Le statut de bailleur privé face à la location meublée
Par Jean-Louis Le Boulc’h, avocat fiscaliste, cabinet Agik’a
Le gouvernement a annoncé la création, probablement pour 2024, d’un statut du bailleur privé, nouveau cadre juridique et fiscal qui a vocation à encadrer l’investissement immobilier locatif. Il est prévisible que ce nouveau dispositif inclura un certain nombre de dispositions nouvelles de nature fiscales susceptibles d’affecter le statut de location meublée, que cette activité soit exercée à titre professionnel ou non professionnel.
Ces mesures pourraient faire l’objet d’une loi de finances rectificative ou, plus probablement, être intégrées au projet de loi de finances pour 2025. Dans une approche d’anticipation, il est utile, dès lors, de se pencher sur la réforme ainsi annoncée, afin d’identifier les conséquences qu’elle est susceptible d’avoir sur les personnes qui exercent l’activité de location meublée et bénéficient, à ce titre, d’un traitement fiscal favorable grâce, notamment, à la comptabilisation et à la déduction d’amortissements, par opposition à la location de locaux nus, imposable selon le régime des revenus fonciers, où les dépenses déductibles sont strictement encadrées par la loi fiscale (article 31 CGI).
Un contexte économique délicat
Le gouvernement a fait part, à plusieurs reprises, de son mécontentement du développement, de façon quasi anarchique, les locations meublées de tourisme (style Airbnb), qui privent un certain nombre de familles résidant en zone urbaine de la possibilité de se loger, les propriétaires étant tentés, pour optimiser la location, de proposer leur logement à une clientèle touristique de passage en recourant, le plus souvent, à des plates-formes numériques (Airbnb, Home Away, Abritel, Sejourning).
Il est constaté, par ailleurs, d’importantes différences de traitement entre la fiscalité du meublé et celle des revenus fonciers, la première bénéficiant de nombreux avantages dont, en particulier, la possibilité de comptabiliser et déduire les amortissements qui, bien souvent, permettent de neutraliser, sur le plan fiscal, environ 70 % du montant des revenus locatifs.
La loi de finances pour 2024 a d’ores et déjà commencé à restreindre les avantages fiscaux dont bénéficient les meublés de tourisme, en réduisant l’abattement forfaitaire lié au régime micro-BIC, afin de le rapprocher de celui existant au profit des micro-loueurs de logements nus (microfoncier).
Il existe, de surcroît, un certain nombre d’anomalies concernant le régime fiscal de la location meublée non professionnelle. C’est ainsi, par exemple, que les plus-values réalisées par des personnes relevant du statut LMNP sont taxées comme des plus-values de particuliers, sans qu’il soit tenu compte, lors de la revente des biens, du fait que le contribuable a pu réduire, parfois de façon importante, le montant de ses revenus imposables, grâce à la comptabilisation et à la déduction des amortissements.
Il est prévisible, dès lors, que l’on s’achemine vers des propositions de réforme susceptibles d’affecter, de façon significative, la fiscalité des loueurs en meublé. Celles-ci risquent d’impacter la situation des loueurs en meublé, professionnels ou non professionnels, à partir, probablement, de l’année 2025.
Identification des risques encourus
Les risques encourus sont les suivants :
- alignement de la fiscalité du meublé sur celle des revenus fonciers ;
- risque de perte de déductibilité du stock d’amortissements réintégrés sur le fondement de l’article 39 C II 2 du Code général des impôts. Il importe de préciser que les loueurs en meublé qui relèvent d’un régime réel d’imposition sont tenus de comptabiliser les amortissements relatifs au(x) bien(s) immobilier(s) inscrit(s) à leur actif. Pour autant, ces amortissements ne sont déductibles que pour autant qu’ils ne créent pas de déficits fiscaux. La loi prévoit, en effet, une limite de déductibilité égale à la différence entre le montant des loyers et celui des autres charges afférentes au bien loué. Les amortissements ainsi réintégrés sont « stockés » pour être déduits lorsque l’activité devient bénéficiaire ;
- risque de perte des déficits LMNP constatés ;
- risque de perte des avantages liés au dispositif Censi-Bouvard, prévu à l’article 199 sexvicies du CGI. Celui-ci implique, en effet, que les biens immobiliers ayant donné lieu à la réduction d’impôt, inclus dans des résidences avec services, telles que les résidences pour étudiants, les résidences seniors ou les Ehpad, soient affectés pendant neuf ans à l’exercice d’une activité de location meublée non professionnelle.
