« L’usage est le principal moteur de la disruption »

Par : Benoît Descamps

Alain Clot, président de France FinTech, revient sur le récent essor de cette industrie dans l’Hexagone. Selon lui, la France a toutes les cartes en main pour s’imposer dans le paysage international des technologies financières.

 

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Profession CGP : Depuis deux ans, le marché français des FinTech est en pleine ébullition. Comment expliquez-vous ce développement soudain ?

Alain Clot : Les FinTech se développent grâce à la poussée simultanée de trois moteurs. Le premier repose sur les technologies, avec le développement de la mobilité, l’intelligence artificielle, le Big Data, la Blockchain (1) et les objets connectés. Le second repose sur les infrastructures. La réglementation tout d’abord, qui s’adapte enfin et l’Open Data qui libère les données, matière première du digital. En France, même l’Etat ouvre beaucoup de données ce qui permet de fabriquer des modèles.

Enfin, le troisième moteur, qui pour nous est le principal, repose sur les usages et les comportements des consommateurs. Les Français ont résisté longtemps, mais depuis dix-huit/vingt-quatre mois la rupture est forte : de plus en plus, ils tendent à consommer les services financiers comme les autres services (musique, transport, réseaux sociaux). Cette banalisation se retrouve dans les chiffres. Selon différentes études, un tiers d’entre eux ne sont plus satisfaits de leur banque ; un quart des Français ne se rendent plus en agence bancaire et beaucoup n’y vont presque plus ; 40 % se disent prêts à payer avec leur smartphone ; 40 % sont favorables au recours aux FinTech ; 15 % ont déjà utilisé ce type de service… Et le mouvement s’accélère. L’usage est le principal moteur de la disruption.

Le consommateur français compare, n’aime plus les produits packagés… Et au-delà de l’usage, c’est l’expérience utilisateur, l’UX comme on le dit dans notre jargon, qui est le vrai moteur. Les nouveaux modèles FinTech proposent une navigation agréable, de nouvelles fonctionnalités appliquées à la finance et qui couvrent tous les secteurs : le paiement, le financement, le conseil en investissement ou encore la tenue de compte.

Le client est désormais plus un utilisateur qu’un simple consommateur. Après être passé de la création de produit à la réponse à des besoins, nous passons désormais au client utilisateur.

En fait, la banque tend à « sortir de la banque » et « l’assurance de l’assurance ». Ce qui rappelle, bien sûr, une phrase de Bill Gates prononcée en 1994 : « Le monde a besoin de banque, mais pas forcément de banquier. »

Profession CGP : Où en sommes-nous dans cette « révolution » ?

A. C. : La première vague est passée, elle est « verticale » (fourniture de services financiers spécifiques). La deuxième est plutôt horizontale (intégration de services). Il s’agit, par exemple, de la gestion de compte (Nickel), la gestion budgétaire (PFM : Personal Finance Management), comme le pratiquent Linxo, Bankin’, etc.

En effet, de plus en plus, les fonctions s’intègrent : on croise les données, les comptes et les fonctionnalités entre les comptes.

 

PCGP : Dans ce contexte, quel regard portez-vous sur l’évolution du monde de la gestion de patrimoine ?

A. C. : Les CGP sont dans le sens de l’histoire : ils proposent des services, sont indépendants, délivrent un conseil à valeur ajoutée… Ce sont des mots qui comptent de plus en plus. Néanmoins, le niveau d’équipement en matière de plates-formes d’exécution est encore modeste. De plus, le consommateur français a une relation particulière à la finance qui est liée à l’histoire. Il paie ce qu’il ne devrait pas payer, mais pas ce qu’il devrait payer, à savoir le conseil. Or, le besoin de conseil est important aujourd’hui : le monde financier est devenu illisible pour l’épargnant, le problème des retraites se pose…

Il a besoin d’une gestion indépendante de son patrimoine, sans conflit d’intérêts.

Pour les CGPI, les FinTech, en particulier les robo-advisors, ont d’abord été perçues comme une concurrence, parfois même déloyale, notamment sur le plan réglementaire. Désormais, ils sont de plus en plus vus comme une solution métier apportant des fonctionnalités au client et au professionnel.

PCGP : Justement, quelle est votre vision des robo-advisors ?

A. C. : La première étape de leur développement est passée : il s’agissait d’un algorithme proposant une allocation simple au sein d’un contrat d’assurance-vie, via des ETFs. Nous sommes aujourd’hui à la deuxième étape qui offre une autre analyse des besoins et qui devient un outil d’aide à la décision. La prochaine étape va intégrer l’intelligence artificielle et le Big Data pour déboucher sur une approche globale du patrimoine.

