Projet de loi de finances pour 2024 : quasi-usufruit, pas de panique !
Par Florent Belon, Partner Olifan Group et expert ingénierie patrimoniale
Le quasi-usufruit est une application particulière du démembrement lorsqu’il a pour support des actifs ne générant pas de fruits, notamment des sommes d’argent. Le Code civil prévoit alors, en son article 587, que l’usufruitier a la possibilité de consommer le bien, charge à lui de restituer la chose au terme de l’usufruit.
Cette dette est déductible de l’actif successoral malgré les dispositions de l’article 773,2 du CGI car elle est, en général, une dette légale (hors champs de l’article 773,2) issue de l’application de droit de l’article 587 du Code civil, ou conventionnelle prévue dans un acte ayant date certaine (donation, acte de vente…).
Naissance du quasi-usufruit
Ce quasi-usufruit va notamment naître lorsque le démembrement génère des liquidités :
- distribution de réserves sous forme de numéraire ;
- remboursement de créance démembrée ;
- vente de biens démembrés lorsque les parties ont convenu d’un quasi-usufruit.
Pendant de longues années les praticiens se sont interrogés sur la possibilité de réaliser des dons de sommes d’argent avec une réserve d’usufruit, ce qui génère alors un quasi-usufruit. Si un don manuel semble impossible compte tenu de l’absence de virement ou remise d’espèces, la donation notarié vient d’être l’objet d’un récent avis du comité de l’abus de droit Fiscal du 11 mai 2023 (aff. 2022-15). Il a considéré que la donation-partage d’une somme d’argent, avec réserve de quasi-usufruit, n’était pas abusive à hauteur du capital que possédait effectivement le donateur, mais qu’elle le devenait pour la fraction l’excédant.
Si l’administration a décidé de suivre la position du comité, il semble qu’elle souhaite, comme souvent lorsque les contentieux ne lui sont pas favorables, modifier la loi pour l’avenir.
Amendement PLF 2024
L’amendement n°1868 [1] a été adopté par le Sénat avec avis favorable du gouvernement. Il dispose dans l’article 774 du CGI que « Ne sont pas déductibles de l’actif successoral les dettes de restitution exigibles qui portent sur une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit. »
Néanmoins « Les dispositions du présent I ne s’appliquent pas aux dettes de restitution :
> contractées sur le prix de cession d’un bien dont le défunt s’était réservé l’usufruit, sous réserve qu’il soit justifié que ces dettes n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal,
> ni aux usufruits qui résultent de l’application des articles 757 ou 1094-1 du code civil. »
Un amendement qui ne vise que des cas très particuliers
Ainsi les quasi-usufruits spontanés issus des liquidités présentes dans l’actif successoral d’une succession où est présente le démembrement, en principe celui du conjoint survivant, ne sont pas concernés. On imagine en effet difficilement comment ils pourraient faire l’objet d’une fraude ou optimisation.
Les quasi-usufruits issus d’une cession d’un bien démembré ne voient leur déduction exclue qu’à condition que le quasi-usufruit fasse l’objet d’une fraude à la loi.
Il s’agit ici d’écarter une fraude au regard des droits de succession, en vue de contourner l’absence de déduction de principe d’une créance de quasi-usufruit suite à une donation de nue-propriété portant sur une somme d’argent.
La situation visée ici serait celle d’une acquisition de titres brièvement avant leur donation avec réserve d’usufruit et leur cession conjointe peu après faisant naître un quasi-usufruit. Dans cette situation on voit bien que l’opération d’acquisition n’avait pas d’utilité autre qu’être le support de la donation avec réserve d’usufruit.
En revanche, l’opération de donation avant cession et quasi-usufruit sur le prix de vente ne pourrait faire l’objet de cette contestation. En effet, le choix du quasi-usufruit sur le prix de cession, outre être un choix expressément ouvert par le Code civil, est motivé par la grande liberté laissé à l’usufruitier.
Ne semblent ainsi visées que les situation de don de somme d’argent avec réserve d’usufruit.
On relèvera néanmoins un oubli concernant les clauses bénéficiaires démembrées portant sur des capitaux décès, assurance-vie ou prévoyance. Elles ne sont en effet pas visées dans les exceptions. Ceci semblent un oubli qu’une rédaction corrective ou un commentaire administratif se devront de rectifier. Dans le cas contraire, une action pourrait être envisagées contre cette disposition des plus contestables.
Un amendement critiquable
L’amendement est justifié par deux arguments aussi médiocres l’un que l’autre.
« La donation d’une somme d’argent avec réserve d’usufruit s’apparente à une absence de transfert de propriété. »
Dès la donation il y a quasi-usufruit et donc une créance de restitution. Le Conseil d’Etat [2]avait jugé dans le cadre des opérations de donation avant cession que le fait que les capitaux fassent l’objet d’un quasi-usufruit ne remettait nullement en cause la donation. En présence d’un quasi-usufruit le nu-propriétaire est titulaire d’une créance et l’usufruitier son débiteur, il y a donc appauvrissement immédiat du donateur usufruitier.
L’autre serait qu’« alors que la somme d’argent démembrée n’a été soumise lors de la mutation entre vifs aux droits de donation qu’à raison de la valeur de la nue-propriété, la déduction de l’actif successoral de cette dette pour son montant total en pleine propriété constitue une incohérence qu’il convient de corriger. »
Le législateur, sans doute nostalgique de la période de taux zéro passée, semble nier le principe de l’actualisation/capitalisation. Recevoir un actif à terme n’est pas identique à le recevoir immédiatement. Le fait que la nue-propriété ne vaille qu’une fraction de la nue-propriété n’est nullement une incohérence. Au contraire, lors de la succession s’ouvrant parfois plusieurs décennies après la donation, que la créance ne vaille en l’absence de dispositions contraires que le montant de la somme sur laquelle portait la donation du fait du nominalisme est une vraie incohérence.
La seule volonté entendable de la part du législateur serait de limiter la déductibilité en cas de réinvestissement des sommes données sur des supports bénéficiant de dispositifs de faveur en matière de transmission (assurance-vie, bois et forêts…). Rien ne lui permet aujourd’hui, ni dans la législation ou la jurisprudence de le contester.
Craint-il que tout somme versée sur un contrat d’assurance-vie en vue d’une transmission fasse l’objet d’une donation notariée avec réserve d’usufruit ? Il faudrait pour que cela soit favorable que des abattements significatifs soient encore disponibles. Les situations sont donc très limitées.
[1] www.senat.fr/amendements/2023-2024/127/Amdt_I-1868.html
[2] Arrêts du 10 février et 31 mars 2017
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