La démondialisation accélérée par le coronavirus ?
Par Emeric Blond, Equity Fund Manager chez Haas Gestion
Aujourd’hui, nul ne peut nier que la mondialisation a été le plus grand vecteur de développement et de création de richesses à travers le monde. Certes, le modèle est clairement imparfait et est souvent profondément inégalitaire, mais faute d’alternative crédible, nous ne pouvons que l’améliorer progressivement, souvent au rythme des « chocs » que nous devons affronter (crises pétrolières, crise de liquidités, crises souverainistes, crises sociales et maintenant crises sanitaires).
Si une très grande majorité de pays a profité de la mondialisation, certains pays en ont profité bien plus que d’autres. L’Allemagne et le Japon se sont constitués parmi les plus grands revendeurs de produits industriels finis (automobile, électroménager, électronique), les pays anglo-saxons ont favorisé le développement d’économies de services et la Chine a privilégié un modèle d’atelier du monde où sont produits les composants essentiels des produits finis ou des produits finis considérés comme à faible valeur ajoutée.
Cette situation d’ultra-spécialisation des appareils productifs entraîne une dépendance très importante entre les pays qui, pour ne pas « gripper » la chaîne logistique, doivent maintenir un flot constant de marchandises, composants ou matières premières vers les zones de consommation.
Guerre commerciale USA versus reste du monde, première alerte
Pendant une grande partie de 2019, nous avions eu à affronter l’extrême volatilité des marchés au fur et à mesure que le feuilleton de la guerre commerciale entre les Américains et le reste du monde se déroulait. Tout cela pour un bilan dont nous peinons encore à identifier les bénéfices. A ce stade, la conséquence la plus visible des droits de douane croisés entre Pékin et Washington a été la chute des échanges commerciaux.
Fin novembre, les Etats-Unis avaient importé environ 420 milliards de dollars de biens depuis la Chine, soit -15 % de moins que sur les onze premiers mois de 2018. De quoi faire souffrir les entreprises chinoises, avec un recul un peu plus marqué encore des importations de produits technologiques (-21 %). Sur un périmètre plus réduit, les exportations de biens américains vers la Chine ont toutefois aussi pâti des ripostes de Pékin : elles ont cédé 11 %, à près de 100 milliards de dollars.
Certaines activités ayant plus souffert que d’autres, par exemple le secteur agricole d’exportation avec la suspension par la Chine de ses importations de soja en provenance des Etats-Unis. Aujourd’hui les importations ont repris, mais bien loin des volumes pré-guerre commerciale, la Chine ayant fortement diversifié ses sources d’approvisionnement (Brésil, Europe).
De plus, l’ambition de ramener aux Etats-Unis des outils de production délocalisés a fait long feu. Si des gestes ont été consentis (comme Apple, au Texas), le mouvement d’ampleur n’a pas eu lieu. L’emploi manufacturier continue d’être à la traîne aux Etats-Unis, économie déjà très fortement tournée vers les services. Et les droits de douane n’ont pas empêché le sidérurgiste US Steel de se retrouver en difficulté.
La guerre commerciale s’est ainsi reportée sur les « fronts » du capital (M&A), de la sécurité nationale et de la propriété intellectuelle. Nous avons ainsi assisté à la remise en question d’opérations de croissances externes (Qualcomm sur NXP Semiconductors, Infineon sur Wolfspeed), l’instauration d’autorisations à l’exportation de technologies critiques (ASML vers la Chine) et la mise à l’index de la société chinoise Huawei par de nombreux pays pour des considérations de sécurité nationale concernant les infrastructures télécoms futures.
Cette situation, que l’on ne peut pas considérer comme idéale pour la stabilité économique mondiale et la fluidité des échanges internationaux promettait de trouver sa conclusion courant 2020, à la faveur de compromis plus symboliques que réels. Ce, sans qu’aucun des partis n’y trouve réellement son compte et ne récupère ce qu’il a perdu dans ce bras de fer plus destructeur que créateur de valeurs.
Pour clore le chapitre de la guerre commerciale et de ses effets, nous retiendrons que : peu de mouvements de retour des outils productifs ont été opérés (quelques déclarations d’intention, mais peu d’actes concrets). Les prises de décisions pour les plans d’investissements (nouveau site de production ou extension d’un existant) sont un peu plus longues et nécessité pour les entreprises de commencer à envisager de diversifier les sources d’approvisionnement (matières premières, composants ou produits finis).