Il importe, enfin, de préciser que de nombreux investisseurs ont choisi de procéder à la création de sociétés relevant du régime fiscal des sociétés de personnes, en l’occurrence des Sarl de famille. Ce régime fiscal dérogatoire est lié à l’exercice d’une option expresse prévue par la loi (article 239 bis AA du CGI), l’une des conditions requises étant que l’activité soit imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.
Par suite, si les revenus de location meublée devaient être rattachés à la catégorie des revenus fonciers, ces sociétés deviendraient automatiquement assujetties à l’impôt sur les sociétés.
Comme on le voit, le changement de statut fiscal de la location meublée apparaît délicat, en ce qu’il soulève un certain nombre de difficultés techniques, complexes pour certaines, que le gouvernement devra prendre en compte afin de ne pas remettre en cause des situations fiscales préexistantes, en évitant, en particulier, tout effet de rétroactivité qui ne pourrait être admis au plan des principes.
Les propositions des Notaires de France
Les notaires ont inscrit le statut du bailleur privé comme thème de leur congrès annuel. Ils ont, à cet égard, effectué un certain nombre de propositions qu’il est utile d’examiner :
- création du statut LIP (loueur immobilier professionnel) réservé aux loueurs de logements nus ;
- plafonnement des prélèvements obligatoires à 75 % maximum des revenus locatifs ;
- extension de la faculté d’imputation des déficits (10 700 euros par an) aux locations meublées, étant précisé que le dispositif ne concerne, jusqu’à présent, que les revenus fonciers ;
- création d’un statut fiscal immobilier uniforme, applicable aux revenus fonciers comme aux revenus de location meublée ;
- freinage, par la réduction des avantages fiscaux, du développement de la location meublée et, en particulier, des locations courts séjours (style Airbnb).
Des obstacles juridiques particulièrement délicats
Les perspectives de réforme, ci-avant évoquées, des dispositions fiscales régissant l’immobilier locatif se heurtent à certaines difficultés de nature juridiques qui, semble-t-il, n’ont pas été complètement envisagées.
Celles-ci tiennent au fait que, suite à un certain nombre de décisions de jurisprudence, émanant de juridictions, administratives comme civiles, ainsi qu’à l’évolution de la doctrine administrative, il est désormais admis qu’il existe un certain nombre de situations où l’activité de location meublée présente un caractère commercial, avec des recettes soumises à la TVA et un assujettissement à la CFE.
Or celles-ci sont difficilement rattachables, par leur nature, à la simple gestion d’un patrimoine privé, dont les revenus sont imposables dans la catégorie des revenus fonciers. C’est ainsi, par exemple, que les locations touristiques et saisonnières sont regardées comme entrant en concurrence avec les prestations d’hébergement offertes par le secteur hôtelier. Ce point est régulièrement mis en avant par les syndicats professionnels de l’hôtellerie, qui évoquent même la notion de concurrence déloyale.
De surcroît, un projet de directive européenne (VAT in the Digital Age, ViDA) prévoit d’assujettir à la TVA les prestations d’hébergement touristique transitant par des plates-formes numériques, telles que Airbnb.
L’administration, elle-même, considère que les personnes qui louent des locaux meublés, notamment dans le cadre de baux commerciaux consentis au profit d’exploitants de résidences avec services (résidence pour étudiants, résidence seniors, résidence de tourisme classée) sont assujetties à la CFE, alors qu’il résulte des dispositions de l’article 1447 du CGI que seules sont assujetties à cette contribution les personnes qui exercent, à titre habituel, une activité professionnelle non salariée.
Cette même doctrine qualifie les opérations de cette nature comme ne se rattachant pas à la gestion d’un patrimoine privé. La Cour de cassation, dans plusieurs décisions, regarde comme commerciale l’activité d’hébergement saisonnière, celle-ci n’étant pas compatible avec les stipulations d’un règlement de copropriété réservant les logements à l’usage d’habitation bourgeoise de leurs occupants (Cas. Civ. 27 février 2020, n° 18-14.305).
