La banque privée traditionnelle est-elle vouée à disparaître ?
Par Albert d’Anthoüard, directeur de la clientèle privée chez Nalo
Faible digitalisation, bouleversements réglementaires, concurrence des FinTechs : d’importants défis sont à relever dans le monde feutré de la gestion privée. Saura-t-elle évoluer à temps ?
Pendant longtemps, le monde de la gestion privée, notamment des banques privées, est resté préservé des révolutions. C’était d’ailleurs sa force : associé à l’image d’un coffre-fort résistant à tous les assauts, le monde de la gestion privée est resté immuable au fil des décennies. Au point d’accumuler de sérieux retards et d’importantes fragilités. Face à une réglementation plus stricte et à l’émergence de nouveaux acteurs plus accessibles, plus personnalisés et moins chers, la gestion privée va devoir se réinventer.
La gestion privée devient plus chère et moins attractive
La première révolution à laquelle fait face la gestion privée est d’ordre réglementaire avec l’entrée en vigueur de la directive MIF 2 depuis quelques mois.
Cette réglementation met notamment un terme aux rétrocessions que touchait la gestion privée (banques privées et CGP) en investissant leurs clients dans des fonds d’autres sociétés de gestion, appelés « fonds externes ». Les conséquences sont doubles. D’une part, la gestion privée voit désormais ses revenus diminuer et a déjà réagi en augmentant ses tarifs. D’autre part, pour améliorer leur rentabilité, ces établissements peuvent être amenés à abandonner progressivement la distribution des fonds « externes » et investir leurs clients plutôt dans leurs fonds « maison », gérés par exemple par la filiale de gestion d’actifs des banques privées. Or, en augmentant leurs tarifs et en limitant leur offre en architecture ouverte, la gestion privée perd en attractivité auprès de ses clients.
La chasse aux coûts a également d’autres conséquences fâcheuses dans les établissements traditionnels : pour rester rentables, ceux-ci diminuent la personnalisation de leurs conseils, pour se concentrer sur des profils génériques dans lesquels un nombre important de clients sont gérés sur le même niveau de risque alors qu’ils ont tous des profils et des objectifs différents.
Attention à la prise de conscience des tarifs par les clients
L’entrée en vigueur de la directive MIF 2 va également imposer à la gestion privée d’envoyer en fin d’année à chacun de leurs clients un récapitulatif des frais qui leur auront été prélevés au cours des 12 mois écoulés. Attention au choc !
La plupart des clients en gestion privée n’ont en effet pas réellement conscience du prix des prestations dont ils s’acquittent. En banque privée, les clients dont le patrimoine financier géré par l’établissement financier est inférieur à une certaine somme (environ trois millions d’euros la plupart du temps) n’ont par exemple pas conscience du fait qu’ils paient chaque année une partie des frais des services d’ingénierie patrimoniale dont seuls les clients ayant un patrimoine supérieur bénéficient réellement. Dans ce contexte, l’augmentation des tarifs de la gestion privée, due à la fin des rétrocessions, ne passera pas non plus inaperçue.
Le danger pour ces établissements est donc qu’une partie de leurs clients décident de se passer de leurs services pour se tourner vers des alternatives moins onéreuses et plus personnalisées.
La gestion privée du XXIe siècle existe déjà
En effet, la gestion privée de demain existe déjà et porte un nom : il s’agit des FinTechs. Ces solutions bénéficient d’atouts majeurs face aux établissements traditionnels : simplicité d’utilisation, personnalisation maximale, flexibilité et faibles coûts.
Ces outils proposent des placements ultra-personnalisés qui prennent en compte avec précision l’environnement patrimonial et matrimonial ainsi que les projets personnels des clients (achat d’un bien immobilier dans X années, études de chacun des enfants dans X années, préparation à la retraite, ou valorisation de son capital par exemple). Ces investissements sont ainsi constamment en cohérence avec l’évolution de la vie financière et patrimoniale des clients. Au lieu de pousser leurs clients vers le monde des OPCVM et des Sicav aux frais élevés et ne surperformant pas les marchés pour la grande majorité, les Fintech guident leurs utilisateurs vers l’achat d’ETF qui suivent les performances des marchés financiers sur toutes les classes d’actifs et toutes les zones géographiques, aux frais jusqu’à 10 fois plus faibles.
Enfin, en ce qui concerne certaines prestations de la gestion privée (conseils juridiques et fiscaux, immobilier, accès au crédit), les FinTechs apportent également une réponse personnalisée à chacun de leurs utilisateurs grâce à l’aide d’un conseiller en faisant éventuellement appel à des experts externes, comme des avocats ou des courtiers en crédit. Ceci afin notamment de proposer une tarification juste et appropriée pour chaque besoin, et non une tarification globale pour finalement n’avoir accès qu’à certains services. Pour faire face à ces nouveaux modèles tout-en-un, peu de choix s’offrent à la gestion privée traditionnelle : faire évoluer son offre et ses tarifs en profondeur, ou envisager de s’allier à ces nouveaux acteurs.
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