Louer sur Airbnb : le choix du local commercial ?
Par Xavier Demeuzoy, avocat, cabinet Demeuzoy Avocat
Face aux contraintes imposées pour les locaux à usage d’habitation, transformer un local commercial en une location meublée touristique peut se montrer très attractive pour les investisseurs. Mais une telle opération nécessite de bien maîtriser les règles d’urbanisme et de copropriété. Car la réglementation d’urbanisme et la jurisprudence se durcissent de plus en plus.
Aujourd’hui, de nombreuses villes de France sont au cœur du marché des locations meublées touristiques de type Airbnb. De plus en plus de propriétaires fonciers ou investisseurs locatifs choisissent l’exploitation des locaux à travers la location meublée touristique plutôt qu’à travers la location classique.
A l’heure du plafonnement des loyers à Paris depuis le 1er juillet 2019, la location classique perd de son intérêt lorsque l’on réalise que l’exploitation des appartements par la location de type Airbnb rapporte deux à trois fois plus qu’une location traditionnelle par le biais de baux de moyenne ou longue durée.
Les caractéristiques principales de l’activité de location meublée sont les suivantes : des locations de courte durée, parfois seulement une ou deux nuits, ainsi qu’un montant du loyer à la nuitée, assorties dans certains cas de prestations de ménage et petit-déjeuner.
Face à la multiplication de ces activités, Paris et d’autres grandes villes françaises (Lyon, Bordeaux, Toulouse, Nice, etc.) ainsi que certaines stations balnéaires ont mis en place un véritable arsenal réglementaire afin de réguler la pratique.
En effet, face au développement des activités de location de courte durée, il convenait d’assurer le maintien d’un certain équilibre sur le marché immobilier. Dans plusieurs des villes concernées, l’essor d’Airbnb a été tellement important que le marché immobilier classique, notamment étudiant, s’est retrouvé saturé.
Une pratique encadrée par les politiques d’urbanisme de la ville
A Paris, la réglementation établie par la mairie est relativement simple à comprendre. Elle impose certaines restrictions à l’activité de location meublée touristique dans les locaux d’habitation. Ces restrictions, que l’on retrouve notamment à l’article 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, varient en fonction du type de résidence : principale ou secondaire.
Selon l’article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, la résidence principale est définie comme le logement occupé au moins huit mois par an (sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure), soit par le propriétaire (ou son conjoint), soit par le preneur (le locataire) où la personne avec laquelle il vit, soit par une personne à charge.
On considère donc que la résidence principale est définie comme le logement dans lequel le propriétaire réside au moins huit mois dans l’année. Dans ces conditions, il est possible pour le propriétaire de mettre son logement en location meublée de courte durée dans la limite de cent vingt jours par an.
Au-delà de cette durée, le propriétaire doit procéder au changement d’usage du local. En effet, si la location meublée touristique couvre plus de quatre mois par an (cent vingt jours), cela signifie que le propriétaire n’y passe pas huit mois (ou plus) par an et n’y établit donc pas sa résidence principale.
Ainsi, tout logement qui est occupé par le propriétaire moins de huit mois par an constitue alors sa résidence secondaire. Dans cette hypothèse, le propriétaire de l’appartement devra solliciter auprès des services d’urbanisme une autorisation de changement d’usage.
La nécessité d’une telle autorisation est justifiée par le caractère commercial de l’activité de location meublée touristique. Ainsi, le logement qui est loué sur des plates-formes de type Airbnb plus de cent vingt jours par an devient le siège d’une activité commerciale, et suppose donc que le local soit à usage commercial.
L’autorisation doit être assortie d’une « compensation ». Celle-ci consiste à transformer un local n’ayant pas un usage d’habitation en local à usage d’habitation afin de compenser le changement d’usage du premier local et de maintenir une offre de logements pour la commune. Le demandeur la propose sur son propre patrimoine ou sur le patrimoine d’un tiers qui lui cède cette possibilité à titre onéreux ou gratuit.
Cela suppose généralement d’acheter une surface équivalente d’un local commercial ou d’acquérir de la commercialité, ce qui s’avère très coûteux dans la plupart des cas.
