Affiner les clauses bénéficiaires comme un chat retombe sur ses pattes !
Par Antoine de Ravel d’Esclapon, docteur en Droit, enseignant en gestion de patrimoine, notaire à Paris
Comme dirait Victor Hugo, « Quelquefois comme Christophe Colomb, on ne cherche qu’une route et on trouve un monde ». On pourrait décliner cette citation à l’assurance-vie, le placement préféré des Français, pour sa facilité d’épargne, son régime fiscal avantageux et son objectif successoral en peaufinant la clause bénéficiaire qui ne doit jamais être négligée.
Je veux souscrire une assurance-vie. En effet, je souhaite ainsi faire fructifier mon épargne financière. Dans ce cadre d’investissement, elle sera toujours assez facilement disponible (liquide), plus ou moins sécurisée selon la prise de risque de mon investissement. Le régime fiscal de l’assurance-vie est généralement avantageux tant à la détention, à la cession qu’à la transmission. Je vais donc « é-chat-pper » à un impôt trop lourd.
Première évidence : l’offre est pléthorique, je vais même trouver sous une même marque des centaines de commerciaux concurrents entre eux… La nuit, tous les chats sont gris…
Seconde évidence : l’offre est difficilement comparable. Je peux investir dans un contrat dit « monosupport » dans le seul fond euro. Le capital est garanti donc la rémunération d’autant plus limitée. Elle est fixée par l’assureur a posteriori de mon placement.
Le taux de rémunération du fond euros est un indicateur peu pertinent, car variable d’une année à l’autre, et mon investissement s’inscrit a minima dans le moyen terme (à long terme, nous serons tous morts, dirait Keynes). Ma crainte actuelle est la dévalorisation de mon actif si l’inflation se confirme vers les 4 à 5 %. Mais, à l’inverse, dans un contrat dit multisupports, je vais pouvoir accéder à des actifs financiers très divers comme les obligations, actions, Sicav et autres. Je pourrais espérer un meilleur gain, mais en prenant plus de risques !
Troisième évidence : les différences entre les qualités de service ne sont pas toujours simples à appréhender pour le particulier, par exemple, la fiabilité dans l’exécution de mes arbitrages. Il a donc besoin facilement d’être conseillé pour optimiser son placement.
Lorsqu’un conseiller en gestion de patrimoine me sollicite, gracieusement, afin de mieux se différencier facilement de sa concurrence, nous travaillons tout particulièrement la clause bénéficiaire.
En quoi est-elle singulière ? Pour commencer, ce que nous nommons assurance-vie n’en n’est pas une… Elle est, en vérité, une assurance-mixte : la compagnie couvre deux risques, celui du décès (et les capitaux seront alors remis à tout bénéficiaire) et celui de la survie (les capitaux restent disponibles par le rachat). Conformément à toute assurance, les primes versées par le souscripteur sont définitivement acquises à l’assureur mais, grâce à la stipulation pour autrui (article 1121 du Code civil), le capital sera versé par l’assureur à tout bénéficiaire si décès du souscripteur. C’est ainsi que nous parlons de « rachat », puisque les capitaux appartiennent à l’assureur et non au souscripteur. Par défaut, la clause est souvent une case cochée au milieu de dizaines de pages d’un formulaire au langage abscons, voire ésotérique. Elle est, usuellement et de manière usée, rédigée comme suit : « mon conjoint, à défaut, mes enfants, à défaut, mes héritiers ». Si vous interrogez dix professionnels, vous aurez au moins douze définitions différentes de conjoint : dois-je comprendre le concubin ? le partenaire de Pacs ? l’époux séparé de corps ? en instance de divorce ?… De même, la notion d’enfant est finalement plus complexe : si l’enfant est décédé et laisse sa propre descendance, si l’enfant est à naître et donc pas encore né au jour du décès du souscripteur… Une chatte n’y retrouverait pas ses petits… Le danger est une clause maladroitement rédigée, alors qu’elle permettrait, au contraire, une intéressante optimisation et un déblocage rapide au dénouement.
Lors d’un rendez-vous de découverte, le conseiller patrimonial pourra habilement échanger avec le prospect pour connaître la rédaction de la clause bénéficiaire de tout contrat. Il ne fait que remplir ses devoirs réglementaires de connaissance client pour adapter toute préconisation future. Mais en s’étonnant de la piètre qualité rédactionnelle, il souligne, en creux, le défaut de conseil dont le prospect aura, assez souvent, souffert jusqu’alors… Et en matière d’assurance-vie, un effort particulier relatif à la clause bénéficiaire le sera sur le fond comme sur la forme.
Etre à fond sur le fond de la clause
Nous pourrions repartir des erreurs le plus souvent rencontrées pour ensuite énumérer quelques bonnes idées.
Les grossièretés les plus fréquentes
Elles concernent les personnes comme les montants.
