Transmission d’entreprise : les mécanismes s’assouplissent
Par Marion Capèle, directeur du pôle solutions patrimoniales chez Natixis Wealth Management
Transmission à titre gratuit ou transmission à titre onéreux ? On peut comprendre que l’entrepreneur puisse hésiter entre ces deux options et se demande s’il ne doit pas les mixer. Mais une chose est certaine : le paysage fiscal français continue de s’éclaircir pour ces entrepreneurs qui envisagent de transmettre leur entreprise, qu’elle soit artisanale, commerciale ou encore agricole.
Les entrepreneurs ont à leur disposition plusieurs mécanismes qui ne cessent de s’assouplir. Pour ceux qui hésitent à laisser les rênes de leur société à leurs enfants repreneurs et préfèrent garder, encore quelques années, un œil sur sa gestion, le démembrement de propriété peut être envisagé.
Les atouts du démembrement
Dans le cadre d’une donation démembrée, la nue-propriété des titres de la société est alors transmise aux enfants, et l’usufruit est conservé par le chef d’entreprise qui pourra continuer à participer aux décisions concernant l’affectation des bénéfices et depuis la loi de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés entrée en vigueur au 21 juillet 2019, il pourra également participer aux décisions collectives, ce qui n’était auparavant réservé qu’au nu-propriétaire. L’usufruitier peut toujours percevoir les revenus (dividendes) générés par la société, mais désormais, il bénéficie, au surplus, du même droit d’information que le nu-propriétaire.
D’un point de vue civil, il lui est recommandé de consentir une donation-partage devant notaire, s’il y a plusieurs enfants, pour que les titres transmis soient définitivement évalués au jour de l’acte et non pas réévalués au décès de l’entrepreneur donataire. La donation pourra être réalisée au profit de l’ensemble des enfants, ou bien seulement au profit de celui qui souhaite reprendre la société. Dans cette hypothèse, les autres enfants pourront recevoir d’autres biens (immobiliers, par exemple). Si l’entreprise est le seul bien de notre entrepreneur, il pourra la transmettre à un seul enfant, à charge pour lui d’indemniser tous les autres via une soulte.
D’un point de vue fiscal, cette donation peut, depuis 2003, bénéficier du régime du pacte Dutreil. Ce régime, souvent modifié depuis sa mise en place, ne fait qu’évoluer positivement pour l’entrepreneur. Il permet l’application, lors d’une donation ou d’une succession, d’une exonération de droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 % de la valeur des titres transmis. Dans ce cadre, seul 25 % de la valeur de la société opérationnelle sera soumis à l’impôt de plus-value.
Compatible avec le pacte Dutreil
Le régime du pacte Dutreil pourra jouer aussi bien dans l’hypothèse où l’entrepreneur choisit de transmettre la pleine propriété que dans celle où il ne transmet que la nue-propriété des titres. La différence est que si l’opération de donation porte sur la pleine-propriété et si le donateur à moins de 70 ans, les droits de donation peuvent être réduits de 50 % après avoir déjà bénéficié de l’exonération de 75 %.
S’il est vrai que ce dispositif peut paraître contraignant, dans la mesure où il exige un engagement de conserver les titres pendant plusieurs années et un certain nombre d’obligations déclaratives, le bilan contraintes/avantages reste indéniablement positif et le devient même de plus en plus ! Pour rappel, l’entrepreneur doit s’engager à conserver les titres de la société objet du pacte Dutreil pendant deux ans, s’agissant de l’engagement de conservation collectif, et quatre ans pour l’engagement individuel. Depuis sa mise en place, et plus particulièrement au cours des dernières années, de nombreux aménagements sont intervenus pour rendre ces engagements plus souples.
Par exemple, la loi de finances pour 2019 a prévu que cet engagement collectif ne doit plus être pris par, au minimum, deux associés de la société. Il peut, désormais, être pris par un seul associé à condition qu’il remplisse, à lui seul, les conditions nécessaires pour souscrire un engagement collectif (seuil minimal de détention des titres, exercice d’une fonction de direction). Cet engagement peut ainsi ne plus avoir de collectif que le nom ! La possibilité de mettre en place un pacte Dutreil est surtout désormais possible pour les associés de sociétés unipersonnelles (type EURL).
Les textes ont également mis en place des engagements « réputés acquis », à savoir des engagements qui n’ont jamais été formalisés par écrit, mais qui peuvent être considérés comme « réputés acquis », car toutes les conditions nécessaires étaient déjà réunies. La mise en place de ce type de pacte a même récemment été élargie, puisqu’il est désormais ouvert en cas de détention indirecte, dans la limite d’un niveau d’interposition et non plus seulement en cas de détention directe d’une société opérationnelle.
