L’optimisation de la trésorerie d’entreprise
Par Philippe Curnillon, président du cabinet BC Finances, et Fabrice Haehl, consultant associé au sein du cabinet BC Finances
Il est fréquent de rencontrer des chefs d’entreprises dont les sociétés possèdent une trésorerie généralement peu optimisée et peu investie, par manque de solutions proposées ou innovantes. Quelles sont les préconisations financières pour accompagner le dirigeant, tout en limitant le risque et tout en conservant une certaine disponibilité des fonds, conditions sine qua non pour une trésorerie d’entreprise…
La trésorerie est aujourd’hui assez importante dans les entreprises pour plusieurs raisons. La première est avant tout conjoncturelle. En situation de crise, les sociétés adoptent un principe de précaution et freinent les investissements. La seconde raison est fiscale : les distributions de dividendes étant actuellement fortement imposées, les associés préfèrent conserver les liquidités au sein de leurs structures sociétaires. Lorsque les taux à court terme rapportaient plus de 2 ou 3 %, le dirigeant ou le DAF ne s’interrogeaient pas pour trouver des solutions d’optimisation à moyen terme. Aujourd’hui, ces taux sont quasi nuls, il est donc indispensable d’optimiser cette gestion de trésorerie, tout en respectant de nombreuses conditions.
Société d’exploitation ou patrimoniale ?
Les conditions ne sont pas les mêmes en fonction du type de société. Prenons, par exemple, une société patrimoniale : son besoin en fonds de roulement (BFR) est généralement faible, à la différence d’une société d’exploitation. Il sera donc beaucoup plus simple d’optimiser la gestion de trésorerie au sein d’une société holding patrimoniale dont les durées d’investissements sont généralement plus longues. Avant toutes préconisations financières, il sera indispensable d’analyser les statuts de la société, afin de valider que la société puisse bien réaliser tous types d’investissements, dans le but d’optimiser sa trésorerie sur le moyen long terme.
Ensuite, il conviendra d’attirer l’attention du chef d’entreprise sur les trésoreries excédentaires. Ce point est essentiel et primordial pour de nombreux dirigeants soumis à l’ISF (cf. encadré ci-dessous).
En effet, de nombreux contentieux fiscaux sont actuellement engagés par l’administration fiscale pour réintégrer cette trésorerie dans l’actif imposable à l’ISF des chefs d’entreprises et associés. Encore plus problématique, une trésorerie majoritaire dans les actifs de la société pourrait faire perdre à cette dernière la qualité de biens professionnels et remettre ainsi en cause les pactes Dutreil ou donations effectuées via ce dispositif très avantageux en termes de transmission à titre gratuit…
Segmentation de la trésorerie
Enfin, et d’autant plus pour une société d’exploitation, il est impératif de segmenter la trésorerie de l’entreprise, en fonction de ses besoins en fonds de roulement, ainsi que les investissements à court et moyen terme. Les ratios généralement retenus sont les suivants :
- court terme (six mois) : disponibilités bancaires ;
- moyen terme (deux ans) : valeurs mobilières (essentiellement obligataires) ;
- long terme (trois à cinq ans) : solutions financières de long terme.
Dans le cas d’une société holding patrimoniale, le schéma sera différent, étant donné le caractère de ses activités. C’est pourquoi il est possible d’investir une part plus importante sur des solutions de placements à long terme, contrairement à une société d’exploitation.
Il reste maintenant à connaître le support d’investissement approprié, en fonction du caractère commercial ou non de la personne morale à l’IS. Il est important de rappeler la réglementation en matière de personnes morales à l’IS. Les membres de la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) ont pris l’engagement, le 21 décembre 2010, « de ne pas accepter la souscription d’un contrat de capitalisation d’une entreprise commerciale, industrielle ou artisanale ».
Cela veut donc dire qu’il est impossible de souscrire un contrat de capitalisation pour une société commerciale à l’IS. En revanche, les holdings patrimoniaux ne sont pas concernés par cet engagement. Ainsi, à chaque souscription, la compagnie d’assurance demandera une copie des statuts afin d’analyser l’objet social de la société pour déterminer son caractère commercial ou non.
Quels supports d’investissements en fonction de la société ?
On pourra présenter deux solutions d’investissements, selon le type de société concernée et les objectifs à atteindre.
Compte-titres pour une personne morale à l’IS
La mise en place d’un compte-titres pour une personne morale à l’IS va permettre à l’entreprise d’investir sur différentes classes d’actifs, avec une grande souplesse et rapidité. De plus, les droits de garde seront en général négociés, pour avoir un faible impact sur le rendement net. Ensuite, il faut distinguer la fiscalité sur les produits et la fiscalité en cas de cession. Tout d’abord, les produits sont principalement des dividendes ou bien des produits courus des titres à revenu fixe. Ils sont alors compris dans le bénéfice imposable à l’IS. Mais, à l’échéance, la société peut imputer sur le montant de l’impôt dont elle est redevable le crédit d’impôt auquel ouvrent droit certains de ces revenus (retenues à la source).