Sur les personnes
Monsieur A et la délicieuse Mademoiselle B vivent en couple depuis plusieurs années. Monsieur A désigne pour bénéficiaire Mademoiselle B. Il appelle un chat un chat. Monsieur A décède dix ans plus tard, mais alors marié à la charmante Madame C. Cette dernière ne recevra rien, car tout reviendra à Mademoiselle B qui pourra, au surplus, être surtaxée si fiscalité de droit commun (fiscalité confiscatoire de droit commun entre les concubins à l’inverse des époux et partenaires de Pacs). Comme souvent, la désignation dans la clause bénéficiaire n’a pas été actualisée, hélas, car nous avons tous d’autres chats à fouetter. Par contre, une bonne pratique aurait été de désigner pour bénéficiaire non un nom, mais une qualité, celle de partenaire de Pacs ou épouse. De sorte, la clause s’adaptait aux péripéties conjugales.
Sur les montants
Monsieur A, encore lui, place 500 000 € sur un autre contrat, et il désigne B, C et D chacun pour 100 000 €, et son conjoint pour le surplus. Le conjoint devrait recevoir donc 200 000 €. Quelques années plus tard, il dispose de la moitié de son capital pour des travaux de rénovation dans sa résidence principale. Toutes choses égales par ailleurs, à son décès, il ne laissera donc rien à son conjoint. Une rédaction en pourcentage aurait permis d’adapter selon le capital final à verser.
Les finesses les plus intéressantes
Hélas, rarement lues, quelques finesses sont toutefois à largement recommander, sont même cumulables et ce n’est pas du pipi de chat !
Le démembrement
Revenons aux fondamentaux : la pleine propriété est la plénitude du droit d’une personne sur un bien. Propriétaire, je peux vendre, donner, léguer, donner à bail, donner en garantie… Le droit de propriété peut être grevé, en particulier d’une servitude, d’une garantie (hypothèque…) ou encore d’un usufruit. Dans ce dernier cas, le propriétaire l’est toujours, mais « nu » (même s’il n’est pas nudiste) car un usufruit (un droit de jouissance élargi) grève son droit, heureusement, toujours temporairement. Donc, à l’extinction de l’usufruit, le nu-propriétaire devient, de droit, propriétaire. En général, à mon décès, ma descendance est mon héritière, mais mon épouse, autre héritière, aura un usufruit qui grèvera le patrimoine pour lui en permettre la jouissance (y habiter, encaisser des loyers…). Autant un démembrement de propriété, usufruit/nue-propriété semble simple à comprendre à propos d’un bien immobilier mais, pour une assurance-vie, comment cela pourrait fonctionner ? Je donne ma langue au chat…
L’assureur va verser des capitaux à un ou plusieurs bénéficiaires. L’usufruit, s’il a été stipulé, sera donc sur un bien dit consomptible (qui se détruit par le premier usage). Dès lors apparaît un quasi-usufruit : si démembrement de la clause bénéficiaire de l’assurance-vie, l’usufruitier reçoit les capitaux, mais à charge de rembourser à l’extinction de l’usufruit à tout nu-propriétaire. L’usufruitier est donc débiteur en vertu d’un quasi-usufruit.
Civilement, le bénéficiaire en usufruit ressemble au bénéficiaire en nue-propriété car il encaisse le capital. Toutefois, dans le second cas, il est débiteur, à terme, envers tout nu-propriétaire. Fiscalement, cela est avantageux car va permettre de multiplier les bénéficiaires donc réduire la fiscalité !
La subsidiarité
J’ai désigné D comme bénéficiaire, mais bien des aventures vont survenir d’ici mon décès : D pourrait décéder avant moi, ou même, après moi, mais avant d’avoir accepté le bénéfice de l’assurance-vie. D pourrait avoir disparu (question : où est Xavier Dupont de Ligonnès ?) ou être bien là, mais renoncer au bénéfice. Bref, pour ces risques et bien d’autres, je dois prévoir des cas subsidiaires : D, à défaut, E, à défaut F…
Le choix
J’ai, par exemple, désigné chacun de mes trois enfants comme bénéficiaires. Je décède à 93 ans. Mes enfants sont retraités et veulent surtout aider leurs propres enfants. Je peux rédiger la clause de sorte que chacun des enfants puisse, s’il le souhaite et comme il le souhaite, renoncer en tout ou partie à son bénéfice au profit de ses propres descendants.
Ici, encore, fiscalement, sous l’article 757 B du Code général des impôts et a fortiori 990I la multiplication des bénéficiaires adoucira le poids de l’impôt. La clause bénéficiaire finement rédigée se devra donc de dissocier plusieurs hypothèses pour désigner le ou les bénéficiaires adéquats.
Etre en forme sur la forme de la clause
Clause bénéficiaire, où es-tu ? En apparence, la question est très secondaire. Un peu de pratique démontre qu’elle doit être protégée, mais encore articulée avec le reste des dispositions du patrimoine.
La clause vue ras des pâquerettes
Par défaut
La clause bénéficiaire est, le plus souvent, une case cochée parmi d’autres stipulations du contrat sur un formulaire type. Elle est rédigée à l’occasion d’un placement financier, donc le schéma mental du souscripteur est surtout de préserver ses économies avec l’ambition de les faire fructifier. Son décès et ses plus proches – qui s’entendent comme chien et chat – ne sont pas son souci immédiat. On trouve parfois le drame d’une clause écrite comme un chat, c’est-à-dire peu lisible.