La possibilité d’engagements « post-mortem » a aussi été prévue. Il s’agit d’engagements qui n’ont pas été mis en place du vivant de l’entrepreneur, mais qui peuvent l’être par les héritiers, sous conditions, dans les six mois de son décès. Par là même, les textes permettent à l’entrepreneur et sa famille de « rattraper » leur oubli.
Il en est de même s’agissant des obligations déclaratives. Avant le 1er janvier 2019, la société devait adresser chaque année, à partir de la transmission des titres (par donation ou succession) et jusqu’à la fin de l’engagement collectif, au service des impôts du domicile du défunt ou du lieu d’enregistrement de la donation, une attestation certifiant qu’au 31 décembre, l’engagement collectif de conservation était en cours, et le seuil de détention des droits de vote et financier toujours respecté. Et ce n’était pas tout ! Pendant l’engagement individuel, chaque héritier ou donataires devait produire chaque année aussi, une attestation certifiant qu’au 31 décembre de chaque année, l’engagement individuel de conservation et l’exercice d’une fonction de direction étaient respectés.
Le plus dur, c’est que l’enjeu pouvait être de taille en cas de non-respect de ces obligations déclaratives : la remise en cause du pacte et de l’exonération des droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 % !
Mais bien heureusement, la loi de finances pour 2019 est intervenue, et désormais plus aucune déclaration n’est à réaliser par la société, les héritiers ou même les donataires, après la transmission. Chacun des héritiers, légataires ou donataires, doit seulement produire dans les trois mois suivant la fin de l’engagement individuel une attestation certifiant que l’ensemble des conditions sont respectées jusqu’au terme. Obligation clairement moins contraignante !
Apport à une holding
Enfin, il est également aujourd’hui possible d’apporter la société, objet du pacte, à une holding (familiale, par exemple) sans que cela n’entraîne la rupture du pacte, non seulement pendant l’engagement individuel, mais aussi dès l’engagement collectif, et ce depuis le 1er janvier 2019. Une fois encore, les règles d’application du dispositif du pacte Dutreil se sont assouplies. En disposant aujourd’hui de ce mécanisme, l’entrepreneur peut transmettre beaucoup plus aisément à sa famille, directement ou via une structure ad hoc, tout en contrôlant le coût de l’opération. Attention, même si ce régime est de plus en plus « sympathique », il n’en reste pas moins que de nombreuses conditions sont posées et qu’en cas de non-respect de certaines d’entre elles, l’exonération de 75 % prévue dans le régime du pacte Dutreil est remise en cause. Notre entrepreneur devra donc se montrer prudent et être assisté d’un conseil pour le suivi du dispositif.
Mais en est-il de même lorsque l’entrepreneur veut céder tout ou partie de son entreprise ? Depuis la mise en place des réformes fiscales dans le cadre de la loi de finances pour 2018, la situation de l’entrepreneur cédant s’améliore. D’une part, il n’est plus soumis à l’ISF sur le produit de la cession de son entreprise, puisque le nouvel IFI ne vise que les biens immobiliers, à condition qu’il ne le réinvestisse pas, directement ou indirectement, dans un bien immobilier ! D’autre part, le coût fiscal de la cession peut lui aussi être moins élevé qu’il ne l’aurait été en 2017. Avec l’application de la Flat Tax ou prélèvement forfaitaire unique (PFU), la plus-value de cession pourra n’être soumise qu’à un impôt de 30 % (prélèvements sociaux inclus).
L’entrepreneur peut encore réduire le coût fiscal s’il voit qu’il est plus intéressant pour lui d’opter pour le barème progressif sur tous ses revenus et, par là même, de bénéficier d’un abattement sur sa plus-value pour durée de détention, à condition que les titres de sa société aient été acquis avant le 1er janvier 2018. Ces abattements pourront être renforcés s’il s’agit de céder des titres de PME souscrits ou acquis dans les dix ans de sa création et ceci qu’ils aient été acquis avant ou après le 1er janvier 2018 (cas particulier). Il peut également être intéressant de se pencher sur sa situation au regard de la CSG déductible, car en cas d’imposition au PFU, la CSG n’est plus déductible du tout. Opter pour le barème progressif peut, là aussi, s’avérer préférable.
Les entrepreneurs disposent d’outils juridiques et fiscaux leur permettant de transmettre leur entreprise dans les meilleures conditions possibles. Il leur reste à anticiper toutes ces opérations et, à ce titre, il semble évident que leurs implications juridiques et fiscales rendent indispensable la présence de conseillers juridiques professionnels pendant toute la préparation et la mise en place du projet. Il ne faut pas non plus que ces entrepreneurs perdent de vue leur nouvelle vie après la transmission : souhaitent-ils conserver une activité professionnelle, partir en retraite… ? Là encore, de nombreuses solutions existent et peuvent, dès le départ, orienter les choix qui devront être faits.
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