Carbone4 : les enjeux de la transition énergétique pour les CGP
Marie-Anne Vincent, directrice commerciale de Carbon4 Finance, et Jean-Yves Wilmotte, responsable de la pratique finance chez Carbone4, conseil et membre du Technical Expert Group sur la finance verte à la Commission européenne, présentent les activités du groupe Carbone 4. Ils reviennent sur la prise en compte des enjeux de la transition énergétique pour les entreprises et les sociétés de gestion de portefeuille.
Profession CGP : Pourriez-vous nous présenter votre société ?
Marie-Anne Vincent : Le groupe Carbone 4 a été créé en 2007 par la réunion :
- d’un économiste Alain Grandjean, docteur en Economie de l’environnement, diplômé de l’Ecole nationale supérieure de la statistique et de l’administration économique et de l’école Polytechnique, et qui est, par ailleurs, président de la Fondation Nicolas Hulot depuis 2019 et membre du Haut conseil pour le climat depuis sa création en 2018 ;
- et d’un ingénieur, Jean-Marc Jancovici, diplômé de l’école Polytechnique et de l’Ecole nationale supérieure des télécommunications de Paris, et qui est le président fondateur du think-tank The Shift Project et également membre du Haut conseil pour le climat ?
Chez Carbone 4, notre conviction est qu’on ne peut pas vivre en bonne santé sur une planète malade.
Jean-Yves Wilmotte : La structure a tout d’abord été créée avec une activité de conseil à l’intention de l’ensemble des personnes morales.
Nous nous adressons à l’ensemble des secteurs d’activité et à tous les types de structure : de grandes entreprises ou de plus petites, des administrations ou encore des organisations non gouvernementales (ONG). Ici, notre accompagnement repose sur deux piliers :
- contribuer à la neutralité carbone : avec une phase de diagnostic, la mise en place d’objectifs, d’un plan d’actions et leur contribution à la neutralité carbone ;
- et identifier les risques et opportunités pour ces acteurs. S’agissant des risques, il s’agit du risque de transition avec un changement des règles du jeu (réglementaires ou fiscales) ; les risques physiques (hausse des températures, du niveau des eaux, etc.) qui peuvent affecter leur business model. S’agissant des opportunités, il s’agit d’avoir une meilleure démarche que ses concurrents ou encore d’anticiper les changements climatiques pour adapter son activité économique.
Nous sommes également présents pour former les dirigeants. Pour que le message passe dans l’ensemble d’une entreprise, il est en effet primordial que la conviction soit haut placée.
PCGP : Vous avez ensuite créé Carbon4 Finance. Pour quelles raisons ?
M.-A. V. : Tout à fait, nous avons créé Carbon4 Finance en 2016, pour mettre toute cette expérience dans une base de données à destination des acteurs financiers. En effet, la COP 21 qui s’est déroulée à Paris a marqué un tournant dans la lutte contre le changement climatique. Elle a été la première à associer les entreprises dans les réflexions. De plus, le secteur financier a été partie prenante dans ce mouvement puisque Mark Carney, alors directeur de la Banque d’Angleterre, a mis en lumière les risques pour le secteur financier liés au changement climatique lors d’un discours prononcé en septembre 2015 devant les membres du Lloyd’s of London.
Enfin, en France, le mouvement a pris d’autant plus d’ampleur qu’a été voté l’article 173 de la loi transition énergétique qui introduit pour les investisseurs institutionnels l’obligation de mettre à disposition de leurs souscripteurs, des informations sur les modalités de prise en compte dans leur politique d’investissement des critères relatifs au respect d’objectifs sociaux ou encore environnementaux…
Dès lors, nous avons décidé de décliner notre expertise climat sur les portefeuilles gérés par les sociétés de gestion avec notre propre méthodologie, développée selon une approche sectorielle. Elle permet de mesurer la performance énergétique et climatique des entreprises mais également d’identifier les risques et opportunités d’un portefeuille face à la transition climatique.
PCGP : Quels sont vos apports pour le secteur financier ?
M.-A. V. : Notre approche se veut globale. Nous mesurons l’empreinte carbone sur l’ensemble de la chaîne de valeur, à savoir les Scopes 1, 2 et 3.
Notre expertise nous permet de savoir quelles données collecter en fonction des secteurs et de pouvoir convertir ces données opérationnelles en tonnes de CO2. Une cinquantaine de modules sectoriels nous permettent ainsi de réaliser une étude complète et fine de l’impact carbone de chaque entreprise selon leur secteur d’activité. Nous pouvons également quantifier les émissions évitées par ces entreprises.
