La donation rémunératoire : un fondement méconnu mais toujours utile !
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La donation rémunératoire est une arme utile pour l’époux qui souhaite contrer la qualification et les conséquences d’une donation indirecte (Cass. civ. 09/02/2022).
Ce qu’il faut retenir
En principe, l’opération par laquelle un époux remet à son conjoint une somme d’argent sans contrepartie est qualifiée de donation pure et simple. Or, cette qualification entraîne les conséquences suivantes :
- l’opération est une libéralité, rapportable à la succession du donateur ;
- elle est librement révocable si elle a été consentie avant le 1er janvier 2005 ; elle ne l’est plus après cette date ;
- elle est imposable aux droits de mutation à titre gratuit.
Pour échapper à ces impacts civils et fiscaux, le donataire peut avoir intérêt à invoquer l’existence d’une donation rémunératoire, faite en récompense de services rendus au donateur. Cette donation est particulière dans la mesure où elle ne respecte pas une des conditions de fond inhérentes aux libéralités : l'absence de contrepartie.
A cet effet, le donataire devra démontrer que cette somme lui a été remise en contrepartie de sa contribution excessive aux charges du mariage.
Tel est le cas du conjoint qui justifie avoir abandonné son travail pour s’occuper de manière plus soutenue de ses enfants et de son conjoint (Cass. civ. 1, 9 fév. 2022, n° 20-14272).
Conséquences pratiques
Pourquoi invoquer la "donation rémunératoire" ?
En pratique, la donation rémunératoire est invoquée dans deux types de contentieux :
- en matière de divorce :
* des époux ont acquis un bien en indivision. L’un d’entre eux a financé la totalité du bien indivis, puis demande le remboursement de sa créance à l’indivision : l’époux qui n’a rien payé va invoquer la donation rémunératoire (ou la donation pure et simple) pour neutraliser la créance ;
* en époux a fait une donation à son conjoint avant le 1er janvier 2005, qu’il souhaite révoquer : l’époux gratifié va invoquer la donation rémunératoire pour neutraliser la révocation ;
- en matière successorale : au cours de sa vie, une personne mariée a remis un bien à son conjoint. Si cette opération est qualifiée de donation simple (par application de la règle du rapport civil), il en sera tenu compte au jour du partage des biens de la succession du donateur (pour le calcul de la réserve héréditaire et de la masse partageable). Le cas échéant les héritiers réservataires (les enfants) pourraient obtenir des indemnités de rapport et/ou de réduction. L'ex-conjoint gratifié va invoquer la donation-rémunératoire pour éviter l'application de cette règle.
De manière synthétique, les différences qui existent entre la donation pure et simple et la donation rémunératoire sont les suivantes :
| Donation pure et simple | Donation rémunératoire |
Rapport civil | oui | non |
Imposition aux droits de mutation | oui | non |
Révocation libre de la donation consentie avant le 1er janvier 2005 | oui | non |
Créance contre l’indivision en cas de financement total d’un bien indivis | non | non |
Comment prouver la contribution excessive aux charges du mariage ?
Les juges apprécient au cas par cas le caractère excessif de la contribution aux charges du mariage.
Généralement, l’époux contribue au-delà des charges qui lui incombent lorsque :
- soit il a collaboré bénévolement et au-delà de ses devoirs issus du mariage à l’activité professionnelle de son conjoint ;
Remarque : Depuis le 1er janvier 2022, le statut de conjoint collaborateur est limité à 5 ans. A l'issue des 5 ans, le collaborateur est radié et doit choisir entre le statut d'associé ou de salarié (C. com. art. L. 121-4, IV bis ; C. com. art. L. 661-2). Cette réforme pourrait avoir pour effet de réduire les cas de collaborations entre époux non rémunérées pour l’avenir.
- soit les juges estiment qu'il a "sacrifié" sa vie professionnelle pour se consacrer aux soins du ménage.
Cass. civ. 1, 8 fév. 2000, n° 98-10846 ; Cass. civ. 1, 19 oct. 1999, n° 97-10258 ; Cass. civ. 1, 20 mai 1981, n° 80-11544.
Dans le second cas, les juges qualifient les sommes "données" de "rémunératoires" à proportion de la rémunération à laquelle l’époux aurait pu prétendre (y compris à la retraite) s’il n’avait pas cessé son activité professionnelle (estimée en fonction de ses diplômes et de ses expériences professionnelles).
En l'espèce, la Cour a accepté la demande de l'époux qui invoquait la requalification de sommes qu'il a reçues (d'un montant égal à 457 000 €) en donation rémunératoire, puisqu'il disposait d'une qualification et d'une expérience professionnelle qui lui auraient permis de faire carrière dans la publicité et de créer son propre cabinet (Cass. civ. 1, 9 fév. 2022, n° 20-14272).
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