Girardin : le CGP n’est pas garant de l'obtention de la réduction fiscale
Par Anne Simonet
La Cour d’appel de Paris retient que, dans le cadre d’un investissement en loi Girardin, le redressement fiscal découlant de l’absence de location du bien pendant six années consécutives ne peut être imputé au conseiller en gestion de patrimoine. Il en va de même de la surévaluation du bien et de l’insuffisance de son potentiel locatif.
A la suite d’une longue vacance locative de cinq années qui a conduit l'administration fiscale à opérer un redressement sur leurs déclarations de revenus, un couple assigne, en 2014, la société de gestion locative et la société de conseil en patrimoine qui leur avait conseillé cette opération, afin de les voir condamner in solidum au paiement de la somme de 305 990 € en réparation du préjudice subi. Ils reprochent également le potentiel locatif insuffisant et l’importante surévaluation du bien acquis (T3) en 2007 pour la somme de 262 166 €.
La société de gestion locative est placée en liquidation judiciaire dans la foulée. En avril 2016, le tribunal de grande instance de Créteil les déboute de l'intégralité de leurs demandes dirigées contre le cabinet de conseil en gestion de patrimoine.
Ils font appel de la décision et reprochent ainsi au cabinet de CGP d'avoir manqué à ses obligations en leur conseillant d'investir dans l'acquisition d'un bien d'une valeur sans rapport avec sa valeur de marché, qui était en 2013 de 130 000 € net vendeur selon une estimation notariale et qui n'en vaudrait aujourd'hui que 95 000 € environ ; ils ajoutent que la conception même de l'appartement est défectueuse, qu'il est affecté de vices de construction entraînant des infiltrations, avec un potentiel locatif inférieur à celui vanté dans la simulation établie par le conseiller. Ils estiment leur perte de chance en relation de causalité avec les manquements reprochés à 95 % de leur préjudice globalisé, constitué par l'impossibilité de revendre leur bien pour le montant investi (différence de 172 166 € avec le prix d'achat), les redressements fiscaux opérés (79 640 €), la perte locative (42 000 €) et les frais d'assurance indûment payés (2 184,86 €).
De son côté, la société réplique que l’investisseur, en tant qu’agent d'assurances, n'est pas un consommateur profane dont la qualité aurait justifié de sa part une information exhaustive sur les risques liés à l'opération souscrite et la nécessité d'une location ininterrompue de six années commandant la défiscalisation attendue, qu'elle n'était pas tenue du suivi de l'opération de défiscalisation conseillée dont elle n'avait nullement garanti les résultats, n'étant redevable que d'une obligation de moyens. Il remarque que l'opération ne s'est révélée défavorable que par suite de circonstances indépendantes de son mécanisme fiscal (dégâts des eaux et vacance locative prolongée d'un logement non remis en état après sa dégradation).
L'obligation de moyen du CGP
La Cour d’appel rappelle qu’ « en droit, une société de conseil en patrimoine doit proposer à ses clients une opération en adéquation avec leurs besoins et situation financière et les avertir des risques et aléas liés à cette opération, notamment, lorsqu'il s'agit d'une opération de défiscalisation complexe supposant l'application stricte des conditions requises par l'administration fiscale ; cette obligation de conseil ne s'efface ni ne se restreint lorsque le client est averti de par sa profession ou ses connaissances personnelles des risques encourus et elle est tenue de délivrer les mêmes informations à son client quelle qu'en soit la qualité. » Ainsi, le CGP ne peut invoquer pertinemment la profession d'agent d'assurances du contribuable pour s'exonérer de ses obligations de conseil et d'information « loyales et complètes ». Toutefois, elle conclue que « tenue d'une obligation de moyens et non de résultat, la société n'était pas garante de l'obtention de la réduction fiscale ni de la bonne exécution du contrat de vente et de gestion locative liés à l'opération de défiscalisation et il ne lui incombait pas d'en contrôler le suivi ».
Ainsi, la Cour d’appel retient que les époux ne peuvent, de bonne foi, reprocher au cabinet de conseil en gestion de patrimoine d'avoir manqué à son obligation de conseil relativement aux risques et aléas d'une opération qui ne s'est révélée défavorable qu'en raison de leurs propres manquements cumulés avec ceux de la société de gestion locative.
En effet, s'agissant du grief relatif au défaut d'information des époux sur les conditions requises pour bénéficier de la réduction d'impôt attendue, notamment sur l'obligation de mise en location du bien acquis pendant six années consécutives, il ressort des documents signés par les investisseurs qu’ils avaient été parfaitement informés de la durée de location requise pour bénéficier de la réduction d'impôt et du mécanisme fiscal Girardin.
Négligences des investisseurs
Par ailleurs, la Cour d’appel de Paris souligne que les contribuables imputaient chaque année les intérêts des emprunts souscrits des revenus locatifs perçus sans s’inquiéter de la non-perception des loyers ou des travaux nécessaires à la remise en état de leur bien. Plus encore, elle remarque qu’ils ont négligé de vérifier la situation locative d'un bien qu'ils avaient pourtant spécifiquement acquis, en tant que « produit financier » afin de bénéficier du régime fiscal attaché à sa location ininterrompue.
S'agissant du « potentiel locatif » du bien acquis qui serait inférieur à celui promis, les juges estiment que les griefs des époux sont tout autant dénués de fondement concret alors que le logement T3 acquis par eux en l'état futur d'achèvement a été dès l'origine donné en location pour le loyer prévu à la « simulation » remise aux investisseurs par le cabinet de conseil en gestion de patrimoine et que l'évolution défavorable de ce potentiel, à le supposer démontré, n'est en lien qu'avec des malfaçons et non-façons propres à la construction de la résidence et aux évolutions locales d'un marché locatif local en crise, circonstances sans lien avec de quelconques manquements du conseiller à son devoir de conseil et d'information.
Enfin, quant à la surévaluation du bien à l'achat, la Cour écarte aussi les prétentions des investisseurs, faute de démontrer que le bien litigieux aurait été largement surévalué lors de sa vente. Elle relève que le prix de 262.166 € intégrait la TVA de 19,60 % payée par les acquéreurs, les honoraires des commercialisateurs et les frais divers pris en charge par le vendeur, énumérés au contrat de réservation (frais de notaire, frais d'hypothèque, frais de dossier bancaire, carence locative de six mois). « Les diverses estimations produites aux débats par les appelants eux-mêmes montrent les fluctuations du marché immobilier à la Réunion, marché en crise, puisque le bien évalué en août 2013 à 130.000 € par notaire ne valait plus en août 2016, selon l'estimation de l'agence Sotim, que 85.000 à 95.000 € ; par ailleurs l'appartement en cause subit une moins-value certaine en raison des malfaçons, vices de construction à l'origine de fissures et infiltrations l'affectant ainsi que la résidence dont il dépend, tous inconvénients en minorant la valeur sur le marché et qui résultent de circonstances étrangères aux manquement de la société de gestion en patrimoine. »
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