Brexit, vers deux années de discussions difficiles
Alors que le gouvernement britannique a déclenché le Brexit et entamé les pourparlers du divorce avec l'Union Européenne, les asset managers n’ont pas manquer de faire part de leurs anticipations. Voici l’analyse de Robeco et plus particulièrement de Léon Cornélissen, chef économiste chez Robeco, et de Lukas Daalder, directeur de l'investissement chez Robeco Investment Solutions.
« Ces deux années joueront contre le Royaume-Uni. Donald Tusk (NDLR : le président du conseil de l’Union européenne) a déclaré qu'il présenterait les lignes directrices de la négociation dans un délai de 48 heures et que l'Union européenne devrait donner un mandat complet pour ces négociations lors de la réunion du Conseil le 29 avril – date qui se situe entre les deux tours de l'élection présidentielle française, explique Léon Cornelissen, chef économiste chez Robeco. Cette réunion donnera une indication sur l’attitude de l'Union européenne envers le Brexit. Il est également important de noter que si le Royaume-Uni est obsédé par la sortie de l’Union européenne, ce n'est qu'un facteur secondaire pour l’Allemagne, nettement plus intéressée à maintenir l’Union européenne unie et à gérer l’inquiétude suscitée par la Russie, la Chine et les Etats-Unis. Je m'attends donc à ce que l'Union européenne adopte une position de négociation difficile dans l'intérêt du maintien de l'union. »
Trois enjeux majeurs
Pour Léon Cornelissen, trois questions vont dominer les négociations :
- le coût des procédures de divorce au moment où le Royaume-Uni règle ses responsabilités légales
« Dans le cadre de la séparation, le Royaume-Uni a un passif net avec l'Union européenne estimé à 60 milliards d'euros. Il comprend des coûts, tels que les engagements structurels qu’il a envers l'Europe de l'Est, et les pensions qu’il doit payer aux fonctionnaires de l'UE dont il est en partie responsable », déclare Léon Cornelissen.
- l’accord commercial impliquant que le Royaume-Uni est en dehors du marché unique
« L'Union européenne veut d'abord régler les paiements liés au divorce, puis négocier ensuite un accord commercial, tandis que le Royaume-Uni souhaite le faire par des négociations parallèles, ce qui ne sera probablement pas autorisé. Tout accord commercial sera très difficile à négocier : laisser le marché unique et revenir à l'utilisation des règles de l'OMC serait très défavorable au Royaume-Uni. »
- l’établissement du statut des expatriés britanniques vivant dans l'Union européenne, et vice-versa
« Au regard de la priorité que le gouvernement britannique accorde au contrôle de l'immigration, il est difficile d’envisager que le Royaume-Uni ne perdra pas accès au marché unique d'une manière ou d'une autre. L'Union européenne présentera les lignes rouges des sujets qui ne sont pas ouverts à la négociation, comme celui de la libre circulation des personnes. Tout accord impliquerait aussi de futurs tarifs sur les produits britanniques exportés vers l'Union européenne. »
Les expatriés
Actuellement, 1,2 million de ressortissants britanniques vivent dans l'Union européenne – dont plus de 300 000 en Espagne – et 3,3 millions de citoyens des Etats membres de l'UE vivent au Royaume-Uni. Environ un tiers de tous les expatriés britanniques vivant dans l’Union européenne reçoivent des pensions de l'État britannique.
« Alors, que faire de toutes ces personnes qui vivent ou travaillent à l'étranger, y compris tous les retraités (‘pensionados’) qui vivent en Espagne ? » s’interroge Léon Cornelissen.
L'incertitude actuelle a déjà conduit à des pénuries de main-d'œuvre dans certains secteurs au Royaume-Uni, comme celui de l’hôtellerie, dans la mesure où les ressortissants de l'Union européenne rentrent chez eux dans le cadre du renforcement de l'économie.
La reprise de l’économie de l’UE après des années de stagnation, affecte négativement l'économie britannique déjà fragilisée par la faiblesse de la livre sterling, qui a baissé de 15 % face à l'euro et au dollar américain depuis le vote du Brexit.
« Le chiffre le plus récent a été l'inflation globale de 2,3 %, au-dessus de l’objectif de 2,0 % fixé par la Banque d'Angleterre, car une livre sterling faible signifie des prix à l'importation plus élevés ce qui se répercute aussitôt. La Banque n'est pas pressée d'augmenter les taux en raison de l'impact négatif sur la croissance, maintenant que l'article 50 a été invoqué. La hausse de l'inflation va diminuer le revenu des ménages au Royaume-Uni, et il y a déjà eu un affaiblissement du marché immobilier britannique. »
Léon Cornelissen estime qu'il serait difficile de prolonger la période de négociations au-delà d'avril 2019, car elle se confronterait aux élections législatives européennes du mois suivant. « Cela serait doublement étrange et il y aurait des problèmes pour savoir si le Royaume-Uni peut présenter des candidats. Par ailleurs, une telle prolongation du délai devrait être approuvée par les 27 autres Etats, et il est difficile de les voir l’accepter. »
Vers l’affaiblissement de la livre sterling
« L’impact financier du déclenchement de l'article 50 est déjà pris en compte par les marchés financiers, il s’agira de suivre le développement des négociations sur le long-terme, avec une livre qui devrait s’affaiblir davantage, déclare Lukas Daalder, directeur de l'investissement chez Robeco Investment Solutions. Ce processus a été bien mis en avant et dans des circonstances normales, il ne devrait pas y avoir d’impact sur le marché à court terme, bien qu'il puisse y avoir un petit risque d’acheter la rumeur et vendre les faits’ avec un déploiement de positions spéculatives au fur et à mesure du processus. Au final, cela conduira à un affaiblissement à la fois du Royaume-Uni et de l'Union européenne sur la scène mondiale, ce qui signifie que si les investisseurs sont fortement exposés à la demande domestique britannique ou aux exportateurs de l'UE, il y a un risque évident à l'avenir. Cela se reflète déjà sur la plupart des marchés boursiers, qui ont déjà sous valorisé l’ensemble des éléments liés au processus du Brexit, ainsi qu'aux élections françaises et à d'autres événements potentiellement déstabilisants. À plus long terme cependant, nous pensons que la livre s’affaiblira davantage. »
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