Au mieux
Une excellente solution est de déposer sa clause bénéficiaire chez le notaire de son choix. Le notaire, comme un grand-prêtre, va pouvoir sacraliser la forme pour en assurer l’incontestabilité, notamment si menace contentieuse au décès du souscripteur. La notification au fichier central des dernières volontés (FCDV) permettra aux successibles d’avoir connaissance de la clause mais encore, si annexé, des contrats alors connus.
En effet, en dépit des efforts louables du législateur, notamment avec la loi Eckert, certaines compagnies souffrent d’amnésie au moment du versement des capitaux d’assurances-vie non réclamées. Mieux encore, la clause bénéficiaire est souvent à articuler avec le testament au principal. Par exemple, dans la famille Térieur, Alain recevra l’immobilier (normal : Alain Térieur) et Alex les capitaux d’assurance-vie (Alex Térieur).
La clause vue du ciel
Prenons de la hauteur ! L’assurance-vie est à replacer dans le patrimoine de manière plus globale à commencer par le régime matrimonial de l’époux souscripteur.
Assurance-vie et régime matrimonial
Le droit français s’enrichit de l’existence de multiples régimes matrimoniaux qui organisent donc le patrimoine du couple marié. En particulier, le régime supplétif, par défaut, français est celui de la communauté réduite aux acquêts qui, avec la notion de masse commune, prolonge celle de patrimoine personnel. Par exemple, un époux souscrit une assurance-vie et y place une fraction de ses revenus. L’assurance-vie n’est souscrite que par lui, mais elle enrichit la masse commune des époux prise en considération, en particulier, au moment du divorce ou du décès.
Quelques précautions s’imposent :
- réfléchir à deux fois à l’intérêt entre monosouscription et cosouscription (et entre celle dénouée au premier décès et celle dénouée au second) ; une excellente stratégie reste d’avoir au premier décès, au moins un contrat dénoué et un autre non dénoué ; de sorte, le contribuable va conserver l’avantage fiscal à l’impôt de détention (IR) avec le contrat non dénoué et multiplier les abattements avec le contrat dénoué (impôt successoral et assimilé) ;
- s’assurer de la traçabilité des deniers, de manière que l’assurance-vie conserve cette qualification face aux péripéties de la vie patrimoniale ;
- examiner les causes de récompenses et surtout celles qui vont corriger l’emploi de deniers communs dans une assurance-vie se dénouant au décès au profit de tout autre que le conjoint ;
- la réponse ministérielle Ciot (du 23 février 2016) a été adulée par les professionnels. Elle précise ceci : « afin de garantir la neutralité fiscale pour l’ensemble des héritiers lors du décès du premier époux, il est admis, pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2016, qu’au plan fiscal la valeur de rachat d’un contrat d’assurance-vie souscrit avec des fonds communs et non dénoué à la date du décès de l’époux bénéficiaire de ce contrat, ne soit pas intégrée à l’actif de la communauté conjugale lors de sa liquidation, et ne constitue donc pas un élément de l’actif successoral pour le calcul des droits de mutation dus par les héritiers de l’époux prédécédé. ». Mais une lecture plus prudente consisterait à observer que la fiscalité successorale, pour être complément comparée, l’est aux deux décès. De là également l’intérêt d’adapter le régime matrimonial des époux.
Assurance-vie et tout le patrimoine
L’assurance-vie est, dans l’immense majorité de nos patrimoines, une classe d’actif parmi d’autres. Je laisse un fils et une fille, une maison et des capitaux en assurance-vie de même valeur. Je voudrais que l’immobilier revienne à mon fils et les capitaux à ma fille. Pour autant, ma fille est héritière réservataire et donc a des droits, d’ordre public, sur la maison. Je dois donc articuler des régimes civils successoraux différents, voire contraire, à mes souhaits légitimes. Ici encore est confirmé l’intérêt de rédiger, ensemble, le testament régissant le droit commun successoral et la clause bénéficiaire, spécifique à l’assurance-vie. Je laisse une concubine : elle ne pourra bénéficier de toute la finesse des régimes matrimoniaux réservés aux époux. Si disposition testamentaire, elle sera frappée d’une fiscalité successorale confiscatoire et des limites de la réserve héréditaire. Si mes capitaux sont placés dans une assurance-vie avant mes soixante-dix ans, alors je peux lui faire bénéficier d’un régime avantageux fiscalement (990I du CGI), mais également d’une plus grande souplesse dans la notion de primes manifestement excessives par rapport au droit commun.
Pour conclure, la clause bénéficiaire de l’assurance-vie est à rédiger avec le soin, sur le fond comme sur la forme, d’un testament et avec un testament. Puisque nous ne vivons qu’une fois, contrairement aux sept vies du chat, prenons le temps de se poser avec nos clients pour mettre à plat la clause afin de lui restituer tout son relief.
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