Un projet de loi de finances salvateur, en creux
Par Philippe Baillot, professeur associé, université Assas-Paris II
Le projet de loi de finances pour 2015 illustre, en creux, une inflexion notable des orientations fiscales du quinquennat.
Le programme présidentiel contenait deux projets majeurs d’évolutions de notre fiscalité patrimoniale avec :
- l’alignement de l’imposition des revenus du travail et du capital ;
- la fusion de la contribution sociale généralisée (CSG) et de l’impôt sur le revenu (IR).
La mise en œuvre effective de ces deux promesses, en particulier la première, était potentiellement lourde de conséquences pour l’économie patrimoniale des assurances en cas de vie. Aussi leur abandon, de facto, doit-il être souligné.
Equivalence des impositions
L’alignement de l’imposition des revenus du travail et du capital induisait en pratique une surimposition du capital. En effet, ce dernier est assujetti, par ailleurs, à l’ISF, aux impôts locaux pour sa dimension immobilière et, périodiquement aux droits de donation ou de succession. Leur éventuel cumul, à leurs taux actuels, débouchait sur une véritable euthanasie des rentiers, mis dans l’incapacité de simplement préserver leur patrimoine. A cet égard, il suffit d’observer l’équivalence des taux de l’ISF et de l’IGF de 1982, le rendement des obligations d’Etat, à 10 ans, étant passé entre-temps de 17,4 à 1,29 % ! La seule réponse des épargnants aurait alors consisté à utiliser deux des trois libertés fondamentales offertes par la construction européenne : les libertés de mouvement des personnes et des capitaux.
Dans le monde entier, la rareté et la mobilité des capitaux excluent, en effet, l’équivalence projetée des impositions. Ainsi, la Suède pratique-t-elle traditionnellement le dualisme fiscal : avec une imposition des revenus du travail à un taux plus ou moins progressif, selon les orientations politiques du gouvernement, et l’application d’un prélèvement libératoire, minoré aux revenus du capital.
En toute hypothèse, l’abandon des projets initiaux de réforme de notre fiscalité patrimoniale ne pourra qu’être salué par les assurés. Ainsi peuvent-ils espérer valoriser leur épargne, au sein de contrat d’assurance vie, en bénéficiant, après huit ans, de la possibilité d’opter pour un prélèvement libératoire limité à 23 % (7,5 % d’IR – après un abattement sur les produits de 4 600 € pour un célibataire et 9 200 € pour un couple –, majoré de 15,5 % de CSG).
Quant aux plus privilégiés d’entre eux, ils pourront continuer à utiliser leurs contrats d’assurance-vie comme l’outil le plus efficient d’optimisation du plafonnement de leur ISF. L’idée, un temps caressée par Bercy, d’introduire une disposition visant à « plafonner le plafonnement » semble, en effet, abandonnée. Au demeurant, sa mise en œuvre se serait révélée particulièrement délicate au regard des termes des décisions récentes du Conseil constitutionnel (n° 2012- 654 du 9 août 2012 ; 2012-662 du 29 décembre 2012; 2013-685 du 29 décembre 2013). Pour autant, leur bien-être ne saurait être parfait.
Principe de confiance juridique
En premier lieu, le fait générateur de leur imposition – le rachat total ou partiel de leur contrat, voire la disparition de la tête assurée – étant, par hypothèse, futur, les épargnants ne bénéficient d’aucune garantie viagère sur la préservation de ce taux. A cet égard, les contribuables français restent dans une totale incertitude, en l’absence de tout principe de « sécurité juridique » [reconnu par : la Cour de justice (CJCE 6 avril 1962 n° 13/61, Bosch) ; la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 13 juin 1979 n°6833/74, Marckx c Belgique) ; le Conseil d’Etat (24 mars 2006 n°288.460 s, KPMG et autres) ; la Cour de cassation (Cass. 1e civ. 6 décembre 2005 n°04-20.625 Bull. civ n°475].
A l’occasion de sa saisine sur la problématique des modifications des modalités d’application de la CSG aux contrats d’assurance-vie, le Conseil constitutionnel a simplement récemment esquissé le principe de « confiance juridique », aux termes duquel un contribuable pourrait prétendre à la préservation du cadre fiscal en vigueur à la date de sa souscription: « (17)… qu’il ressort… que l’application des taux de prélèvements sociaux « historiques » aux produits issus de certains contrats d’assurance vie est l’une des contreparties qui sont attachées au respect d’une durée de six ou huit ans de conservation des contrats, accordées aux épargnants pour l’imposition des produits issus de ces contrats ; que, par suite, les contribuables ayant respecté cette durée de conservation pouvaient légitimement attendre l’application d’un régime particulier d’imposition lié au respect de cette durée » (décision 2013-682 sur la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014).
En second lieu, le taux projeté de 23 % (7,5 % d’IR – après un abattement sur les produits de 4 600 € pour un célibataire et 9 200 € pour un couple –, majoré de 15,5 % de CSG) ne prend pas en compte l’inflation. Son absence temporaire réduit naturellement la portée de cette observation. Inversement, si la sortie de la crise actuelle de nos finances publiques prenait la forme d’un retour de l’inflation, les assurés subiraient une forme de double peine.
Selon le rythme du retour de l'inflation
A titre d’exemple, un assuré ayant placé 100 euros au sein d’un contrat, au rendement annualisé de 4 %, disposera, la veille de son 8e anniversaire d’un capital de 136,85 euros. En cas de rachat total, ce produit subira un prélèvement nominal de 30,5 % (correspondant, avant 8 ans, à 15 % d’IR, majoré de 15,5 % de CSG), soit un montant de 11, 25 euros. Dans l’hypothèse où durant ces huit années l’inflation s’est élevée à 2 % par an, la réalité de l’augmentation du pouvoir de l’épargne considérée est limitée à 20,07 euros. Le prélèvement exigible de 11,25 euros représente donc en réalité 56,05 % de la valorisation du capital investi !
Par ailleurs et surtout, selon le rythme de retour de l’inflation, la remontée induite des taux obligataires placerait en difficulté majeure les compagnies distributrices des fonds en euros jusqu’à éventuellement appeler la suspension des rachats, conformément aux dispositions de l’article L 612-33 du code monétaire et financier.
A plus court terme, les assurés observeront – en l’exceptionnelle absence de projet gouvernemental – la traditionnelle litanie automnale des propositions parlementaires visant à la modification de leur fiscalité. Ainsi les députés ont-ils, d’ores et déjà pour l’instant vainement, suggéré :
- de réduire de 8 à 6 ans la durée fiscalement privilégiée des contrats en cas de vie Amendement n° I-110 de MM. F. Lefebvre ;
- de minorer de 152 500 à 100 000 euros l’abattement applicable à la taxation des capitaux décès (amendement n° I-682 de MM. M. Sansu).
Ainsi nos parlementaires illustrent-ils leur incapacité – qualifiée, dans le passé, de « vibrionnisme » par le conseil des impôts – à comprendre la nécessité pour les contribuables de bénéficier d’un cadre fiscal stable, lisible et pérenne pour leur épargne longue, condition préalable à la génération de la nécessaire confiance à tout acte d’épargne.
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