Par ailleurs, le loueur doit nécessairement procéder à la déclaration de son meublé de tourisme auprès de la mairie. Cette démarche est purement déclarative et permet au propriétaire d’obtenir un numéro d’enregistrement qui devra figurer dans chacune des annonces concernant un même bien. Si plusieurs locaux sont utilisés dans le cadre de la location meublée touristique, alors il convient de faire une déclaration par local pour avoir des numéros distincts.
Des réglementations ayant un objectif similaire ont vu le jour dans différentes communes et régions de France. A cet égard, on peut notamment citer Lyon, Bordeaux, Nice, ou certaines stations balnéaires.
Le local commercial, une faille particulièrement rentable pour les investisseurs
Face à l’arsenal réglementaire de certaines villes, un nombre grandissant de propriétaires investit dans des locaux commerciaux pour les transformer en location meublée touristique. En effet, il n’existe aucune limite de durée pour exercer une activité de location saisonnière dans un local commercial. Ainsi, tout propriétaire d’un tel local peut le transformer et le mettre en location meublée touristique sur toute l’année, ce qui rend un tel investissement particulièrement rentable.
Cependant, l’investissement dans les locaux commerciaux à transformer en location meublée touristique n’est pas sans risque et les propriétaires restent soumis à certaines obligations sur le plan de l’urbanisme.
Par exemple, le propriétaire d’un local commercial doit solliciter le changement de destination du local (et non son changement d’usage comme pour les locaux d’habitation). Le changement de destination (R.151-27 et R.151-28 du Code de l’urbanisme) suppose un changement de destination. Les destinations sont au nombre de cinq : exploitation agricole et forestière, habitation, commerce et activités de service, équipements d’intérêt collectif et services publics et autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire.
L’article suivant du même Code précise les différents types de sous-destinations incluses dans chacune des destinations. Pour la destination de commerce, on retiendra les sous-destinations suivantes : artisanat et commerce de détail, restauration, commerce de gros, activités de services où s’effectue l’accueil d’une clientèle, hébergement hôtelier et touristique, cinéma.
L’arrêté du 10 novembre 2016 définit les destinations et sous-destinations. L’activité de location meublée touristique correspond à la sous-destination « hébergement hôtelier et touristique » au sein de la même destination « commerce ».
Il convient, par ailleurs, de consulter le plan local d’urbanisme, afin de vérifier que la parcelle cadastrale concernée n’est pas une zone soumise à la protection de l’artisanat, ce qui supposerait que le changement de destination du commerce soit interdit.
Ainsi, il revient au propriétaire la responsabilité de procéder, auprès de la mairie compétente, à une déclaration préalable pour le changement de destination du local vers la destination « hébergement hôtelier et touristique ».
Enfin, et pour les besoins de cette démarche, le propriétaire devra justifier à la mairie d’un respect de certaines informations, par exemple le respect d’une distance minimum entre la fenêtre du local et le mur en face. Attention, on assiste à une plus grande sévérité de la mairie de Paris pour s’assurer de la régularité des dossiers.
En dehors des considérations d’urbanisme, qui restent généralement surmontables, les propriétaires doivent s’assurer que l’installation de l’activité de location meublée touristique ne sera pas incompatible avec les stipulations du règlement de copropriété.
La copropriété et les risques de restriction de l’activité
Tout d’abord, on rappelle que le locataire d’un bien immobilier (habitation ou commerce) doit nécessairement obtenir l’accord de son propriétaire s’il souhaite mettre le bien concerné en sous-location, par exemple sur des plates-formes de type Airbnb.
En copropriété, les possibilités offertes au propriétaire d’un bien immobilier dépendront majoritairement de l’usage du lot, comme il est décrit dans le règlement de copropriété, et de la présence – et le cas échéant, de la rédaction – d’une clause d’habitation bourgeoise.
L’article 8 de la loi du 10 juillet 1965 dispose que « Le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble, telle qu’elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation ».
Ainsi, le propriétaire d’un local peut jouir de celui-ci librement tant qu’il ne contrevient ni à la tranquillité de ses copropriétaires ni à la destination de l’immeuble.
Ce principe est généralement rappelé au règlement de copropriété, mais est toujours assorti de limites, notamment sur l’occupation des locaux.