Quant aux produits de cession, les plus ou moins-values d’éléments d’actifs réalisées par les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés sont, sauf exceptions, exclues du régime long terme, quelle que soit la durée de détention des biens cédés. Le produit de la cession relève alors du régime des plus ou moins-values à court terme, c’est-à-dire :
- les plus-values sont comprises dans le résultat de l’exercice en cours lors de leur réalisation, qui est taxé au taux de 33 1/3 % ou dans les PME, au taux réduit de 15 % dans la limite de bénéfice de 38 120 € ;
- les moins-values s’imputent sur le bénéfice ou contribuent à la formation d’un déficit reportable dans les conditions de droit commun.
Contrat de capitalisation uniquement pour une société non commerciale à l’IS
Pour les sociétés non commerciales, comme les holdings patrimoniales, le contrat de capitalisation offre, quant à lui, de nombreux avantages. En effet, sa détention va rendre la société soumise à l’IS imposable chaque année de manière forfaitaire sur le gain réalisé, même en l’absence de rachat.
L’assiette imposable est déterminée forfaitairement en prenant comme taux actuariel 105 % du dernier taux mensuel des emprunts d’Etat à long terme (TME) connu lors de l’acquisition ou de la souscription du contrat de capitalisation. La base imposable est donc déconnectée de la valorisation réelle en fin d’exercice du contrat de capitalisation. Cette différence peut alors générer un gain fiscal si le rendement du contrat est supérieur au taux forfaitaire, ou une perte fiscale s’il est inférieur. Cette base forfaitaire est ensuite imposée au taux normal de l’IS. Lors du rachat partiel ou total, elle est alors égale à la différence entre la valeur de rachat réelle du contrat et la valeur théorique du contrat revalorisé forfaitairement au taux de 105 % du TME. Ainsi, sur la base du dernier TME connu (février 2016), le taux forfaitaire est alors de 0,6825 % (105 % du TME) pour la détermination de l’assiette fiscale.
Enfin, d’un point de vue purement financier, le contrat de capitalisation dispose d’un avantage supplémentaire par rapport au compte-titres. En effet, il sera possible de bénéficier du fonds en euros du contrat de capitalisation comme placement d’attente entre deux produits dédiés à la trésorerie d’entreprise, à la différence d’un compte-titres, où il faudra nécessairement investir sur un placement monétaire, ayant un rendement quasi nul.
Toutefois, des pénalités en cas de sortie à court terme sur le fonds euros seront prélevées dans la plupart des compagnies d’assurance (règles de la FFSA) et il conviendra alors d’apporter une vigilance renforcée sur le montant des frais de gestion du contrat, qui absorbent une partie de la performance annuelle, à la différence des comptes-titres.
Allocation d’actifs
Dernier sujet : l’allocation d’actifs. En effet, il est nécessaire de tenir compte de deux contraintes inhérentes à la trésorerie d’entreprise, à savoir :
- la prudence. Il faut donc mettre en place des solutions disposant de fortes protections du capital en cas de baisse des marchés financiers ;
- et la disponibilité des fonds, pour faire face à un besoin exceptionnel de l’entreprise (même si la segmentation de la trésorerie permet en principe de ne pas être soumis à cette contrainte.
La mise en place de produits structurés dédiés à la trésorerie d’entreprise peut avoir du sens aujourd’hui, dans un contexte de marchés financiers fortement volatils qui permet d’obtenir un couple rendement-risque intéressant.
Les caractéristiques de ces produits dédiés pourraient être les suivantes : une protection du capital renforcée avec un risque de perte en capital limité en cas de baisse jusqu’à - 60 % de l’indice de référence ; une possibilité de remboursement anticipé trimestriel ou semestriel, pour assurer une liquidité potentielle plus importante, nécessaire pour une trésorerie d’entreprise ; un indice de référence reconnu, comme le Cac 40 ou l’Eurostoxx 50 ; une durée maximale courte : cinq ans au maximum (avec une sortie anticipée possible tous les trois ou six mois).
Ce type de structuration peut permettre d’obtenir un coupon trimestriel de l’ordre de 1,50 % brut dans le contexte actuel de forte volatilité des marchés. Cet investissement devra être préconisé dans la mesure où la société n’a pas de besoin de cette trésorerie, potentiellement sur une période de cinq ans maximum. En effet, il est déconseillé et peu opportun de sortir par anticipation d’un fonds structuré.
Conclusion
Il existe aujourd’hui des solutions adaptées à chaque type de société, en fonction de ses besoins (notamment la durée d’investissement). Ces supports devront dans tous les cas respecter deux contraintes inhérentes à la trésorerie d’entreprise : la prudence et la disponibilité des fonds.
Enfin, la mise en place de ces solutions devra toujours se faire en concertation avec les conseils habituels de l’entrepreneur, comme le DAF, l’expert-comptable et l’avocat.
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