Société à prépondérance immobilière : une notion à géométrie variable
Par Stanislas Vailhen et Julien Lebel, associés, département fiscal d’Alerion
La notion de société à prépondérance immobilière est très présente en droit fiscal français. Elle a des incidences pour l’application de nombreux régimes fiscaux. La définition diffère toutefois selon l’impôt concerné ou la situation de la personne (physique ou morale) visée, au regard notamment de sa situation de résidence ou, pour les personnes morales, de son régime fiscal. Cette définition protéiforme, source de complexité pour les opérateurs, crée par ailleurs des difficultés pratiques, certains sujets n’étant parfois pas couverts par la législation applicable. Elle nourrit par conséquent un contentieux récurrent.
Au cours des dernières années, le Conseil d’Etat a notamment eu l’occasion de clarifier la date d’appréciation de la prépondérance immobilière en l’absence de cession de titres, pour la détermination du traitement fiscal d’une provision sur titres (1) (CE, 22 novembre 2019, n° 432053), ou encore d’assimiler les sociétés immobilières à des biens immobiliers pour l’application de la convention fiscale franco-belge, dans le cadre d’un arrêt qui a fait couler beaucoup d’encre (CE, 24 février 2020, n° 436392, JurisData n° 2020-003924).
Qu’est-ce qu’une société à prépondérance immobilière ?
Dans le présent article, nous avons essayé de synthétiser les principales définitions de la prépondérance immobilière et de pointer leurs différences. Cette analyse est retranscrite dans le tableau de synthèse reproduit ci-après.
Si les définitions de la prépondérance immobilière sont nombreuses, nous avons fait le choix de nous intéresser uniquement aux dispositifs fiscaux qui sont, en pratique, les plus couramment appliqués, à savoir :
- les plus-values de cessions de titres réalisées par des particuliers (qu’ils soient résidents ou des non-résidents), dont le régime diffère selon que les sociétés en question répondent ou non à la définition de la prépondérance immobilière ;
- les plus-values de cessions de titres par des sociétés soumises à l’IS. En effet, les plus-values de cessions de titres de sociétés non cotées à prépondérance immobilière sont exclues du bénéfice du régime des plus-values à long terme. Ce régime permet permet une exonération de la plus-value, à l’exception d’une quote-part de frais et charges, correspondant à 12 % de la plus-value réalisée, qui reste soumise à l’IS dans les conditions de droit commun, soit une imposition au taux effectif de 3 % (pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2022). Quant aux plus-values réalisées à l’occasion de la cession de sociétés cotées, lorsque ces dernières répondent à la définition de la prépondérance immobilière, elles peuvent bénéficier du taux réduit des plus-values à long terme ;
- les donations ou successions. Le champ d’application territorial des droits de donation et succession français est très large. Il permet ainsi à la France (sous réserve de l’application des conventions fiscales qui sont toutefois peu nombreuses en matière de succession et le sont encore davantage en matière de donations), notamment de soumettre aux droits de donation/succession français des transmissions entre personnes non domiciliées en France, lorsqu’elles portent sur des actifs français ou sur des titres de sociétés étrangères à prépondérance immobilière en France ;
- les droits d’enregistrement applicables aux cessions de droits sociaux qui relèvent, là encore, de régimes fiscaux différents selon que la société objet de la cession est ou non à prépondérance immobilière.
Focus sur les différentes notions
Les principales différences dans l’appréciation de la prépondérance immobilière portent, pour l’essentiel, sur les sujets suivants.
Les sociétés concernées par les dispositifs
Les sociétés concernées par les dispositifs peuvent viser les sociétés cotées ou limiter leur champ d’application aux sociétés non cotées, et inclure les sociétés étrangères ou limiter leur champ d’application aux sociétés françaises. Ces différences peuvent s’expliquer de manière parfaitement logique. A titre d’illustration, en matière de droits de donation et de succession, sont compris dans le champ des droits français l’ensemble des titres de sociétés françaises, qu’elles soient ou non à prépondérance immobilière. En revanche, s’agissant des sociétés étrangères, seules les sociétés à prépondérance immobilière française entrent dans le champ d’application des droits. La notion de prépondérance n’a, par conséquent, de portée pratique qu’à l’égard des sociétés étrangères, en matière de droits de donation et de succession.
La nature des actifs à prendre en compte
Cette définition repose sur le calcul d’un pourcentage d’actifs immobiliers. Outre la nature des actifs immobiliers à prendre en compte dans ce calcul, qui peut être appréciée de manière plus ou moins large (et inclure ou non les droits réels immobiliers, les titres de sociétés elles-mêmes à prépondérance immobilière, ou encore les contrats de crédit-bail), il convient à chaque fois de s’interroger, au numérateur comme au dénominateur, sur le point de savoir si seuls les biens situés en France doivent être pris en compte, ou s’il convient également de prendre en compte dans le calcul les actifs immobiliers situés hors de France.
A titre d’illustration, en matière d’IS, pour l’application du régime du long terme, tous les actifs immobiliers doivent être pris en compte, sans que leur localisation (en France ou hors de France) n’ait d’incidence particulière. Il en va différemment en matière de donations ou de succession, puisque l’analyse devra s’effectuer sur la base des seuls actifs français.
En revanche, naturellement, les droits de donation/succession applicables aux personnes non domiciliées en France à raison des titres de sociétés à prépondérance immobilière française ne seront calculés que sur une partie de la valeur des titres, en fonction de la proportion existant entre la valeur des immeubles situés sur le territoire français et celle de l’actif total de la société située tant en France qu’à l’étranger.
Le traitement des immeubles affectés à l’exploitation
La prise en compte ou non des immeubles affectés à l’activité opérationnelle de la société pour l’appréciation de la prépondérance. Alors qu’ils seront exclus du calcul de la prépondérance pour l’application de la plupart des dispositifs, il en ira différemment en matière de cession de droits sociaux, l’affectation des biens immobiliers n’ayant en la matière aucune incidence.
La date ou la période d’appréciation
Enfin, la date ou la période d’appréciation de la prépondérance immobilière diffère d’un dispositif à l’autre. Alors qu’en matière de donation ou de succession, l’analyse s’effectuera exclusivement à la date du fait générateur des droits, pour l’application d’autres dispositifs, il conviendra de s’intéresser à la situation de la société au cours des exercices précédents, soit de manière continue dans le temps, soit à la date de clôture des derniers exercices clos. La notion de société à prépondérance immobilière est ainsi une notion complexe, difficile à manipuler. Les enjeux fiscaux sont pourtant souvent importants. D’où l’importance de pouvoir analyser en détail la situation. Il est également utile d’anticiper, lorsque cela est possible, les opérations à venir (de cessions ou de donation, par exemple) afin de mesurer les enjeux de la qualification de société à prépondérance immobilière, et les moyens qui pourraient, le cas échéant, être mis en œuvre afin de sortir de cette définition.
1. L’enjeu de cette question était de soustraire la provision à l’application du régime du long terme et de permettre sa déduction des bénéfices soumis à l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun à partir du moment où les titres étaient qualifiés de titres de société à prépondérance immobilière.
Vos réactions