Cette analyse n’est pas que quantitative. La stratégie de l’entreprise est également appréhendée, tout comme la prise en compte de la gouvernance de l’entreprise face aux enjeux climatiques. Nous étudions également les budgets de recherche et développement qui sont attribués à la problématique en la comparant aux acteurs du même secteur. Cette approche qualitative vient compléter les données quantitatives et nous permet d’attribuer une note finale à chaque entreprise.
Notre approche permet aux sociétés de gestion d’accéder à une méthodologie cohérente sur l’ensemble de leurs portefeuilles. En effet, la mesure en tonnes de CO2 est une métrique qui fait foi. Contrairement aux domaines S (social) et G (gouvernance) de l’ESG, dans notre cadre il est possible de quantifier les choses. Notre base de données leur permet ainsi d’identifier les grands gagnants dans la transition écologique au sein de chaque secteur.
J.-Y. W. : Nous opérons également sur le non-coté. A nos débuts, nous réalisions des revues de portefeuilles qui investissent sur un temps long : sept ans en moyenne sur le Private Equity et quatorze ans sur les infrastructures. Désormais, nous intervenons dès la conception du fonds en réalisant des due diligence sur les entreprises ciblées et en suivant les participations des gérants. Il peut s’agir, pour la société de gestion, d’investir dans des entreprises qui ont déjà un impact positif ou à l’inverse d’améliorer les pratiques des sociétés dans lesquelles elle a investi.
Comme pour les entreprises cotées, notre intervention consiste aussi à déterminer quels seront les impacts économiques pour l’entreprise du changement climatique.
PCGP : Combien de titres suivez-vous ?
M.-A. V. : Nous avons une couverture sur environ quinze mille valeurs, dont trois mille sont appréhendées avec une approche très détaillée. Notre base de données couvre le MSCI World, le S&P 500, l’EuroStoxx 600 ou encore le SBF 120. Cette base de données est mise à jour chaque année.
PCGP : Quel regard portez-vous sur les pratiques des asset managers français ?
M.-A. V. : En France, les sociétés de gestion de portefeuille sont les plus avancées, notamment grâce à la mise en œuvre de l’article 173 de la loi de transition énergétique. Les données du Scope 3, souvent peu présentes dans les reporting des entreprises, sont les plus recherchées, car c’est ici que se joue le principal risque de la transition climatique. Cette prise en compte reflète bien cette meilleure maturité du marché français, alors que ces données devraient bientôt s’imposer à tous les acteurs européens. La mesure des émissions évitées est également très recherchée ; cela est notamment particulièrement important dans le domaine des green bonds.
J.-Y. W. : L’Europe est clairement en avance par rapport aux autres continents, et la France fait figure de très bon élève, sous la pression de la réglementation. Côté entreprises, les meilleurs acteurs sont souvent chez nous. C’est le cas, par exemple, des constructeurs automobiles ou des acteurs du bâtiment. L’absence d’énergie fossile dans nos sols explique certainement notre volonté à être plus vertueux car nous n’avons pas à nous couper d’une source de revenus. La conscience écologique est également plus forte chez les Européens. Nous avons, par exemple, plus de limites physiques qu’outre-Atlantique.
PCGP : Comment flécher l’épargne vers les investissements responsables ?
M.-A. V. : Les épargnants, s’ils sont sensibles à l’ISR, en particulier la transition écologique et le respect de la biodiversité, investissent finalement peu dans des fonds responsables. On se heurte ici à un problème de formation des réseaux de distribution notamment. Mais les choses vont dans le bon sens : nous avons de plus en plus de demandes de formation pour des réseaux de distribution, et la récente loi Pacte pousse à la labellisation des fonds.
PCGP : Les labels ne sont-ils donc pas suffisants pour mieux guider les épargnants ?
J.-Y. W. : Les labels ont le mérite d’exister, mais ils ne sont pas suffisants. Ils sont importants pour les investisseurs institutionnels et aiguillent les investissements des particuliers. L’harmonisation que va offrir l’écolabel européen va faire du bien au marché.
Toujours est-il qu’il est difficile d’harmoniser un monde où les méthodes sont toutes différentes… Grâce à la réglementation, les choses évoluent vite, mais a-t-on encore le temps d’attendre ?
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