Le Coronavirus 2019 (Covid-19), deuxième alerte
Les premiers signaux de l’apparition d’une nouvelle maladie commencèrent à être identifiés par les autorités chinoises durant le mois de janvier. Ces dernières ayant été refroidies par les précédentes crises sanitaires et les critiques sur la gestion de celles-ci (SRAS en 2002, H1N1 en 2009) ont réagi avec beaucoup plus de fermeté. Les caractéristiques du Covid-19 (vitesse de diffusion, temps d’incubation asymptomatique, taux de contamination, taux de mortalité) en faisaient une maladie inquiétante, mais peu mortelle, et l’ampleur de la réaction des autorités a beaucoup fait pour rassurer sur la capacité de ces dernières à contrôler la propagation du virus.
Il n’y a pas vraiment de bon moment pour qu’une crise sanitaire se déclare, mais nous avions à ce moment-là trois motifs d’inquiétudes supplémentaires :
- la Chine est l’atelier du monde mais elle a également une place bien plus importante dans l’économie mondiale (20 % vs 9 % en 2002 et 10 % en 2009) ;
- le virus a touché la Chine en pleine période du Nouvel An, une période marquée par de très nombreux voyages (retour dans les familles ou tourisme) et des dépenses frénétiques ;
- l’optimisme était de mise au sujet d’une accélération future du commerce mondial, après l’apaisement récent des tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine.
Après trois semaines de déni de la province de Wuhan (le confinement s’il avait eu lieu plus tôt aurait permis de réduire la propagation du virus de : 66 % une semaine plus tôt, 85 % deux semaines plus tôt et 95 % trois semaines plus tôt selon medRxiv), la décision de Pékin de recourir à des mesures de confinement drastiques pour une partie de l’économie chinoise, aussi anxiogènes et risquées économiquement qu’elles pouvaient l’être, a donc été la bonne décision. Mais cette crise sanitaire a duré suffisamment longtemps, en Chine, pour créer des perturbations importantes (dislocations) dans différentes chaînes logistiques stratégiques pour de nombreuses économies (le tourisme, l’industrie, le luxe, les matières premières, l’énergie, le secteur automobile, le secteur pharmaceutique), à tel point que commence à se poser la question de savoir comment faire pour réduire la dépendance à la Chine (diversification des sources d’approvisionnement ? Relocalisation ? Sur-représentation de ce pays dans les chiffres d’affaires des entreprises ?).
Au-delà de ces considérations géopolitiques, concernant l'impact économique, l'expérience a montré que ce type de choc peut être extrêmement négatif pendant une courte période et que le rebond de l'activité est d'autant plus fort dans les mois qui suivent.
Mais cela à la condition que la maladie soit confinée de manière homogène et ne se répande pas comme elle est en train de le faire actuellement à travers le monde.
Constats, réactions et initiatives
Les constats sont les suivants :
- aucune nation n’avait prévu qu’une simple maladie, proche de la grippe, se répandrait autant et causerait de tels dommages économiques (dernière occurrence, la grippe espagnole il y a cent ans) ;
- quand les stocks de produits existent, les quantités sont bien souvent inférieures aux besoins en cas de pandémie. Cela pousse à se questionner, devons et pouvons-nous constituer et entretenir (coûts, dates de péremption et obsolescence obligent) des hangars de matériels en permanence dans l’éventualité d’une crise centennale ? Il y a dix ans, la France entretenait un stock d’1 milliard de masques qu’elle a dû réduire à 100 millions pour raison de coûts ;
- dans le cadre de la spécialisation des économies et de leur participation à la mondialisation, de nombreux produits médicaux à très faible valeur ajoutée, en temps normal, deviennent vitaux mais ne sont plus produits sur le territoire national ;
- les outils productifs nationaux, quand ils sont là, ne peuvent pas fournir ces mêmes produits en quantités nécessaires pour faire face à ce genre de crise sanitaire (gants, combinaisons, gels hydroalcooliques, alcool médical, médicaments, masques, respirateurs), la France ne produisant par exemple que 8 millions de masques par semaines, contre 40 millions nécessaires pendant cette crise ;
- les entreprises concernées ne peuvent pas faire face à l’augmentation de la demande avec leurs capacités de production actuelles (Top Glove, producteur philippin leader mondial dans la production de gants en caoutchouc, ne peut que fournir 200 millions de gants par jour, alors que la demande actuelle est deux fois supérieure).
