Immobilier anglais : une fin de cycle précipitée par le Brexit
Par Sophie Ginisty, responsable de la multigestion diversifiée, et Benoit Peloille, multigérant chez VEGA IM
Comme lors de la crise financière de 2007-2008, les fonds investis sur l’immobilier non cotés anglais sont encore sous le feu des projecteurs. Et pour cause. A peine une semaine après le « choc » du Brexit, de grands noms du secteur, Standard Life, Aviva ou M&G, annoncent la suspension des demandes de rachats, empêchant ainsi les investisseurs d’agir. En termes de poids, le secteur des fonds immobiliers investis sur le non côté pèserait entre 25 et 35 milliards de livres sterling (selon L’Agefi) et le 5 juillet, c’est un quart du secteur qui était fermé aux rachats…
Pourquoi ce mouvement brusque ?
A la différence des actions foncières cotées, la valeur liquidative (net asset value, NAV) des fonds investis sur l’immobilier non côté ne s’ajuste pas tout de suite. Ainsi, il est plus intéressant pour un investisseur de vendre un actif dont le prix n’a pas bougé plutôt qu’un autre qui, comme les foncières cotées, ont perdu 10 % dès le lendemain du Brexit.
Structurellement, ces fonds non côtés sont donc confrontés à un déséquilibre de liquidité : ils offrent une liquidité journalière alors que leurs actifs ne sont pas cessibles dans la journée ! Aussi très vite, face à l’afflux des rachats, les plus gros fonds sont obligés de les suspendre. Réglementairement, la situation sera revue au bout de 28 jours. En effet, ces fonds non cotés sont investis à hauteur de 75 % dans des immeubles et 15 % dans des actifs plus liquides (de type cash ou actions cotées). Même si ces fonds ont voulu être prudents avant le référendum en adoptant une position cash plus importante qu’à l’accoutumée, cela n’a pas été suffisant !Autre pan de l’immobilier britannique, les foncières concentrent les inquiétudes depuis de nombreux mois. Pour preuve, au 7 juillet, l’indice EPRA Net Return UK (foncières cotées anglaises) avait perdu depuis le début de l’année - 30,98 % quand dans le même temps, son homologue zone euro gagnait + 1,88 %. Et cette sous-performance de l’immobilier britannique a commencé à se manifester depuis octobre dernier à mesure que l’inquiétude sur le Brexit se faisait de plus en plus présente. Avant le Brexit, le tropisme était moins flagrant : le 23 juin, les foncières perdaient outre-Manche - 4,94 % contre + 5,64 % pour leurs pairs de la zone euro.
Pour comprendre le phénomène, il convient de revenir à la méthodologie de valorisation d’une foncière. Traditionnellement, elle se juge par rapport à un ANR (actif net réévalué qui est fourni par les foncières tous les ans). Or, le « discount » constaté par rapport à l’ANR des foncières britanniques est passé de – 8 % avant le Brexit à - 25 % après. Ces données contrastent d’autant plus avec la « prime » de 15 % appliquée aux foncières de la zone euro.Est-ce aussi grave qu’en 2008 ?
Après le « choc » du référendum, les niveaux de décote des foncières britanniques étaient presque comparables à ceux pendant la crise, tout comme leur rendement autour de 6,5 %. Pourtant, la situation est très différente aujourd’hui : d’abord, le taux des obligations d’État anglais (GILT) est inférieur à 1 % (0,761 le 11 juillet 2016) alors qu’en 2008, il s’élevait à 4 %. Ensuite, les niveaux d’endettement (loan to value, montant des prêts divisé par la valeur d’actif) n’étaient pas les mêmes : 30 % à l’heure actuelle contre 40 % avant la crise de 2008. En prenant pour hypothèse une baisse de 30 % de la valeur d’actif (ce qui correspond à la baisse des foncières cotées depuis le début de l’année), on aurait dans le scénario du pire une augmentation de 30 à 40 % du taux d’endettement, ce qui reste un niveau inférieur au pic de la crise de 2008.
Quel poids ont les foncières cotées sur les marchés ?
Assez faible. En effet, elles ne représentent qu’une petite proportion du marché actions européen : le secteur représentait ainsi 200 milliards de dollars en 2004 avant de doubler pour atteindre 430 milliards de dollars en 2014. La visibilité de ce secteur se trouvera néanmoins renforcée à compter d’août 2016, date à laquelle le MSCI, fournisseur américain d’indices, isolera le secteur immobilier en le faisant apparaître comme un secteur à part entières au même titre que les financières ou la consommation.
Ainsi, le Brexit n’a fait qu’accélérer la fin du cycle immobilier anglais, que les acteurs locaux avaient commencé à anticiper. Pour rappel, le Royaume-Uni avait redémarré son cycle avant celui de la zone euro et il est donc logique que le top du cycle soit aussi arrivé avant. Pour citer quelques chiffres, les investissements en actifs immobiliers commerciaux à Londres ont baissé de moitié entre 2014 et 2015. Le cycle des loyers a déjà commencé à arriver à maturité en comparaison de l’Europe continentale. Les données sur les anticipations des dépenses de consommation ont déjà commencé à ralentir : + 1 % en 2017 contre + 3,5 % pour cette année. En outre, la demande internationale avait commencé à baisser pour les bureaux de Londres dès l’annonce du référendum au deuxième trimestre 2016. Sans surprise, les foncières ont déjà commencé à ajuster leurs portefeuilles.Alors, quel avenir pour l’immobilier britannique dans les prochains mois ?
La valeur post-Brexit des foncières cotées a substantiellement baissée et le marché immobilier britannique reste suspendu à des décisions politiques et aux incertitudes sur le timing d’invocation de l’article 50 ; surtout qu’à la rentrée, un nouveau gouvernement sera en place. Il y a peut-être une exagération quant à la réaction des foncières cotées après le Brexit mais les investisseurs vont devoir naviguer à vue, et ce au moins jusqu’en novembre et la publication des premières NAV. L’hypothèse selon laquelle les fonds non cotés ont eu comme réflexe dans les premiers jours après le référendum, de vendre les foncières cotées qu’ils avaient en portefeuille, pour dégager des liquidités et ainsi faire face aux rachats. Cette problématique de non adéquation entre l’actif et le passif des fonds immobiliers non cotés occupe les autorités de contrôle sans qu’elles y aient encore apporté de solutions. Ce qu’elles veulent éviter à tout prix : les ventes forcées d’actifs par ces fonds qui engendreraient des ajustements rapides des prix immobiliers de l’ordre de - 40 %, comme en 2008 ! Par ricochet, les banques pourraient alors durcir leurs conditions d’accès au crédit. Jeudi 14 juillet, la Bank of England devrait revenir sur cet épineux sujet.
La majorité de nos fonds suivis sur le secteur privilégie une approche prudente, qui repose sur l’Europe continentale en relatif.
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