Immobilier : crise à tous les étages !

Par : edicom

Par Jean-François Fliti, associé Allure Finance

Le marché immobilier en France traverse actuellement une période de graves turbulences qui ont de fortes répercussions sur les principaux acteurs du secteur que sont les promoteurs, les notaires, les agents immobiliers et les courtiers.

Pour appréhender la complexité de cette crise, il est essentiel de rappeler le contexte économique global dans laquelle elle s’inscrit. La France, tout comme de nombreux autres pays, a été durement touchée par les effets de la pandémie de Covid-19, puis de la guerre en Ukraine. Les confinements successifs, les perturbations économiques et les incertitudes en résultant ont laissé des séquelles profondes, dont le marché immobilier subit encore les conséquences.

 

Environnement économique dégradé

En effet, si l’on excepte la crise de 2008 liée aux subprimes, qui a conduit à l’effondrement de Lehmann Brothers, et celle de 2019 due au Covid, le marché immobilier a profité ces vingt-cinq dernières années d’une hausse quasi ininterrompue des prix.

Alimenté par des injections massives de liquidités en provenance des banques centrales (Fed et BCE) et par la baisse des taux d’intérêt atteignant des niveaux jamais atteints (voire négatifs), le marché immobilier a fait l’objet d’une une bulle autour d’actifs survalorisés. Les taux d’emprunt exceptionnellement bas permettaient de s’endetter facilement, avec à la clé une demande forte et une augmentation mécanique des prix.

Cette époque est désormais révolue. La crise du Covid, puis la guerre en Ukraine ont rebattu les cartes, notamment à cause de l’inflation qui s’est ensuivie.

Pour juguler cette inflation, les banques centrales ont alors décidé collectivement d’augmenter massivement et brutalement les taux d’intérêt d’une part, et de retirer des liquidités du marché d’autre part par la fermeture des « robinets » bancaires.

Rappelons, enfin, l’impact du facteur réglementaire, avec le renforcement des normes relatives aux passoires thermiques qui renchérit le coût des travaux et des matériaux et entraîne de facto la dévalorisation des biens immobiliers à usage d’habitation.

 

Baisse des transactions et des prix

L’instabilité de l’emploi, la crainte d’une récession, l’accès difficile au crédit et le contexte géopolitique actuel (Ukraine et Moyen-Orient) ont contribué à une diminution significative du nombre d’acheteurs potentiels. Car la confiance des éventuels acquéreurs s’est largement érodée.

Le paramètre le plus significatif concernant l’immobilier résidentiel est sans doute la baisse significative des transactions (- 40 %) que l’on peut constater depuis un an. Le marché parisien affiche une baisse d’environ 10 % sur deux ans.

La situation a conduit à un blocage du marché. La baisse s’est effectuée par paliers. Les vendeurs, qui n’ont pas pris conscience du retournement du marché, considèrent que leur bien n’a pas perdu de valeur. Il y a donc une décorrélation entre les souhaits du vendeur et le potentiel économique de l’acquéreur, grevé par une hausse des taux passée de 1 à 4 % en un an. Selon une modélisation de la Banque centrale européenne, une hausse de 1 % des taux des emprunts immobiliers entraîne une baisse des prix de 5 % dans un délai d’environ dix-huit mois.

Les notaires le confirment, la forte contraction des volumes de vente de logements anciens fait baisser les prix en France. Ce recul devrait atteindre environ 5 % sur un an pour les appartements et les maisons sur la France entière, à fin décembre 2023. La baisse est plus marquée en Ile-de-France (- 7 % environ) que dans les autres régions. Les notaires anticipent ainsi une baisse durable des ventes, avec huit-cent-cinquante mille à neuf cents mille transactions fin 2024, contre neuf-cent-cinquante-cinq mille comptabilisées en août 2023.

Avec une baisse moyenne des ventes de 20 %, le marché résidentiel haut de gamme n’échappe pas non plus aux soubresauts qui secouent le marché traditionnel, alors que ce marché avait conservé son dynamisme suite au Covid avec la vague de déménagements et d’achats de résidences secondaires. Seul le segment de l’ultra-luxe tire son épingle du jeu, car la plupart des transactions se font sans demande de financement.

 

Toutes les catégories d’actifs concernées, sauf l’hôtellerie

Toutes les catégories d’actifs tentent de s’adapter à ce nouveau contexte en fonction de leurs dynamiques spécifiques. Le résidentiel bien sûr, mais aussi les bureaux, le commerce et même la logistique. Seule l’hôtellerie fait exception. Là où les effets de levier en matière de crédit ont été les plus importants, notamment en matière d’acquisitions liées au marché de bureaux et du commerce, l’effet boomerang sera d’autant plus fort.