Toutefois, je ne crois pas au tout numérique : le conseil financier a une vraie valeur. Accompagné de l’aide technologique, on parle alors de « conseiller augmenté ». Les développements aux Etats-Unis prouvent que nous entrons dans une ère où les clients recherchent plus de valeur ajoutée, veulent du diagnostic interactif, le tout avec une approche participative ; alors qu’avant leur démarche était passive.

Bref, le client recherche un conseil clair et affirmé, mais en pouvant agir lui-même en consommant le service, avoir l’avis d’autres épargnants et en pouvant simuler lui-même ces opérations.

Le digital permet de mettre en place ce rapport plus subtil et de marier le conseil compétent avec le Big Data et la technologie.

Pour les CGP, l’enjeu est de rester indépendants tout en disposant des ressources nécessaires. Or la digitalisation relativise la taille critique. Elle est donc une vraie piste de développement de ces cabinets. A terme, ils pourraient proposer les solutions de tenue de compte, de financement, d’assurances avec le Crowdfunding, le PFM, etc.

PCGP : L’avènement de ces FinTech repose d’abord sur des développements nationaux et alors que des acteurs sont déjà bien installés à l’étranger, outre-Atlantique notamment, aucun n’est venu s’implanter en France. Pourquoi ?

A. C. : Ces sociétés doivent d’abord prouver sur leur territoire national avant de pouvoir s’exporter. Cela ne va pas durer car, au niveau européen, le passeportage des activités est possible et les besoins des clients s’internationalisent. Par ailleurs, pour ces sociétés, la rentabilité des investissements va passer par un déploiement sur plusieurs marchés.

Si le conseil financier reste un marché très local, en raison de la fiscalité et des comportements des consommateurs, il ne fait aucun doute que les robo-advisors seront paramétrés pour s’y adapter.

PCGP : Quelles sont les chances des acteurs français de s’imposer dans ce marché qui va devenir mondial ?

A. C. : Paradoxalement, la France est un des endroits où la FinTech est née avec les virements à distance et la consultation des soldes bancaires. Puis, ce marché a connu des difficultés liées à la fiscalité et à la faiblesse du capital-risque dans notre pays. D’où un développement plus rapide aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.

Néanmoins, aujourd’hui la croissance est forte, les start-up deviennent des entreprises et les ressources arrivent. Et nos atouts sont nombreux : nos ingénieurs en traitement de données sont parmi les meilleurs au monde, que ce soit dans le domaine du Big Data, de l’intelligence artificielle ou des algorithmes ; ce n’est pas par hasard que Facebook installe son centre de recherche artificielle à Paris (en le confiant à un Français) ; et l’industrie financière française est à la pointe au niveau mondial. Le mélange peut faire merveille ! Un écosystème se crée, avec un vrai réseau soutenu par les pouvoirs publics et la création de nombreux incubateurs. N’oublions pas qu’en France, 535 000 entreprises ont été créées l’an passé, soit le premier rang au niveau européen. L’une des vertus des FinTech est la « coopétition » : elle permet de pousser tous les acteurs ensemble vers l’avant.

Par ailleurs, les acteurs traditionnels, après avoir été indifférents puis irrités, deviennent des passionnés : ils crédibilisent énormément nos start-up avec des incubateurs, le développement d’une offre intégrée. Le potentiel est donc important aussi bien sur l’offre que sur la demande et l’Etat soutient le secteur.

D’ailleurs, le marché français intéresse les acteurs de la Tech. Cet attrait s’explique par un coût d’accès client bancaire élevé, mais aussi une forte rentabilité de la relation et le potentiel du marché. Tous les grands acteurs du marché font des déclarations d’intention, aussi bien sur les compétences de nos sociétés que sur le potentiel du marché.

PCGP : Quels sont les domaines où nos sociétés sont les plus avancées en France ?

A. C. : Je dirais le transfert d’argent, les moyens de paiement et le Crowdfunding. Mais les autres domaines sont en fort développement, notamment le Big Data associé à l’intelligence artificielle dans les métiers du conseil et du risque, et la Blockchain autour de la donnée et qui permet d’éviter la paperasse et le règlement des contrats, en réduisant les coûts.

1. Blockchain : technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée et fonctionnant sans organe central de contrôle, née au départ avec la monnaie virtuelle bitcoin.

  • Mise à jour le : 25/04/2016

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