Les réactions sont elles aussi très variées :
- les annonces sanitaires et économiques se succèdent, les gouvernements apprécient la situation de manières différentes (déni au Brésil, individualisme forcené aux Etats Unis, choix d’une immunisation par contamination de masse au Pays-Bas, dépistage systématique en Allemagne ou en Corée du Sud) et agissent sans aucune coordination ;
- certains pays essayent de tirer un avantage politique à cette crise, « Soft-Power » (envoi de médecins par Cuba, mais surtout de la Chine qui réussit à monnayer l’envoi de tonnes de matériels sanitaires contre un soutien politique, en faisant retirer le terme « virus de Wuhan » pour « pandémie de Covid-19 ») ;
- quand les pays ont les capacités de produire ces produits, ils ne jouent pas le jeu de partager ces ressources (80 % des principes actifs pharmaceutiques (API) viennent de Chine, 100 % du paracétamol est produit hors d’Europe, dont une grande partie en Inde, celle-ci venant d’en suspendre ses exportations) ;
- un pays poussant l’égoïsme jusqu’à essayer d’accaparer certaines compétences nécessaires à l’élaboration d’un traitement au seul usage de sa population (tentative de rachat du laboratoire allemand CureVac par les Etats-Unis pour le développement d’un vaccin dont ils auraient l’exclusivité) !
Nous découvrons ainsi que ce n’est pas une réponse mondiale, coordonnée et bienveillante que nous avons dans ce genre de situation mais l’inverse. Ces réponses vont sans doute faire que l’épidémie va certainement causer plus de dégâts humains à l’échelle du monde que ce que nous avons observé en Chine. Mais surtout beaucoup de ressentiment polluera les futures relations entre certains pays où la solidarité financière, matérielle et politique n’aura clairement pas été à la hauteur (notamment en Europe).
Au niveau national, pour les pays concernés, nous observons de nombreuses initiatives de la part d’industriels encore en état d’opérer pendant le confinement pour essayer de contribuer à l’effort de production de ces fournitures essentielles. Les acteurs industriels (Roquette dans la chimie, L’Oréal dans les cosmétiques, des distilleurs) ayant en stock les composants nécessaires à la production gels hydroalcooliques et alcool médical (alcool, flacons, etc.) vont les mettre à disposition ou essayer de convertir temporairement leur outil de production pour le produire eux-mêmes, l’industrie du textile s’essaye à la production de masques et de combinaisons et certains acteurs de l’industrie ou de la technologie essayent de produire le matériel manquant (des respirateurs pour Air Liquide, impression 3D de filtres pour les masques N95 par Copper 3D, etc.). Les acteurs de la grande distribution redécouvrent les productions agricoles de proximité (Carrefour, etc.). De belles initiatives, qui ne font que combler des besoins essentiels à un moment, ô combien crucial…
Cette énième crise remettra-t-elle en cause les schémas de globalisation actuels ?
Cette crise a de spécial qu’en plus d’avoir un coût humain non négligeable, que nous n’avons pas fini de quantifier ; elle a aussi un coût économique qui est sans aucune mesure à l’échelle de toutes les autres crises économiques traversée. Nous parlons ici de pans entiers d’économies nationales mis à l’arrêt, du confinement de plus d’un tiers de la population mondiale, de dislocations de chaînes logistiques, de millions de personnes mises au chômage du jour au lendemain ; tout cela pris en charge économiquement par les Nations en capacité de pouvoir le faire !
Parmi les dernières grandes pandémies, cinq ont eu lieu au XXe siècle et six depuis le début du XXIe siècle : le H1N1 (1919, grippe espagnole, 40 millions de morts), le H2N2 (1956, grippe asiatique, 4 millions de morts, dont 70 000 aux USA), H3N2 (1968, grippe de Hong Kong, 2 millions de morts), variole (1970, 20 000 morts), VIH (1981, 32 millions de morts), SRAS (2002, 800 morts), H1N1 (2009, 20 000 morts), méningite bactérienne (2010, 4 053 morts), Mers-CoV (2012, 313 morts), Ebola (2014, 1 000 morts) et le Covid-19 (2020, > 37 000 morts).
