Penser foncier et revenir aux bases
Par David Seksig, directeur général et cofondateur de Remake AM
Pour comprendre l’avenir, il faut parfois se tourner vers le passé. Et il est difficile d’évoquer les perspectives de l’immobilier sans revenir à ce qui s’est passé dans la foulée de la crise des subprimes en 2007-2008 et de la crise de la dette souveraine qui a suivi en zone euro.
Cela a entraîné la création par les banques centrales d’une formidable masse monétaire qui est, en particulier, venue alimenter une forte revalorisation des actifs physiques, dont l’immobilier, mais aussi du Private Equity, avec la multiplication des fameuses licornes.
En parallèle, le phénomène de mondialisation entraînait un enrichissement spectaculaire de pays comme la Chine, la main-d’œuvre du pays, qu’on a un temps appelé l’atelier du monde, n’étant plus aussi bon marché aujourd’hui qu’au moment de l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce. Les ruptures de chaînes d’approvisionnement durant la pandémie de Covid ont plus récemment souligné un certain besoin de « démondialisation », pour favoriser la résilience à l’efficience avec, là aussi, des impacts inflationnistes. Et la récente guerre en Ukraine a finalement mis le feu aux poudres.
Les actifs de bureaux sans doute moins vulnérables que la logistique
Le retour brutal de l’inflation observé en 2022 marque une nouvelle ère pour l’immobilier, après une décennie marquée par un vif attrait pour la classe d’actifs, en particulier pour le segment des bureaux. La période Covid avait tempéré les ardeurs du marché, sur la supposition un peu hâtive que le télétravail allait se généraliser.
En réalité, on voit aujourd’hui que même des entreprises qui avaient pris très au sérieux cette hypothèse, comme les géants de la Tech américaine, renoncent au tout télétravail. La nouvelle norme qui tend à se dessiner serait plutôt le télétravail partiel à hauteur de deux jours par semaine. La phase du Covid n’a donc pas été source d’une transformation majeure, mais a simplement eu un effet accélérateur sur une tendance prise par les entreprises, déjà amorcée et anticipée par les investisseurs immobiliers, qui recherchent de plus en plus des immeubles facilement adaptables en fonction des besoins de flexibilité des utilisateurs. Nous restons positifs sur les perspectives, même s’il est clair que l’augmentation des charges courantes que subissent les utilisateurs est un réel frein à de futures augmentations de la valeur locative des biens. Certains sont tentés de comparer la situation actuelle avec les années 1990, où l’immobilier de bureau avait subi une sévère crise, dans un contexte de taux nominaux élevés.
Mais la situation actuelle est très différente sur d’autres points : ainsi, les années 1990 avaient été marquées par une profonde récession et un taux de chômage très élevé, d’où une faiblesse de la demande venant immédiatement après une période de forte production de bureaux à la fin des années 1980.
Aucun des ingrédients de ce fort déséquilibre n’est présent actuellement. La hausse des taux entraîne une reconstitution des primes de risques qui aura évidemment un impact sur les prix. Comme tout objet rare, c’est au sein des localisations où la demande locative est très importante que les propriétaires de bureaux pourront espérer la compenser en faisant passer les indexations de loyers. Ailleurs, c’est moins sûr puisque le rapport de force revient en faveur du locataire. Cette rareté peut aussi s’exprimer à travers le foncier et sa valeur alternative : la densification des métropoles continuera, poussée par la rareté et la recherche d’efficacité. A condition de sécuriser la situation locative et laisser le temps de cette valorisation, nous avons là aussi un moyen assez efficace de résistance à l’érosion monétaire.
Généralement, la valeur foncière s’apprécie par sa rareté. Et retransformer du bureau haussmannien en habitation, c’est capturer une valeur d’usage supérieure à cet instant. Or, le foncier reste bien le même. Notre analyse du segment logistique se heurte à cette réalité. Si nous ne contestons pas la croissance des besoins liée au développement du e-commerce, nous restons dubitatifs quant à une éventuelle rareté foncière (naturelle ou réglementaire), notamment en Europe continentale.
