sur la valeur de leurs parts, que l’on pourra juger contraires à l’équité.
Il est toutefois possible de concilier ces contraintes de sens opposé en jouant sur la durée de la société. En retenant une durée de vie plus courte, par exemple de 25 ans, ou bien une durée de vie liée au sort de certains associés fondateurs (terme de la société fixé à 10 ans à compter du décès de ceux-ci), les ascendants laisseront aux majoritaires le temps de mobiliser les capitaux nécessaires au rachat des parts des minoritaires. Si ces derniers jugent le prix proposé insuffisant, il leur suffira d’attendre le terme contractuel prévu pour revenir à une situation d’indivision dont ils pourront sortir à tout moment.
Bien sûr, en cas d’entente entre associés, rien n’interdit, avant d’atteindre la date fixée par les statuts, de proroger sa durée en tant que de besoin.
Plus délicate est la situation où certains descendants, à l’inverse, sont concurrents dans le rachat des parts des autres associés, pouvant à terme aboutir à une situation à 50/50 source de blocage entre eux. La mise en place d’une clause américaine (dite également clause shot gun) peut être ici la solution. Elle consiste, à une échéance donnée, à obliger un des associés à indiquer un prix pour l’ensemble des parts sociales. A ce prix, le ou les autres associés ont le choix, soit de lui vendre leurs parts, soit de lui racheter les siennes. Cette technique oblige celui qui donne une estimation à en fournir une aussi proche que possible de la réalité.
Les fâcheries familiales autour d’une société civile ne sont donc pas une fatalité. A condition d’anticiper.
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