Les dépenses engagées pendant la crise du Covid-19 sont-elles possibles pour les nations si l’incidence de ces pandémies se régularise et qu’une nouvelle se déclare non plus tous les cent ans, mais tous les deux à cinq années ou même tous les dix ans ? Devons/pouvons-nous avoir encore recours au confinement à grande échelle dans le futur ? La réponse est très certainement : non !
En 2020, le monde était encore en train de « rembourser » le coût de la crise financière de 2008, ce qui va tomber dans les bilans nationaux est encore plus important… Le monde devra tirer de nombreuses leçons alors qu’il tentera de se relever de cette crise sanitaire, tout en remboursant une dette atteignant des sommets. Dans un premier temps, la tentation de se demander si le monde n’a pas besoin de plus mondialisation pour répondre à ce type de pandémie mondiale pourrait se poser.
Plus de moyens donnés à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) par exemple, pour lui permettre d’intervenir rapidement avec des moyens qui seraient la somme de ceux que les Etats membres mettraient à sa disposition. Moyens qui comprendraient du matériel et des hommes (docteurs, infirmiers) très rapidement mobilisables. Une sorte d’Organisation des Nations unies (ONU), mais dont la mission serait uniquement médicale.
Mais cette solution nécessiterait un devoir de transparence totale entre les membres. Ce qui semble très difficile à obtenir dans un monde encore très polarisé (Chine, Etats-Unis, Russie, Europe, Moyen-Orient, etc.) où ce genre d’événements, et demander de l’aide, porte atteinte au prestige d’une nation.
Repenser les routes commerciales
Ne reste ainsi que la solution de revenir quelques pas en arrière sur le chemin de la mondialisation. En effet, les nations qui, lors de cette crise sanitaire, ont fait le constat que les routes commerciales qu’elles avaient tracées ne répondaient pas à leurs besoins en temps de crise et vont devoir les repenser. Il ne paraît pas rationnel d’uniquement stocker de très grandes quantités de matériels « au cas où ».
Ces nations vont donc essayer dans un premier temps de diversifier leurs fournisseurs pour ne pas en dépendre que d’un. Elles vont ensuite constituer des stocks « normatifs » plus importants qu’aujourd’hui et enfin, vont essayer de reconstituer localement l’outil productif nécessaire à la production de ces matériels au quotidien.
Certaines initiatives sont plus simples à mettre en place que d’autres, par exemple la diversification des fournisseurs ou encore la constitution de stocks (qu’il faudra reconstituer et entretenir).
Mais on a vu lors de la crise du Covid-19 que la pérennité de ces procédés n’est pas assurée dans l’adversité, le « chacun pour soi » prend le dessus rapidement. On ne peut donc y avoir recours qu’au début pour muscler son stock « tampon » avant que la crise prenne de l’ampleur et que les chaînes logistiques internationales ne soient rompues.
Des bénéfices à la relocalisation ?
La seule solution réelle et viable serait donc la relocalisation d’une partie de l’outil productif sur le territoire national. Cette idée seule n’est pas dépourvue d’intérêts et de sens car les paramètres qui avaient conduit les pays industrialisés à externaliser leur outil productif ont radicalement changé.
Délocaliser parce que la main-d’œuvre est moins chère ailleurs ? Cette raison est moins valable à deux niveaux, les salaires chinois (indiens ou asiatiques) ont fortement progressé du fait de la progression du niveau de vie et la capacité à automatiser des usines est en train d’atteindre un niveau de maturité permettant de fortement réduire les besoins en personnel et augmenter la productivité.
Ces deux raisons font que rapatrier un outil productif pourrait apporter d’importants gains d’image (« Made in… », créateur d’emplois), d’autonomie (peu ou pas de dépendance à des événements exogènes internationaux) et réduire fortement les distances avec les marchés consommateurs dans un contexte de guerre commerciale durable.
Cette dernière raison a son importance quand on regarde les impacts qu’a eus la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, sans compter celle à venir entre les Etats-Unis et l’Europe.
