Succession Hallyday : un cas pratique pour les CGP
Formateur en droit patrimonial à l’AUREP, Pascal Pineau commente pour Profession CGP le litige successoral opposant les membres du clan Hallyday. Un véritable cas pratique pour les CGP, arrivant quelques mois après des arrêts de la Cour de cassation mettant déjà en cause la réserve héréditaire dans deux successions californiennes.
Profession CGP : En tant que responsable pédagogique du DU IPCE de l’Université Clermont Auvergne, et formateur en droit patrimonial à l’AUREP, que pensez-vous de ce formidable cas pratique de la succession de Johnny Halliday pour les étudiants en gestion de patrimoine ?
Pascal Pineau : La gestion de patrimoine est au cœur de la vie – et de la mort – de personnes qui sont plus ou moins connues. Je ne suis guère au fait de l’actualité « people », mais difficile de passer à côté de la succession Hallyday en ce moment ! Un coup de projecteur qui bénéficiera, à n’en pas douter, à notre formation DU GIP (Gestion internationale du patrimoine) ! Concernant cette affaire largement médiatisée, il manque, sans doute, encore beaucoup d’éléments, mais il semble que le testament dirige l’ensemble du patrimoine vers l’épouse, Laeticia. Au grand damne des enfants non communs, David et Laura ! Un cas fréquent dans les familles recomposées. En France, il existe des limites, à savoir la réserve héréditaire qui protège les enfants, en valeur si ce n’est en nature (l’action en réduction du legs donne, en principe, lieu à règlement d’une indemnité). Ailleurs, les choses peuvent être très différentes… Et désormais, s’agissant des successions internationales, la réserve héréditaire française n’a plus rien de « sacré » : n’étant pas considérée comme d’ordre public, elle peut être remise en cause…
PCGP : Que dire effectivement de la jurisprudence de l’année dernière (succession Jarre, entre autres) qui soulève la notion de la situation de précarité économique ou de besoin ?
Pascal Pineau : Il n’est pas impossible que le cas de Johnny s’apparente à deux affaires récentes, concernant des compositeurs français établis de longue date en Californie – Messieurs Maurice Jarre et Michel Colombier. Ils ont pu, au bénéfice de la loi californienne, priver les enfants nés de leurs premières unions de toute part dans leur succession. La Cour de cassation a en effet affirmé, dans l’affaire Jarre, qu’« une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels », c’est-à-dire une « situation de précarité économique ou de besoin » du côté de l’enfant (Cass. 1e civ., 27 sept. 2017, n° 16-17.198). Il s’agirait donc d’aller chercher du côté des obligations alimentaires, notions intégrées dans certaines législations anglo-saxonnes (concept de family provision, à prendre sur la succession le cas échéant). Je doute que cet angle d’attaque soit pertinent concernant les enfants Hallyday….
PCGP : Cette bataille juridique s’annonce longue. Cette succession va sans nul doute tenir en haleine les professionnels du patrimoine ? Que préconisez-vous désormais dans les conseils adressés au client ?
Pascal Pineau : Il faudra être attentif à la loi applicable. Si c’est bien la loi californienne, et qu’elle n’a pas été instrumentalisée frauduleusement, alors elle l’emportera. La question du testament se posera : s’il a été établi tardivement, peut-être sa validité sera-t-elle contestée. Je n’ai, bien sûr, aucune information en la matière.
En tous cas, le temps de la justice n’est pas forcément celui que voudraient les justiciables. Même si la décision a certainement semblé longue à venir pour les parties, dans les affaires Colombier et Jarre, ces dernières n’ont pas été si longues que cela… Mon conseil aux clients : faire son testament n’a jamais fait mourir personne ! Autant que faire se peut, il faut qu’ils anticipent leur succession et fassent preuve de pédagogie auprès des différents acteurs… du moins s’ils souhaitent limiter les risques de conflit au sein de leur famille. Nombre de successions se passent mal, car elles sont à la fois mal préparées et mal expliquées. Le rôle du conseiller en gestion de patrimoine se joue aussi à ce stade, et je pense en particulier aux chefs d’entreprise qui doivent anticiper la transmission de leur outil professionnel, entre vifs ou à cause de mort. L’actualité nous ramène parfois brutalement à la réalité : ainsi la disparition de Pierre Agnès, PDG du groupe QuickSilver, au large des côtes françaises…
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