Usufruit à terme fixe et usufruit viager : une distinction moins évidente qu’en apparence
Par Jean-Francois Lucq, directeur de l’ingénierie patrimoniale de Banque Richelieu
Comme on le sait, la dissociation du droit de propriété entre une personne morale à l’IS (titulaire d’un usufruit à terme fixe) et une personne physique (nu-propriétaire) a longtemps été une stratégie particulièrement efficiente pour la détention d’un actif immobilier de rapport. L’administration fiscale a sollicité l’aide du législateur pour mettre en place un dispositif anti-abus, qui aboutit à la taxation en revenu foncier de la quote-part du prix de cession correspondant à un usufruit temporaire, écartant le régime de droit commun des plus-values avec exonération, ou abattements pour durée de détention.
Le nouveau dispositif, entré en vigueur le 14 novembre 2012, laissait toutefois subsister une ambigüité sur la définition de l’usufruit temporaire. En effet, qu’il soit viager, ou à terme fixe, l’usufruit finit toujours par s’éteindre ; il est dans sa nature d’être temporaire.
Or, le dispositif anti-abus visait à dissuader les opérations incluant un usufruit à terme fixe, et non celle incluant un usufruit viager. Cette ambigüité était d’autant plus dommageable que les acquisitions incluant un usufruit viager au profit d’un des acquéreurs, répondaient le plus souvent à une logique patrimoniale exempte de toute considération fiscale, par exemple, l’investissement d’une veuve et de ses enfants sur un actif immobilier à partir d’actifs démembrés d’une succession.
Sensible aux arguments des praticiens, l’administration fiscale a admis d’écarter le dispositif anti-abus lorsque l’acquisition en démembrement incluait un usufruit viager. Toutefois, la question s’est posée de savoir si la cession (ou l’apport) d’un usufruit viager à une personne morale était licite, sachant que le Code civil interdit à ces opérations d’avoir une durée supérieure à trente ans.
Une décision récente de la cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris du 5 octobre 2021, n° 20PA01257) vient d’éclairer le sujet. Une personne physique, usufruitier viager de titres, avait apporté son droit à une société. Pour tenir compte du plafond prévu par la loi pour les usufruits de personnes morales, l’apport avait été fait pour une durée de trente ans.
A la suite d’un contrôle, l’administration fiscale avait requalifié l’opération en une cession d’usufruit à terme fixe, rendant applicable le dispositif anti-abus ; à la suite d’un recours contentieux, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de dégrèvement de la cédante le 16 mars 2020. Mais la CAA de Paris vient de donner raison à la contribuable, en précisant qu’une telle cession ne doit pas être regardée comme portant sur un usufruit temporaire au sens que lui donne le dispositif anti-abus.
Ce jugement doit être approuvé, car si les deux usufruits, l’un à terme fixe, l’autre viager, sont de nature temporaire, une distinction essentielle les sépare : l’usufruit viager a une durée indéterminée, alors qu’il n’en est pas de même pour l’usufruit à terme fixe. Ainsi, lorsqu’une personne physique, titulaire d’un usufruit viager, décide de céder ou d’apporter celui-ci à un tiers, le maintien des droits du cessionnaire dépend entièrement de la survie de l’usufruitier, son décès mettant fin à l’usufruit cédé, même si un terme fixe d’une durée supérieure a été stipulé.
Or, il n’en est pas de même pour le plein propriétaire qui constitue un usufruit à terme fixe au profit d’un tiers, cet usufruit se poursuivant jusqu’à son terme malgré le décès du cédant.
Il serait surprenant que l’administration s’en tienne là, et ne porte pas l’affaire devant le Conseil d’Etat. Une décision qui sera attendue avec impatience par les praticiens.
Vos réactions