Un certain nombre d’autres dispositions, issues du Code de la construction et de l’habitation ou du Code de l’urbanisme, considèrent que le fait d’affecter des locaux d’habitation à l’accueil d’une clientèle touristique correspond à un changement d’usage ou de destination, les locaux n’étant plus considérés comme affectés à l’habitation.
Il apparaît, ainsi, que la création du statut de bailleur privé est une tâche à la fois complexe et délicate, qui devra nécessairement prendre en compte un certain nombre de paramètres visant à établir la distinction entre les locations de locaux d’habitation nus ou meublés destinés à l’habitation principale de l’occupant, dont le caractère civil ne saurait être contesté, et les prestations d’hébergement meublé, qui s’inscrivent, de près ou de loin, dans une perspective commerciale, pour laquelle le rattachement à la catégorie des BIC semble à la fois logique et cohérent.
La difficulté provient du fait que la location touristique style Airbnb est regardée comme commerciale, alors qu’elle est dans la ligne de mire du législateur, qui entend réduire les avantages dont elle bénéficie.
C’est la raison pour laquelle il pourrait s’avérer utile de proposer, le moment venu, une refonte de certains aspects du régime fiscal de la location meublée.
Une nécessaire refonte de certains aspects de la location meublée
Il est rappelé que le rattachement des revenus de la location meublée à la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux a été opéré par la loi de finances rectificative du 29 décembre 2016, étant observé qu’une jurisprudence ancienne (CE, 29 décembre 1923, Sieur X, Tab. p. 1066) plaçait les revenus tirés de la location meublée parmi les bénéfices industriels et commerciaux (BIC), sous réserve que cette activité ne présente pas un caractère occasionnel.
Or le régime de taxation de la location meublée, même s’il est désormais intégré à la famille des BIC, comporte un certain nombre de singularités qui n’apparaissent, aujourd’hui, plus pertinentes. Celles-ci sont les suivantes :
- le fait que les plus-values immobilières réalisées par les loueurs en meublé non professionnels soient taxées selon le régime des plus-values des particuliers, et non selon celui des règles applicables à la généralité des BIC ;
- la circonstance que les déficits fiscaux non professionnels soient imputables pendant une durée de dix ans sur les revenus de même nature, alors que la généralité des déficits BIC ne sont imputables que pendant une durée de six ans.
Il serait utile, dès lors, d’unifier les règles applicables à la généralité des loueurs en meublé avec celles régissant la généralité des BIC, ce qui n’interdit pas de maintenir la distinction LMP/LMNP, notamment pour accéder au dispositif d’exonération de taxation des plus-values visé à l’article 151 septies du Code général des impôts, relatif aux plus-values réalisées par les petites entreprises. Compte tenu de la relative complexité du sujet, il pourrait s’avérer pertinent de réfléchir à des propositions concrètes visant à mieux encadrer la réforme du régime juridique et fiscal de la location des biens immobiliers à usage d’habitation.
La nécessité d’une réforme réfléchie
L’une des difficultés identifiée, pour une réforme de l’immobilier locatif, tient au fait que l’optique selon laquelle est envisagée la refonte des règles applicables est susceptible de se focaliser sur des objectifs qui, bien que légitimes, risquent de ne pas prendre en compte tous les paramètres relatifs à l’environnement du dossier, notamment les apports récents résultant, d’une part de la jurisprudence, d’autre part de la doctrine, sans tenir compte des disciplines voisines du droit, telles que le droit d’urbanisme, le droit de la copropriété ou le droit de la construction et de l’habitation.
C’est la raison pour laquelle, pour qu’une réforme soit efficace, elle doit procéder d’une approche « panoramique », intégrant tous les éléments d’appréciation susceptibles de permettre de proposer des modifications à la fois simples et cohérentes, notamment au regard de la distinction activité civile/activité commerciale.
Il reste à espérer que la raison l’emportera et que des propositions de cette nature verront le jour au cours de l’année 2024, afin que la réforme du statut de bailleur privé ne soit pas, in fine, contreproductive en ce qu’elle ne permettrait plus, notamment, le développement de résidences avec services dont le pays a cruellement besoin, telles que les résidences pour étudiants, pour seniors ou pour personnes âgées dépendantes.
Il serait, de surcroît, très risqué, sur le plan économique, de porter un coup aussi brutal à un secteur (logement) qui traverse une crise très profonde.
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