Les transactions en 2022 faisaient refléter des taux de rendement particulièrement faibles, tirés par des anticipations de croissance des loyers. Se produiront-elles en 2023 lorsque les logisticiens auront assumé une indexation de plus de 10 % dans certains pays d’Europe ? Pas simple. En revanche, les niveaux de valorisation atteints par ce segment offrent des perspectives pour des opérations de transformation de bâti industriel ancien, souvent en périphérie, en actifs de messagerie. Et, phénomène nouveau, ces actifs se verticalisent ! Une réponse efficace à la rareté foncière en ville.
Le retour du commerce physique
Le pendant de ce goût prononcé pour la logistique a évidemment été un « commerce bashing » massif. Si nous ne doutons pas de l’attractivité des hypercentres, largement desservis, dont l’offre est diversifiée et qui peuvent compter sur des clientèles de destination, pendulaires et locales, nous sommes bien plus prudents sur le commerce de centre-ville en dehors de ces exceptions. Concurrence du commerce en ligne, offre pas assez étoffée, accès routiers réduits par une politique autophobe, fragilité du modèle économique de certaines boutiques sont autant de dangers durables. A l’opposé en termes de masse, le modèle des centres commerciaux est aussi remis en cause par la mutation des modes de consommation, même si là aussi les meilleurs actifs dans ce domaine font preuve d’une réelle résistance.
Parmi les actifs de commerce, les retail parks intégrés restent notre segment préféré pour plusieurs raisons : facilité d’accès, offre diversifiée, pilotage par un seul acteur pour une meilleure cohérence et animation de l’offre, charges locatives bien plus modestes. Le fait qu’un numerus clausus s’impose aussi au commerce va créer de la rareté, et c’est une bonne nouvelle. Pour les actifs les moins compétitifs (au même titre que le commerce d’entrée de ville anarchique), c’est aussi une occasion de penser foncier et accompagner la transformation de l’actif ou sa densification.
Les risques qui pèsent sur le commerce ont détourné nombre d’investisseurs de cette classe d’actif, avec à la clé une détente généralisée sur les taux de rendement. Nous voyons des vendeurs davantage ouverts à la négociation. Ainsi naît un paradoxe : certains commerces de périphérie, pourtant occupés, s’acquièrent moins cher que des actifs de logistique plus distants.
Résidentiel, un doute sur les prix futurs
Le résidentiel se divise en deux marchés, l’ancien et le neuf, sur lequel nous sommes plus réservés. Le premier est tiré par la rareté, un facteur de soutien à la valeur. Les prix se maintiennent, voire continuent de s’apprécier dans les quartiers les plus demandés, en dépit de la brutalité inouïe de la remontée des taux. Pour le moment.
La situation s’avère plus complexe dans le neuf, qui fait face à un empilement de contraintes : d’abord, le secteur est de plus en plus dépendant de l’agenda électoral, les municipalités n’accordant des permis de conduire qu’avec parcimonie. Mais surtout, les promoteurs sont confrontés à une équation difficile. Alors qu’une opération de promotion va prendre de trois à cinq ans, ils subissent de plein fouet l’inflation des matières premières, avec des augmentations de coûts à deux chiffres. Parallèlement, les conditions d’octroi de crédit et les hausses de taux réduisent la capacité d’emprunt des ménages, ce qui laisse planer un doute sur les prix de vente futurs.
Des marchés étrangers au juste prix ?
A priori, le marché immobilier français devrait subir moins fortement de la hausse des taux que d’autres pays, du fait d’une plus grande inertie liée à la structure du marché, en particulier sur l’immobilier résidentiel. En effet, l’immobilier est un grand consommateur de fonds propres mais aussi de dette, celle-là même qui donne généralement l’orientation du marché.
