L’or : vers un nouvel eldorado ?
Par Daniel Gérino, président et directeur de la gestion de Carlton Sélection
Le contexte d’incertitude politique est favorable à la détention d’or. D’autant que le retour de l’inflation va être au cœur des préoccupations de la Fed, et les taux réels vont rester à des niveaux bas. La « relique barbare » de Keynes devrait continuer de susciter l’attrait des investisseurs.
L’or a toujours exercé une fascination sur les investisseurs. Source de fortes plus-values, mais aussi terre de refuge en cas d’incertitudes économiques. La forte progression de l’or du début des années 2000 jusqu’à mi-2011 fut la réponse ordonnée aux craintes qui régnaient en zone euro et sur le système monétaire dans son ensemble. Cette classe d’actifs est pourtant souvent considérée comme peu utile à l’économie, car elle ne constitue pas une incitation à l’investissement ou au développement des entreprises comme peuvent l’être les actions ou les produits de taux d’intérêt. Certains parlent même d’un investissement stérile ! Mais sa place au sein d’un portefeuille n’est pas dénuée d’intérêt.
Cependant, le recours à cette matière première très particulière nécessite une bonne compréhension des drivers qui la guident. En premier lieu, il convient de comprendre où se situent l’offre et la demande, puis d’établir quelques lignes directrices qui favorisent ou dégradent sa valorisation. L’introduction de cette classe d’actif particulière peut ensuite être envisagée sans craindre d’être une victime collatérale d’un marché technique à la frontière des commodities et des produits financiers.
Offre d’or : la Chine en tête, l’Afrique du Sud en déclin
Commençons par l’analyse de l’offre : les principaux pays producteurs sont la Chine, l’Australie, la Russie et les Etats-Unis. La Chine détient le record de production, avec 455 000 tonnes d’or produites en 2016. Ce niveau en fait le champion incontesté de la production mondiale ; mais si l’on y regarde de près, ce chiffre est en stagnation car les limites de production sont atteintes, ce qui conduit naturellement ce pays à investir en dehors de ses frontières et notamment au Kazakhstan.
En seconde place, avec 270 000 tonnes d’or produites en 2016, nous trouvons l’Australie, le pays le plus prometteur au monde car il détient les réserves les plus importantes de la planète, soit 9 500 000 tonnes. Et pourtant sa production a fléchi de 3 % en 2016 par rapport à 2015.
La Russie se hisse en troisième place, avec 250 000 tonnes produites en 2016. Comme l’Australie, les perspectives de production sont très prometteuses, le pays détient 8 000 000 tonnes des réserves d’or. La Russie envisage de faire bondir sa production annuelle à 400 000 tonnes par an, d’ici 2030.
Enfin, les Etats-Unis dont le niveau de production reste inférieur à 210 000 tonnes ont également vu leur production légèrement reculer en 2016 vis-à-vis de 2015. Cet état des lieux nous montre que l’Afrique du Sud, souvent considéré comme le pays de l’or, n’arrive en fait qu’en septième position, avec seulement 140 000 tonnes par an. Par ailleurs, l’Afrique du Sud est souvent « alimentée » en or par le Mali, dont nous connaissons la situation précaire.
Globalement, l’année 2016 aura été celle du repli de la production. L’analyse des Capex, c’est-à-dire des capacités d’investissement, révèle une dégradation continue des acquisitions et/ou investissements des producteurs d’or. Comment peut-on expliquer cela ?
En premier lieu, revenons quelques années en arrière juste après la crise des subprimes. Le monde est en proie au doute et s’interroge sur les banques centrales, la résilience des économies émergentes et la robustesse des modèles de production des pays avancés.
La défiance est de rigueur et les traditionnelles valeurs-refuges, tels que l’or, les fonds d’Etat allemand, le franc suisse et le yen, sont à nouveau plébiscitées. Cela provoque très vite une poussée du métal jaune, et une vague d’investissements et d’acquisitions sur des sites de production à coûts trop élevés. Mais la dégringolade des prix de l’once, à compter de 2012, provoque une forte baisse de la profitabilité des producteurs qui ne s’étaient pas ou peu couvert contre un reflux des cours.
L’homme a trop souvent tendance à vouloir linéariser les tendances du passé ! Les Capex se sont effondrées de 18 % en 2015 pour ne plus représenter que 11,6 Md$. De nombreuses mines aux coûts d’extraction trop élevés ont été fermées, provoquant la mise au chômage de nombreux employés et de lourdes dépenses associées à ces fermetures, fragilisant encore un peu plus le secteur.
Demande d’or : la Chine a supplanté l’Inde
Voyons à présent la structure de la demande d’or. Le métal jaune s’est institutionnalisé. L’investisseur privé actif ne souhaite plus gérer l’or sous forme physique, mais a recours aux ETF. Il s’est ensuivi une forte progression des encours d’ETF or.
