Nue-propriété : les stratégies d'Agarim
Crédit photo : © Juliette de Monicault
Propos recueillis par Eugénie Deloire
Créée en juillet 2018, la société Agarim compte désormais parmi les acteurs de la nue-propriété. Sa spécialité : les emplacements en hypercentre et des opérations de démembrement portant essentiellement sur de l’immobilier existant. Un marché en sous-offre qui, selon Géraldine Tyl-Chaigne, directrice associée d’Agarim, ne demande qu’à s’accroître.
Agarim est née en juillet 2018. Pourquoi avoir créé cette nouvelle structure, après avoir passé dix ans en tant que directeur général adjoint chez Perl ?
Géraldine Tyl-Chaigne : Mon associée Nayma Khellaf, ex-directrice du sourcing des investissements chez Perl, et moi-même nous étions rendu compte de l’appétit des investisseurs pour des acquisitions de biens immobiliers résidentiels en nue-propriété dans les zones tendues, là où le foncier se fait rare, et plus particulièrement pour des immeubles dits « existants ». En s’orientant vers le démembrement de l’existant, les investisseurs bénéficient d’un usufruit qui commence immédiatement, sans les délais de construction du neuf, et deviennent nus-propriétaires sur la base d’une valeur de marché qui est celle de l’ancien et non du neuf. Nous étions convaincues qu’il y a de la place, sur le marché, pour un acteur qui travaillerait essentiellement sur des opérations d’immobilier résidentiel dans l’existant et en cœur de centre-ville. C’est donc naturellement sur ce créneau que nous nous sommes positionnées. Nos opérations de nue-propriété sont proposées et vendues à 100 % à des épargnants privés, par l’intermédiaire des banques privées, CGP et assureurs, mais également à des institutionnels.
Quelles sont les opérations de démembrement que vous avez réalisées à ce jour ?
G. T.-C. : Il y en a eu deux. La première, lancée en juillet dernier, concernait un immeuble haussmannien de la rue Chernoviz, dans le XVIe arrondissement de Paris (dans le quartier très recherché de Passy). En nue-propriété, les épargnants privés ont ainsi pu acquérir un appartement à 8 000 €/m2, au lieu des 12 400 €/m2 pratiqués dans ce secteur. Une seconde opération se situe dans le XIIIe arrondissement, à quelques mètres de la place d’Italie, dans un immeuble des années 70. Là encore, les nus-propriétaires ont bénéficié de la décote à l’achat, avec un bien vendu 6 500 €/m2 au lieu de 9 500 €/m2. Dans les deux cas, comme pour toutes les opérations que nous monterons, le choix du démembrement est structurellement assorti d’un confort de gestion absolu pendant toute la durée de l’usufruit, notamment en raison de l’absence de gestion locative.
Vos programmes séduisent également les investisseurs institutionnels…
G. T.-C. : En effet, nous ressentons que les investisseurs institutionnels tendent à revenir sur la classe d’actifs de l’immobilier résidentiel. Et quand on leur propose d’acquérir la nue-propriété d’appartements résidentiels dans un immeuble très patrimonial et en s’affranchissant aussi de toute gestion locative, ils y trouvent un intérêt. Le cas de l’immeuble de la rue Chernoviz présentait, en outre, une utilité publique et sociétale en matière de logement en cœur de ville, en ligne avec les exigences des institutionnels. Nous avons acquis cet immeuble en pleine propriété, conformément au modèle d’Agarim qui porte le risque de ses opérations. Pour cette opération localisée dans le XVIe arrondissement, l’usufruit temporaire a été vendu à la Caisse des dépôts, via la filiale CDC Habitat, qui y logera les fonctionnaires du ministère de la Défense. CDC Habitat devra entretenir le bien, tout au long de la durée de l’usufruit et le remettre en état à l’issue de la période de démembrement, avec l’engagement de reloger les locataires (répondant à certaines conditions de ressources) le cas échéant. Le choix de CDC Habitat comme usufruitier a évidemment rassuré nos investisseurs privés et institutionnels, acquéreurs de la nue-propriété, toujours sensibles au choix de l’usufruitier et de sa capacité à respecter ses engagements d’entretien du bien.
Comment vous démarquez-vous des autres acteurs du marché ?
G. T.-C. : Le positionnement d’Agarim est de se focaliser sur l’immobilier existant. Ces biens sont compliqués à sourcer et le montage juridique de ces opérations est plus difficile car le locataire en place possède un droit de préemption sur son logement. Cela demande à la fois de fortes compétences dans le sourcing des immeubles et nécessite d’être accompagné par des équipes de juristes et de notaires parfaitement au fait du montage de dossiers dans l’existant. Posséder ces compétences en interne, comme c’est le cas d’Agarim est une vraie force sur le marché. D’une façon générale, dès lors que les fondamentaux sont respectés, que l’emplacement, le prix et la valeur de l’actif intrinsèque sont bons, la demande est plus forte que l’offre.
Quels profils d’investisseurs visez-vous ?
