Immobilier d’entreprise : la mort du bail « triple net »
Par Aurélie Pouliguen-Mandrin et Nicolas Sidier, tous deux avocats à la Cour
La loi dite Pinel du 18 juin dernier modifiant les dispositions du Code de commerce relatives au bail commercial et qui a été abondamment commentée y compris par nous-mêmes, renvoyait pour son application à un décret pris en Conseil d’Etat qui était d’autant plus attendu par les praticiens qu’une version non signée circulait depuis près de deux mois sans que l’on sache si celle-ci verrait le jour ou non.
Certains nourrirent à cet égard l’espoir que les hésitations du gouvernement à publier le décret, trouvaient leur origine dans une soudaine compréhension de ce que ce texte n’était sans doute pas aussi vertueux qu’il le prétendait.
Ils en seront pour leur compte puisqu’aucune amélioration n’a été apportée au projet.
De la question des charges du preneur
Le décret comporte huit articles de fond (et un neuvième sur ses conditions d’application dans le temps) dont l’un relatif à la question de la répartition des différentes charges (impôts, travaux, taxes, honoraires…) était particulièrement attendu.
C’est sur ce point que portent nos commentaires.
Il s’agissait jusqu’ici d’une question laissée au domaine de la liberté contractuelle colorée par une jurisprudence globalement inspirée par les règles du Code civil relatives à l’interprétation des conventions (favorable à la partie débitrice des obligations), quitte à développer notamment, une conception très extensive de l’obligation de délivrance pesant sur le bailleur.
Le décret simplifie redoutablement le débat puisque désormais ne peuvent être mis à la charge du preneur : « 1° Les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l’article 606 du Code civil ainsi que, le cas échéant, les honoraires liés à la réalisation de ces travaux ; 2° Les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité avec la réglementation le bien loué ou l’immeuble dans lequel il se trouve, dès lors qu’ils relèvent des grosses réparations mentionnées à l’alinéa précédent ; 3° Les impôts, notamment la contribution économique territoriale, taxes et redevances dont le redevable légal est le bailleur ou le propriétaire du local ou de l’immeuble ; toutefois, peuvent être imputés au locataire la taxe foncière et les taxes additionnelles à la taxe foncière ainsi que les impôts, taxes et redevances liés à l’usage du local ou de l’immeuble ou à un service dont le locataire bénéficie directement ou indirectement. 4° Les honoraires du bailleur liés à la gestion des loyers du local ou de l’immeuble faisant l’objet du bail ; 5° Dans un ensemble immobilier, les charges, impôts, taxes, redevances et le coût des travaux relatifs à des locaux vacants ou imputables à d’autres locataires. Ne sont pas comprises dans les dépenses mentionnées au 1° et 2° celles se rapportant à des travaux d’embellissement dont le montant excède le coût du remplacement à l’identique ».
C’est bien la mort du bail « triple net » comme annoncé par la loi, sans toutefois que l’apparente simplicité de la rédaction, ne soulève de nouvelles questions qui animeront vraisemblablement de nouveaux contentieux.
En attendant, nul doute que la réforme constitue un bouleversement majeur qui appelle d’ores et déjà les trois observations suivantes.
Les règles relatives à la répartition, des charges deviennent d’ordre public
L’article 6 du décret a été pris en application d’un article nouveau L. 145-40-2 du Code de commerce qui, au regard de sa numérotation, est considéré comme d’ordre public.
Le dernier alinéa de cet article prévoyait que certaines charges ne pourraient être, en raison de leur nature, imputées au locataire et prévoyait leur détermination dans le cadre d’un décret pris en Conseil d’Etat.
C’est bien l’objet de l’article 6 du décret lequel crée trois nouveaux articles R.145-35 à R.145-37 du Code de commerce.
Les parties ne pourront donc pas déroger aux règles relatives à la répartition des charges, taxes et impôts, mettant ainsi un terme à une pratique qui trouvait sa justification dans le caractère supplétif des dispositions du Code civil jusqu’alors seules applicables.
Toute clause contraire à ces dispositions serait réputée non écrite comme le prévoit la nouvelle rédaction de l’article L.145-15 du Code de commerce.
L’application dans le temps du décret
L’article 8 du décret prévoit que les dispositions relatives à la répartition des charges entre locataire et bailleur sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter de sa publication, soit le 3 novembre 2014.
Tous les contrats de baux commerciaux, ainsi que tous les actes de renouvellement conclus à compter du 3 novembre 2014, sont donc soumis à ces nouvelles dispositions impératives.
La nouvelle répartition impérative des charges n’est en revanche pas applicable aux contrats en cours, en ce compris ceux conclus entre la promulgation de la loi du 18 juin 2014 et son décret d’application.
Le premier alinéa de l’article 8 vise l’application immédiate aux contrats en cours, des autres dispositions du décret lesquelles ne sont pas étudiées dans le présent commentaire (le point de départ du congé donné par lettre recommandée, etc…).
Sur les embellissements
Le dernier alinéa de l’article R.145-35 du Code de commerce (article 6 du décret) prévoit que ne sont pas comprises dans les dépenses mentionnées au 1° et 2° de l’article (soit les grosses réparations de l’article 606 ainsi que les dépenses liées à la vétusté, la mise en conformité, dès lors qu’elles relèvent des grosses réparations), celles se rapportant à des travaux d’embellissement dont le montant excède le coût du remplacement à l’identique.
Cette disposition, pour le moins obscure, sera à n’en pas douter abondamment discutée.
A ce stade, deux difficultés majeures se dessinent :
- celle de la qualification de la nature des travaux en cause, qui sera déterminante pour résoudre la question de leur prise en charge.
- celle du coût des travaux, lequel devra systématiquement être évalué/déterminé pour être comparé à celui du remplacement à l’identique des biens ou équipements en cause.
Cette rédaction amène d’ores et déjà à se demander si :
- les travaux d’embellissement pourraient être assimilés à de grosses réparations au sens de l’article 606 du Code civil ?
- les dépenses se rapportant à des travaux d’embellissement dont le montant excède le coût du remplacement à l’identique pourront être supportées par le locataire et dans l’affirmative, dans quelle proportion ? S’agit-il juste de la partie supérieure au coût supplémentaire ou de la totalité des travaux concernés.
A n’en point douter, cette dernière disposition ne simplifiera pas les relations entre bailleurs et locataires.
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