Chaque passage de frontière, l’instabilité des échanges internationaux et les délais de livraisons ont des coûts. Un des bénéfices de la relocalisation sera également une accélération de la décarbonation du monde du fait d’une moindre concentration d’usines sur une zone géographique donnée (pression écologique) et donc de moins de déplacements de marchandises. La pandémie pourrait aussi avoir un impact sur le tourisme de masse réduisant d’autant les émissions liées au déplacement aérien.
Ces éléments pourraient contribuer à accentuer encore les pressions à la baisse sur les prix des hydrocarbures. Ceux-ci resteraient bas durablement. Tous les acteurs impliqués en souffriraient mais les pétrolières intégrées (Total, BP), à la différence des Juniors (shale-oil américain) et sociétés de services, pourront utiliser la solidité de leurs bilans et de leurs cash-flows pour se réinventer et miser sur les énergies renouvelables (par voie de consolidation notamment : Solaria, Scatec, Voltalia, Albioma, EDP Renovaveis, Orsted, Neoen, etc.).
La relocalisation d’une partie de l’appareil productif entraînerait une hausse des dépenses d’investissement qui pourrait être amorties assez rapidement si toutes les innovations issues de l’industrie 4.0 étaient mises à contribution judicieusement.
Automatisation (Kuka, Fanuc, Balyo, Daifuku), collecte de la data (Roper Technologies), maintenance prédictive (Schneider Electric, Siemens), Internet industriel des objets (SigFox, LoRa, 5G), progiciels (SAP, Oracle), digitalisation (Dassault Système, Cadence Design), IA, impression 3D métaux (SLM Solutions), Edge et Cloud Computing (S&T, Eurotech).
Si ces innovations étaient mises en place toutes en même temps, contre un coût initial, nous pourrions obtenir un outil productif extrêmement performant quasiment entièrement automatisé ne nécessitant du personnel que pour l’entretien des machines et certaines tâches encore trop complexes (les usines Tesla ne tournent qu’avec un cinquième du personnel d’une usine automobile classique pour une productivité équivalente). Peu de personnel certes, mais du personnel quand même et un outil productif sur le territoire national, générant des recettes fiscales. Cette théorie ne s’applique pas à tous les produits ni toutes les industries mais les lignes bougent très rapidement.
Muscler les infrastructures de données et de communication
A la croisée des chemins d’un projet d’« Airbus des batteries » en Europe, de l’industrie 4.0 et de la décarbonation de l’économie, nous pourrions voir un regain d’intérêt accru pour d’autres types de mobilités, collectifs ou individuels. Le développement des véhicules avec pile à combustible, hybride et notamment électrique semble gagner en maturité et coche beaucoup de cases, ce type de véhicule est aussi beaucoup plus simple à produire (moteur électrique avec < 50 composants contre > 250 pour le moteur thermique). Le tourisme serait aussi plus local avec plus de rail (Alstom, Stadler, CAF, etc.). Le transport aérien par ricochet basculerait vers un usage plus régional et moins international.
La crise sanitaire et notamment le confinement ont poussé les infrastructures de données et de communication dans leurs retranchements et mis en exergue le besoin pressant de muscler ces infrastructures. En effet, de nombreuses entreprises, de toutes tailles, ont été obligées de massivement s’équiper en matériels informatiques et logiciels de communication pour rester opérationnelles. Les ménages ayant des enfants assurent >>> les cours via les cours en ligne. Sans compter les nouveaux usages : en France, les autorités ont demandé à Disney de renoncer au lancement de son application de streaming Disney+, en Espagne, la consommation de Netflix a été multipliée par quatre. Le trafic sur YouTube a été multiplié par trois et par dix sur des applis, comme Facetime ou Skype. Dans certains pays, Netflix et YouTube représentent près de la moitié de la bande passante totale.
Nous verrons donc certainement une accélération des plans « fibre » en France et en Europe (Prysmian, Nexans, Solutions 30) et des investissements dans les réseaux de dernière génération (5G). Cela représentera un coût pour les opérateurs (un gain pour les équipementiers, Nokia, Ericsson, Ekynops), mais la hausse des volumes de données devrait leur permettre de renouer avec la croissance.