G. T.-C. : Le marché a évolué en quinze ans. D’abord confidentiel, à destination de clients dotés de gros patrimoines, il s’est peu à peu ouvert à une clientèle plus diversifiée comme les plus jeunes (moins de 40 ans) qui souhaitant préparer leur retraite de façon sécurisée et performante. Ils peuvent aujourd’hui profiter des taux bas et financer, ainsi, leur opération à 100 % avec le même effort d’épargne que s’ils avaient touché des loyers puisqu’ils empruntent uniquement l’équivalent du prix de la nue-propriété (soit environ 60 % et non 100 % du prix d’acquisition). La nue-propriété attire toujours, bien sûr, son cœur de cible, les 50-55 ans, souvent des professions libérales, en quête de diversification de leur patrimoine, séduit par un investissement immobilier hors IFI qui se valorise mécaniquement avec le temps. Enfin, une troisième catégorie d’investisseurs de plus de 60 ans s’y intéresse également, dans l’objectif de transmettre son bien, durant la durée de l’usufruit, sur une base fiscale avantageuse et avec des droits de mutation moindres.
En quoi la fiscalité de la nue-propriété est-elle avantageuse ?
G. T.-C. : L’impact est positif en raison d’une fiscalité neutre grâce à l’absence de revenus fonciers. C’est le seul investissement en immobilier résidentiel qui demeure hors IFI et permet d’accroître son patrimoine sans fiscalité. Ces avantages ne sont toutefois pas le premier moteur des investisseurs qui voient plutôt dans la nue-propriété un produit de capitalisation. Par ailleurs, acheter à 60 % et revendre à 100 % revient à placer son épargne avec un rendement à 3,46 % net de fiscalité, sur un sous-jacent patrimonial présentant un couple rendement/risque intéressant.
Comment définiriez-vous votre stratégie d’investissement ?
G. T.-C. : Nous nous fixons pour objectif de réaliser une centaine de logements en 2019 essentiellement sur de l’immobilier existant, même si nous n’excluons pas d’aller également sur du neuf si le produit est vraiment premium. Nous n’avons aucune pression à l’investissement et notre seul moteur est notre conviction : être au bon prix et au bon emplacement. Notre équipe de six collaborateurs, resserrée et agile, nous permet d’être très réactifs lorsqu’une opportunité se présente. Le foncier est rare en centre-ville, il faut être capable de boucler un deal rapidement. Pour cela, nous sommes accompagnés par de nombreux partenaires professionnels du patrimoine qui nous ont référencés et qui distribuent notre offre. Cela nous permet d’avoir un rythme de commercialisation rapide et de récupérer nos fonds propres pour les réinvestir dans de nouvelles opérations.
Quels sont vos projets en 2019 ?
G. T.-C. : Nous travaillons sur différents projets dans le neuf en hypercentre-ville et sur trois programmes parisiens et en première couronne. Nous sommes confiants mais restons vigilants sur la qualité et la sécurité de nos biens. Nous ne nous interdisons aucune zone géographique, dès lors qu’elle est tendue mais, de fait, le plus grand nombre de biens existants se trouvent dans Paris intra-muros ou dans les hypercentres de Lyon, Toulouse, Bordeaux ou Nantes.
De quelle façon anticipez-vous la remontée des taux à l’été prochain ?
G. T.-C. : Lorsque nous décidons d’acheter un immeuble, nous avons déjà trouvé qui en sera le bailleur et quels investisseurs sont pressentis. De cette manière, nous travaillons sur des cycles très courts avec une commercialisation assurée à la sortie qui nous permet de valider nos prix de vente aux investisseurs et d’acter rapidement. Nous restons vigilants car la crise de 2008 n’est pas si lointaine. Nous portons le risque à 100 % et nous anticipons toujours la vente et à quel prix. En conséquence, nous avons des listes d’attente de partenaires qui nous ont transmis des demandes d’investisseurs. La nue-propriété fonctionne comme un couteau suisse. Quand les taux remontent, elle devient un produit de placement. S’ils baissent, elle se finance par l’emprunt bancaire et, à chaque fois, sans fiscalité. Enfin, elle séduit les investisseurs qui s’affranchissent de toute gestion locative, de toutes charges, taxes et assurances à payer pendant la durée d’usufruit.
Pourquoi la nue-propriété demeure-t-elle mal connue ?
G. T.-C. : La nue-propriété reste en effet peu connue, et malgré l’intérêt grandissant des épargnants, le marché est encore confidentiel. Un travail d’évangélisation reste à faire, notamment par les CGP, auprès du grand public. Il faut encore simplifier le discours et expliquer clairement sur quels principes repose ce montage financier du démembrement. Dès lors que l’on est en mesure de proposer un produit adéquat aux besoins des particuliers, les investisseurs sont friands de la nue-propriété ! Les trois points clés à retenir sont les suivants : le prix d’achat, son emplacement et la garantie de récupérer un appartement qui a été bien entretenu – donc la qualité du bailleur usufruitier. Pour informer nos clients, nous venons de lancer, en janvier, un extranet et nos équipes du middle et back-office sont là pour apporter des réponses à toutes les questions que se posent les épargnants.
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