Ainsi la demande a-t-elle bondi en 2016 pour atteindre un sommet au cours de l’été dernier, son plus haut niveau depuis mi-2013. Par ailleurs, un autre acteur de taille influence directement ce marché : les banques centrales.
Elles ont, de tout temps, beaucoup influencé le marché de l’or, mais à y regarder de plus près leur influence bien qu’importante décroît au fil du temps. La détention globale d’or s’est fortement réduite, passant de 36 000 tonnes en 1986 à moins de 32 000 tonnes en 2008. Mais depuis la crise des subprimes, le mouvement semble s’inverser, et particulièrement pour les banques centrales des pays émergents, alors que les banquiers centraux des pays avancés ont maintenu leurs stocks d’or inchangés. Cette progression n’est, par ailleurs, remarquable que pour les pays producteurs d’or, tels la Russie, la Chine et le Kazakhstan. Inversement, un pays émergent particulièrement touché par la crise a été contraint de vendre sur le marché jusqu’à 46 % de ses réserves afin de faire face à leurs engagements, il s’agit du Venezuela.
Le cas particulier de la Chine mérite également d’être mentionné par son importance prise sur ce métal précieux ; la même remarque pourrait être faite pour bon nombre de matières premières. En moins de dix ans, la Chine est devenue le premier consommateur et le premier pays producteur d’or au monde. Elle a supplanté l’Inde connue pour sa propension à « consommer » cette commodity.
La Chine ambitionne de devenir le hub mondial de référence, tant en matière de stockage que de licences aux banques internationales. Le Shanghai Gold Exchange ambitionne d’en être le premier lieu d’échange au monde.
Connue pour son attrait pour l’or, l’Inde est un important importateur pour la joaillerie. Ce pays utilise essentiellement l’or à 24 carats pour fabriquer ses bijoux, ce qui les rend particulièrement fragiles. Sur le plan macroéconomique, ces importations d’or dégradent leur balance des paiements courants. Afin de mieux contrôler ce déficit, le gouvernement indien a décidé, en 2012, d’instaurer un tarif douanier de 4 % pour limiter les importations. Cette mesure n’ayant pas été jugée suffisante, ce taux est passé à 10 % en 2013. Les résultats ne se sont pas fait attendre, le niveau des importations s’est fortement contracté, passant de près de 1 100 tonnes à 570 tonnes, avec une amélioration du compte courant de près de 30 Md$. L’or reste cependant un placement fétiche pour les Indiens. On estime la détention globale des ménages de 15 000 à 20 000 tonnes !
Il semble que, malgré cette forte pénalisation, les Indiens restent toujours très demandeurs de cette commodity, et 2017 devrait confirmer cet appétit pour ce métal précieux.
Voyons maintenant ce qui « drive » cette matière première, et en particulier les facteurs économiques et psychologiques.
L’angle psychologique a déjà été abordé s’agissant d’une réponse simple à l’angoisse d’une catastrophe d’où qu’elle vienne. En effet, l’or n’est pas sujet à remise en cause, un kilo d’or reste un kilo d’or, et sa valeur reste moins sujette à caution que la valeur d’une monnaie. Les incertitudes politiques favorisent la détention d’or : les élections en France, en Allemagne, probablement en Italie, l’impact non encore évalué du Brexit, la politique économique aux Etats-Unis, la solidité du nouveau modèle économique chinois tourné sur la consommation intérieure et la soutenabilité de l’euro dans une union monétaire sous perfusion de sa banque centrale.
L’angle économique est plus complexe à analyser. En effet, la relation avec le dollar est historique et constitue un des facteurs déterminants de son évaluation. Comme le montre le graphique ci-contre, une hausse du dollar entraîne une baisse concomitante de l’or. Comme bon nombre de matières, leur négoce s’effectue en dollars. Donc à budget constant, un acheteur ne peut subir la double peine, un dollar fort et une matière première en hausse. L’un des deux doit s’ajuster. Dans les faits, l’impact dollar supplante souvent le cours des matières premières. L’or ne faisant pas exception, la relation inverse est très souvent vérifiée. Alors investisseurs, soyez vigilants sur le dollar !
Les taux réels vont rester à des niveaux modestes
Un autre mécanisme fondamental pour une bonne lecture des cours de ce métal est les taux d’intérêts réels. Ils représentent la différence entre le taux nominal et le taux d’inflation, il convient d’avoir une opinion éclairée sur ces deux thèmes. L’alchimie est assez simple, plus les taux réels sont bas, plus votre goût pour l’or s’accroît. En effet, une chute des taux réels rend peu rémunérateurs les placements traditionnels, et la quête de la performance vous orientera naturellement vers l’or. En revanche, une situation de taux réels élevés détournera de cette commodity les placements traditionnels offrant de bons rendements. Alors quel regard porter sur l’inflation et son corollaire, les taux long et court terme ?