La notion de confinement total d’une économie étant trop coûteuse si faite à l’européenne, le traitement de la data pourrait être emmené à changer dans son stockage (sécuriser son intégrité et sa souveraineté en cas de rupture du service, Atos, Thales, Safran) et dans son utilisation (abandon de certaines libertés fondamentales comme en Corée du Sud, Chine ou Taiwan). Plus (+) de géolocalisation (repérer les malades, leur imposer un confinement individuel), plus d’alertes par messages issus des organismes de santé sur l’évolution de la pandémie et les mesures à respecter, recours à des outils de mesure de la température systématique par caméra thermique, etc.
Dans la santé pourraient être mises en place certaines pratiques, comme celles mises en place en Corée du Sud ou à Taïwan. Où une partie des outils productifs se verraient imposer une certaine flexibilité/adaptabilité productive, une partie de l’outil pouvant être « mobilisable » sur décision politique (Taiwan et la Corée du Sud ont ainsi imposé à certaines entreprises de monter des lignes de production de masques et autres matériels, les rendements de celles-ci pouvant être augmentés en fonction des besoins) et seraient contrôlés quotidiennement par un agent de l’Etat. Les fournitures produites seraient ainsi vendues à prix comptant en pharmacie.
Ce type de démarche pourrait être imposé très naturellement à certains corps de métiers (textile, chimiste, distilleurs, cosmétique). Pour des produits à plus forte valeur ajoutée/technicité (respirateurs), cette « mobilisation » et mise à disposition pourraient être imposées à des industriels spécialisés (Draegerwerk, Phillips, Siemens, Ambu) ou non (Daimler, BMW, Leonardo, PSA, Renault, Safran, Thales, ThyssenKrupp).
Sur le plan des principes actifs médicamenteux (API), l’initiative récente de Sanofi visant à créer un leader européen des API basé en France et combinant six de ses sites européens prend tout son sens.
Retour en force des Etats actionnaires ?
Nous pourrions voir une évolution des habitudes alimentaires et d’hygiène en Asie avec des consommateurs plus sensibilisés. Leur consommation de produits plus normés et sains pourrait favoriser les acteurs spécialisés dans le bien être alimentaire (Danone, Nestlé).
En Europe, les consommateurs n’ayant pas pu (ou moins) manger de produits d’importation ou hors saison pourraient se tourner vers une consommation plus locale, plus consciente de son empreinte carbone et des saisons. Les distributeurs se reposant sur des producteurs locaux/régionaux seraient ainsi à privilégier (Carrefour, Danone, Nestlé) à l’inverse de grands exportateurs (Unilever, P&G).
Nous assisterons certainement à un retour en force des Etats actionnaires, que ce soit pour contraindre certains secteurs à des pratiques plus morales ou collectives ou pour sauver les sociétés en difficultés malgré les plans d’aides (l’Allemagne a ainsi prévu une enveloppe de 100 milliards d’euros à cet effet).
En conclusion, cette crise du Covid-19 va remettre en question de nombreux schémas issus de la mondialisation. Nous allons probablement vivre un retour à certaines formes de nationalisme économique, qui encourageront le retour à une prise de conscience plus locale. Les populations seront plus conscientes de leur environnement, de leur manière de se déplacer et de leur manière de consommer. Le secteur de l’énergie accélérera sa décarbonation au profit des énergies renouvelables et du gaz naturel. Plus local ne voulant pas dire moins connecté, nous verrons l’accélération des nouveaux moyens de communication (fibre, 5G, logiciels de communications) qui s’imposeront pour interconnecter les citoyens à la société civile et professionnelle.
Des nouvelles manières de travailler ou d’enseigner, beaucoup plus digitales. Une capacité à monitorer/contrôler les outils de production beaucoup plus fine et moins coûteuse, ces dernières compensant le fait qu’elles emploient moins de salariés par le fait qu’elles seront bien plus nombreuses sur le territoire national. Une certaine « optionalité de flexibilité productive » pourrait leur être imposée, permettant d’adapter rapidement l’outil à des besoins ponctuels mais plus spécifiques (équipements et consommables médicaux). La présence de l’Etat, beaucoup plus endetté, sera également plus perceptible, dans les entreprises (dont l’Etat serait actionnaire ou aidant) mais aussi dans la vie de ses citoyens (adaptation de certaines libertés en fonction des événements).
Bref, sans tout remettre en question : un monde, une mondialisation et des sociétés civiles qui s’adaptent à de puissants événements exogènes.
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