L’inadéquation de la couverture de l’assurance-emprunteur peut coûter cher à la banque
Par Anne Simonet
La banque manque à son obligation d’information et de conseil en s'abstenant d’expliquer à son client les avantages d'une couverture au-delà de 70 ans jusqu'à la dernière mensualité due, et ce d’autant plus dans le cadre d’un prêt in fine.
Un particulier souscrit deux prêts in fine pour lesquels il adhère aux contrats d'assurance groupe de sa banque et en garantie desquels il souscrit deux contrats d'assurance-vie auprès de la filiale d’assurance de sa banque, mises en gage au profit de celle-ci.
Au décès de l’emprunteur, les contrats d'assurance groupe ne permettant pas la prise en charge des échéances restant dues au-delà du 31 décembre de l'année au cours de laquelle l'assuré a eu 70 ans, la banque procède à la réalisation du gage sur les contrats d'assurance-vie et recouvre par ce truchement les sommes dues sur les comptes de la succession.
Les membres de l’indivision successorale dont le bénéficiaire des contrats d’assurance-vie assignent la banque devant le tribunal de grande instance de Reims aux fins de sa condamnation au remboursement de la somme de 200 000 €.
Les juges du fond accueille favorablement la demande de l’indivision successorale en condamnant la banque à payer la somme de 200 000 euros entre les mains du notaire chargé de la succession. Le TGI de Reims s'est fondé sur le fait que le prêteur, tenu à une obligation d'information et de conseil à l'égard de l'emprunteur, n'établit pas avoir dûment informé l’emprunteur sur le risque qu'il prenait en s'assurant seulement jusqu'à l'année de ses 70 ans, alors qu'il lui restait encore deux années de remboursement au-delà de cet âge et qu'il s'agissait de prêts in fine. Le tribunal a estimé que ce manquement contractuel de la banque justifiait que le préjudice du défunt soit intégralement réparé par la condamnation de la banque à payer à sa succession l'ensemble des mensualités de remboursement restant dues.
La banque interjette appel de ce jugement.
Devoir de conseil et d’information
La Cour d’appel de Reims confirme la décision des premiers juges. Elle rappelle que le banquier, qui propose à son client auquel il consent un prêt d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation. Il appartient au débiteur de l'obligation d'information et de conseil, c'est-à-dire au banquier, de prouver son exécution.
En l'espèce, la banque produit les notices d'information sur les assurances collectives auxquelles le défunt a adhéré en garantie des deux prêts in fine qu'il a contractés. La signature qu'il a apposée sur chacune de ces notices démontre qu'elles lui ont bien été remises. Toutefois, il s'agit de notices d'information standard qui n'apportent à l'assuré aucun élément susceptible de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur.
« Or, les garanties d'assurance proposées par la banque et souscrites requéraient pourtant, de façon impérieuse, une information personnalisée compte-tenu du caractère incomplet de la couverture offerte et des risques particuliers en découlant » indique la Cour d’appel.
En effet, les prêts ont été contractés alors qu’il était âgé de 62 ans et la garantie décès ne couvrait le remboursement des échéances à venir que jusqu'au 31 décembre suivant son 70ème anniversaire, alors que les prêts contractés devaient être remboursés sur 10 ans et que s'agissant de prêts in fine, l'essentiel du remboursement intervenait à une époque où l'emprunteur ne bénéficiait plus d'aucune assurance. Comme le souligne la Cour d’appel : « Autrement dit, M. X était assuré pour la période au cours de laquelle le montant des remboursements était faible, puisque ne couvrant que les intérêts courants, mais il ne l'était plus quand le risque était maximum, au moment du remboursement du capital emprunté. »
Elle en déduit qu’en n'informant pas l’emprunteur de façon circonstanciée sur ce risque et en s'abstenant de lui expliquer les avantages d'une couverture au-delà de 70 ans jusqu'à la dernière mensualité due s'agissant d'un prêt in fine, la banque a manqué à son obligation d'information et de conseil. Par ailleurs, « ce manquement est en outre aggravé, comme l'ont souligné les intimés, par les carences des tableaux d'amortissement remis à l’emprunteur, l'un faisant figurer faussement les cotisations d'assurance sur toute la durée des remboursements, l'autre ne mentionnant aucune cotisation, ce qui ne permettait pas d'attirer l'attention de l'emprunteur sur la réalité de sa situation contractuelle, à savoir la rupture de couverture intervenant deux années avant la fin de l'amortissement. »
Perte de chance
La Cour d’appel de Reims estime qu’en raison de ce manquement à son obligation d’information, la banque lui a fait perdre une chance d'opter pour une couverture d'assurance adéquate et fixe cette perte de chance à 95%. L'indivision successorale subit également, et au même titre, un dommage causé par la faute de la banque puisqu'elle doit payer par prélèvement sur l'actif successoral le solde restant dû au titre des deux prêts in fine après réalisation du gage qui s'est avéré insuffisant pour éponger la totalité de la dette.
En revanche, Le préjudice subi par le bénéficiaire des contrats d’assurance vie est constitué par la perte de chance de l'emprunteur de ne pas avoir contracté une assurance plus adaptée à sa situation et non par le fait que la banque ait réalisé son gage lors du décès de l'emprunteur, réalisation qui n'est pas fautive en elle-même. Ainsi, le bénéficiaire ne peut demander à titre de dommages et intérêts la condamnation de la banque à lui payer les revenus que les contrats d'assurance vie étaient susceptibles de produire jusqu'à ce jour s'ils n'avaient pas fait l'objet d'un rachat par la banque.
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