A cet égard, certains règlements de copropriété peuvent prévoir l’interdiction de certains types de locations ou soumettre ces dernières à autorisation des copropriétaires. Certaines clauses du règlement peuvent affecter une certaine occupation à une certaine catégorie de lot. Généralement, une telle clause est rédigée ainsi : « les appartements ne pourront accueillir que l’habitation bourgeoise… ». En ce sens, les règlements de copropriété prévoient généralement ce que l’on peut appeler une clause d’habitation bourgeoise simple ou exclusive.
En droit, la clause d’habitation bourgeoise désigne une clause d’un règlement de copropriété permettant au
locataire d’utiliser les locaux privatifs pour l’habitation personnelle, mais aussi pour l’exercice d’activités professionnelles libérales, à la différence de la clause d’habitation bourgeoise exclusive qui, elle, interdit purement et simplement toute activité professionnelle ou commerciale.
Dans les deux cas, l’activité commerciale est exclue, ce qui constitue nécessairement une restriction à la liberté d’usage et de jouissance des propriétaires sur leur partie privative. Il est donc généralement plus compliqué d’exercer une activité de location meublée touristique lorsque vous êtes propriétaires d’un local à usage d’habitation, puisque ce type de lot sera généralement affecté soit exclusivement à l’habitation bourgeoise, soit également ouvert aux professions libérales.
En présence d’une telle clause, il est nécessaire de la faire analyser par un professionnel pour en déterminer le champ d’application.
A l’inverse, un local commercial peut, en principe, accueillir tout type d’activité commerciale, ce qui inclut l’activité de location meublée touristique.
Toutefois, il convient de vérifier si la location meublée est interdite ou autorisée par le règlement. Il convient également de vérifier s’il est fait mention d’une interdiction concernant l’organisation de « chambres garnies » ou le « commerce de meublés ». En tout état de cause, toute restriction à la jouissance des parties privatives, pour être légale, doit être justifiée par le respect de la destination de l’immeuble, conformément à l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965. Il conviendra donc de déterminer la destination de l’immeuble.
La réglementation d’urbanisme et la jurisprudence se durcissent…
Sur le plan de la copropriété, une décision isolée du tribunal de grande instance de Créteil en 2017 semblait remettre en cause la liberté offerte aux propriétaires de locaux commerciaux dans des problématiques de copropriété.
A cette occasion, le tribunal retenait notamment qu’une autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires pourrait être exigée pour la transformation de la destination d’un local commercial, et ce même en présence d’une destination commerciale habitation et commerces au sein de l’immeuble.
Cette position restrictive semble être reproduite aujourd’hui dans une jurisprudence très récente de la Cour d’appel de Paris (Cour d’appel de Paris, pôle 4 - chambre 2, 9 octobre 2019, n° 17/00737).
En effet, la Cour considère en l’espèce qu’une activité de location meublée touristique peut être incompatible avec le règlement de copropriété, alors même qu’il s’agit d’une activité commerciale et que le règlement consacre une destination mixte de l’immeuble. Cet arrêt particulièrement sévère ne présage pas pour autant de la fin de l’activité de type Airbnb touristiques dans les locaux commerciaux, puisque d’autres décisions maintiennent la vision plus libérale qui est constante depuis plusieurs années (voir par exemple, pour un cas récent : Cour d’appel de Paris, pôle 4 - chambre 2, 25 septembre 2019, n° 15/17755).
Sur le plan de l’urbanisme, le décret n° 2019-1104 du 30 octobre 2019 est censé faciliter les contrôles de la Ville de Paris pour détecter les logements loués sur Airbnb sans autorisation et développer les poursuites judiciaires des propriétaires en infraction.
Depuis le 1er décembre 2019, la Ville de Paris peut, sur simple demande aux plates-formes de type Airbnb, obtenir un certain nombre d’informations, telles que l’adresse du local, le numéro de déclaration obligatoire d’enregistrement à la Ville (indiquant notamment si le logement est une résidence principale ou secondaire) ou le nombre de jours au cours desquels ce meublé a fait l’objet d’une location.
Cela facilitera largement la preuve par la Ville de Paris de l’enrichissement illicite, et celle-ci pourra plus aisément solliciter en conséquence une condamnation à régler d’une somme de 50 000 euros.
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