Concernant le marché de l’immobilier de bureau, le télétravail ou le flex-office – postes de travail partagés entre salariés – sont des pratiques désormais habituelles pour les entreprises qui choisissent de réduire leur foncier par recherche d’économies ou pour mieux rentabiliser les espaces encore occupés. Cette évolution des modes et des espaces de travail remet en question la demande d’immobilier de bureau et entraîne une diminution des prix à la location. La rentabilité espérée n’est plus atteinte par les investisseurs, du fait de l’évolution des taux d’intérêt, de l’apport de fonds propres et des travaux liés à la transition énergétique.

Le commerce aussi a été fortement touché par l’évolution des habitudes de consommation, via notamment la montée en puissance du commerce en ligne. Les fermetures de magasins physiques se multiplient, laissant de nombreux espaces commerciaux inoccupés. Les investisseurs se montrent de plus en plus réticents à s’engager dans cette voie, préférant se tourner vers des opportunités en ligne. Cette tendance à la baisse devrait se poursuivre, poussant les propriétaires d’espaces commerciaux à repenser leurs stratégies d’investissement en se tournant vers des usages mixtes combinant lieux de vie, habitations et bureaux (le « tout-en-un »).

Le secteur de la logistique, en forte croissance jusqu’ici en raison de l’essor du commerce en ligne, rencontre désormais des difficultés liées à la faible croissance économique.

Bien que le secteur de l’hôtellerie ait été fortement impacté par la crise sanitaire mondiale (baisse significative de la demande à cause des restrictions de voyage et des confinements) et qu’il doive maintenant faire face à une concurrence accrue des locations de vacances et des plates-formes d’hébergement en ligne, il se distingue néanmoins de l’ensemble du marché immobilier en s’affranchissant des cycles économiques ainsi que de la hausse des taux. En effet, le fait de pouvoir acquérir à la fois les murs et le fonds de commerce permet d’augmenter ses tarifs en suivant l’inflation (Pricing Power). D’autre part, le déficit d’actifs hôteliers en France et en Europe accroît la demande – et donc la valorisation –, tandis que l’offre est contrainte – difficultés pour construire de nouveaux espaces dans le milieu urbain. Enfin, l’hôtellerie est le seul actif urbain qui associe de l’immobilier et du service permettant d’accueillir une très large typologie de clients.

 

Conséquences sociales et politiques

La crise immobilière ne se limite pas à ses répercussions économiques. Elle a également des conséquences sociales et politiques importantes.

Sur le plan politique, elle devient un enjeu majeur. Les gouvernements sont appelés à mettre en place des mesures pour atténuer ses effets. Les difficultés d’accès à l’habitat pèsent également sur les capacités de recrutement des entreprises. Les objectifs de plein-emploi et de réindustrialisation affichés par le président de la République ne pourront être atteints si les problèmes de logement ne sont pas réglés.

 

Les fonds immobiliers

L’effet conjugué de la hausse des taux d’intérêt sur l’immobilier et des prix durablement élevés continue d’alimenter l’attentisme des investisseurs en immobilier d’entreprise – bureaux, commerces, locaux d’activités – au plus bas depuis 2010, avec une chute des montants investis en France de 51 % par rapport au premier semestre 2022. Le contexte est également pesant pour le secteur immobilier résidentiel avec la contraction des volumes de transactions et la baisse des prix immobiliers.

Certains fonds immobiliers sont soumis à des défis conséquents car le poids des intérêts d’emprunt pèse sur leurs performances. Dans ces fonds, certains actifs immobiliers peu liquides incitent les investisseurs à se retirer, entraînant ainsi une cession forcée d’actifs et une baisse importante des prix. On assiste actuellement à des rachats de portefeuilles significatifs constitués principalement d’espaces de bureaux et de surfaces commerciales à -50 %. Les fonds de SCPI accusent à la fois des décollectes importantes et une baisse de valorisation conséquente. Certains opérateurs commencent à bloquer les retraits, ce qui s’est déjà produit durant la crise immobilière de 1992 et 1993.

Selon le bilan de l’Association française des sociétés de placement immobilier (Aspim), près d’un quart des SCPI ont diminué leur prix de souscription au cours des neuf premiers mois de 2023. La tendance devrait s’aggraver lourdement au vu des perspectives très négatives sur les valorisations de ces classes d’actifs et le taux de vacance des bureaux en Ile-de-France. Les retraits massifs actuels entraînent des mouvements de marché baissiers et font naître des problèmes de liquidité.

  • Mise à jour le : 22/01/2024

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