L’inflation est repartie partout dans le monde. Elle atteint 2,5 % aux Etats-Unis et 2 % en zone euro. Elle ne décroît que dans certains pays émergents, tels la Russie et le Brésil. Ce retour à des niveaux plus raisonnables est attribuable à l’atténuation des troubles économiques récemment subis. Dans le reste du monde, ce retour de l’inflation est essentiellement dû à la reprise des cours des matières premières. Au premier rang desquels figurent l’énergie et donc le pétrole. En effet, le pétrole est la principale variable explicative de la hausse de l’inflation, les soft commos (grains, agriculture), et les métaux ferreux et non ferreux sont moins prépondérants dans ce phénomène de reprise de l’inflation.
Alors risque-t-on de voir perdurer l’inflation ? Nous ne le croyons pas. L’effet base a fortement joué depuis le début d’année (nous nous comparions au prix du baril qui était retombé à moins de 30 $ le baril il y a un an) et cette comparaison va s’amenuiser au mois de juin qui constitue un des points hauts de l’année, avec la driving season et cooling season. Dans le même temps, la Fed a enclenché un processus de remontée de son taux directeur. Nous pensons que celui-ci restera légèrement en dessous de l’inflation, maintenant des taux réels extrêmement modestes.
En zone euro, la situation est clairement au maintien de taux directeurs au plancher conduisant à des taux réels négatifs. Le moindre niveau d’inflation et l’action de la BCE permettent également de contenir les taux longs. Donc une situation favorable à l’or, car les taux réels resteront bas. De plus, dans un monde à croissance molle, des taux réels élevés ruineraient le potentiel de croissance.
Le gestionnaire de portefeuille est confronté depuis quelques années à des nouveaux phénomènes de corrélation entre actifs financiers traditionnels. La classique bascule actions/obligations a du plomb dans l’aile. En effet le marché obligataire s’est davantage sophistiqué et interprète mieux les différents risques potentiels inhérents aux produits de taux. Le risque de contrepartie est mieux « pricé » à travers l’évaluation des spreads de crédit. Ces derniers ont permis de relier le marché actions et les marchés de taux non gouvernementaux. Leur corrélation s’est fortement intensifiée au point de ne plus offrir une véritable couverture. Les taux gouvernementaux ont également subi ce phénomène de spread entre pays plus ou moins solvables, conduisant à réduire considérablement le spectre d’instruments protecteurs aux seuls emprunts d’Etat allemand.
Cette ruée vers la qualité s’est traduite par une véritable bulle spéculative sur ces papiers. Il ne reste donc plus beaucoup d’alternatives pour protéger son allocation d’actifs :
- recours aux produits dérivés : souvent difficile et d’accès compliqué ;
- recours aux instruments (ETF) de volatilité : leur situation en fort contengo en font des protections qui ne se matérialisent qu’en cas de violent effondrement du marché, partout ailleurs cela ne protège pas et dégrade la performance ;
- les produits de change souvent décorrélés, mais impossible à justifier sauf à être un expert cambiste ;
- les matières premières offrent une bonne décorrélation, mais peu de produits bénéficient d’une faible volatilité ;
- l’or reste d’un accès facile, d’une bonne liquidité et d’une lecture accessible.
La place indispensable des Trackers
Le choix de l’instrument reste encore en suspens : faut-il choisir des Trackers, des fonds sur les mines d’or, des actions aurifères ou d’autres instruments plus évolués proposant une indexation synthétique à un indice représentatif des métaux précieux ?
Il nous semble que la dernière solution, ainsi que le recours à des Trackers parfaitement sélectionnés et en totale connaissance des sous-jacents constitue la bonne approche pour intégrer un stabilisateur d’une allocation d’actifs. La quote-part nécessaire doit être évaluée en fonction de la matrice de corrélation des actifs composant le portefeuille et du degré de protection souhaité. Un budget de risque permet de cadrer son allocation en cas de « gros temps ».
Quels sont les effets d’une diversification or dans un portefeuille ? Nous avons retracé la performance d’un portefeuille 100 % actions MSCI World comparé à un mixte 85 % MSCI World et 15 % Or. La performance cumulée passe de 83,60 % à 92,70 %, avec une volatilité bien inférieure passant de 18 à 15 %. L’amélioration du couple rendement-risque est donc tout à fait appréciable.
Voyons à présent le comportement d’une telle allocation lors de la crise des subprimes (2008 & 2009) la crise de la zone euro (été 2011) et la crise Chine : pétrole début 2016. Le tableau ci-dessous illustre l’intérêt d’une telle diversification.
Comme l’a très récemment souligné l’ancien président de la Fed (février 2017), l’or va sans doute reprendre des couleurs et jouer pleinement son rôle de protection contre l’inflation. Et d’ajouter : « l’or est la seule devise ayant une valeur intrinsèque ».
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