Or la structure des marchés diffère d’un pays à l’autre. En France, c’est la banque qui prend généralement le risque de taux, puisque les crédits sont émis à taux fixe (on notera d’ailleurs la volonté réaffirmée récemment de la BCE de mettre fin à ce modèle). C’est vrai pour les particuliers, mais aussi souvent pour les professionnels. Ailleurs en Europe, il est assez habituel de financer à taux variable. Dans un contexte de remontée des taux, les emprunteurs voient donc leurs intérêts s’envoler et, généralement, la quotité de dette diminuer. Mécaniquement, ces situations engendrent plus fréquemment des situations de vente forcée, donc des corrections de prix. C’est en effet le cas actuellement. Malgré le fait que la zone euro ait eu tendance à niveler les profils de performance entre les différents pays européens, certains marchés (Irlande, Portugal, Espagne, Pays-Bas par exemple) se montrent ainsi bien plus réactifs aux variations de taux.
Alors, risque ou opportunité ? Pour un patrimoine déjà constitué lors de millésimes antérieurs, c’est un risque de correction des valeurs. En revanche, pour un investisseur ne faisant pas ou peu appel à la dette, c’est une opportunité d’entrer dans un point bas du marché. D’autant plus que les transactions se réalisent plus vite qu’en France. Compter, par exemple, un mois et demi aux Pays Bas et en Irlande, contre quatre mois en France.
Reste enfin le risque de change, disparu en Europe continentale avec la mise en place de l’euro, mais encore bien visible au Royaume-Uni et en Europe de l’Est. Même si les parités n’ont pas été bousculées, il s’agit bien d’un risque supplémentaire à ne pas négliger, ou à couvrir.
Par ailleurs, la France se distingue aussi par une fiscalité de l’immobilier parmi les plus fortes d’Europe : droits d’enregistrement relativement élevés, taxe foncière en forte croissance, fiscalité des revenus fonciers à l’impôt sur le revenu. Dans de nombreux pays, cette pression est moindre et, surtout, les revenus sont taxés généralement à la Flat Tax. Même si l’on peut anticiper une pression fiscale plus forte dans les prochaines années du fait des déficits croissants, la France part d’un point déjà très haut.
Tous ces éléments conduisent actuellement, de manière tactique, à privilégier les actifs à l’étranger par rapport au marché français, où les primes de risque ne se sont toujours pas ajustées.
Privilégier à nouveau le rendement
Il est probable que nous entrions dans un cycle d’inflation sous l’effet d’une forme de démondialisation. En période d’inflation, donc de taux élevés, l’immobilier s’est historiquement bien comporté. Il suffit de constater les performances correctes dans les années 1970 par rapport aux autres placements. Durant ces périodes, le rendement locatif a pris l’ascendant sur la performance en capital (le contraire de ces dix dernières années). Alors faut-il privilégier les actifs de rendement et moins l’appréciation du capital ? Nous le pensons. A condition de privilégier les bonnes contreparties locatives et agir fermement sur la maîtrise des charges.
Autant de capacité d’indexation ou de croissance des loyers en moins. Une réponse est bien sûr la sobriété énergétique. Il est ainsi acquis que les fonds immobiliers devront consacrer plus de capacité à améliorer leurs actifs, au détriment, préparons-nous, des dividendes servis.
Maîtriser son risque locatif n’est toutefois pas suffisant. Lorsqu’il n’y a plus de bail, il y a un immeuble ; lorsqu’il n’y a plus d’immeuble, il reste un foncier. Perdre de vue ce dernier facteur, comme on a pu le voir sur certains actifs alternatifs, c’est se livrer à des risques de perte en capital sévères. C’est pourquoi nous privilégions les territoires en périphérie des villes, plus susceptibles de se valoriser sur le long terme dans une logique de métropolisation. En se positionnant sur du « foncier rémunéré », on revient aux bases de l’immobilier en privilégiant l’appréciation de la localisation à la valeur d’usage.
Alors que l’on ne parle plus que de télétravail, de mobilité douce ou encore de déplacements pendulaires trop coûteux, la revanche de la banlieue a peut-être sonné. Parce que rapprocher le travail des lieux d’habitation est plus efficient que l’inverse. Qui l’eut cru ?
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