En état de légitime défense fiscale
En France, la fiscalité est de plus en plus perçue comme une grande toile d’araignée, dans laquelle le contribuable se sent englué, et dont il cherche à s’échapper par tous les moyens possibles. Explications de l’universitaire Thierry Lamorlette, économiste et écrivain.
Economiste reconnu, auteur de nombreux ouvrages traitant des stratégies fiscales internationales et de notices, tels que la septième édition du « Guide critique et sélectif des paradis fiscaux, stratégies de défiscalisation en toute légalité » chaque année remis à jour et dont la parution est prévue le 12 juin prochain, le professeur Thierry Lamorlette livre son point de vue sur le poids de l’impôt en France. « La conjonction de la lourdeur des administrations et de la mobilité des individus crée naturellement des opportunités pour les contribuables désireux d’échapper à l’impôt. Or, les raisons de vouloir éluder l’impôt ne manquent pas. D’abord, pour certaines catégories de contribuables, la charge de l’impôt est devenue véritablement insupportable. C’est le cas notamment des salariés, comme en témoignent les chiffres suivants.
Entre 21 et 26 % de prélèvements sociaux sur les salaires bruts
Ainsi, en France, le poids global des prélèvements obligatoires (impôts sur le revenu, cotisations sociales, impôts à la consommation, impôts sur le patrimoine et impôt sur les sociétés) représente environ 46 % du produit intérieur brut, ce qui place la France dans le peloton de tête des pays de l’OCDE. Par ailleurs, les prélèvements – essentiellement sociaux – effectués en France sur les salaires et supportés par le salarié représentent en moyenne entre 21 et 26 % du salaire brut. Enfin, la seule charge de l’impôt sur le revenu des personnes physiques représente environ 17 % du revenu brut disponible des ménages. En conséquence, si l’on prend en compte la charge des divers impôts à la consommation, tels sur le TVA ou la taxe intérieure sur les produits pétroliers, on estime qu’un salarié français conserve environ 26 % des fruits de son travail.
Cette pression fiscale extrêmement forte semble confirmer la sombre vision de l’historien Jules Michelet, qui décrivait le fisc en ces termes : “ Sous Philippe le Bel, le fisc, ce monstre, ce géant naît altéré, affamé, endetté. Il crie en naissant comme le Gargantua de Rabelais : à manger, à boire ! L’enfant terrible dont on ne peut soulager la faim atroce mangera au besoin de la chair et boira du sang ”.
Trop d’impôt tue l’impôt !
Lorsqu’elle devient intolérable, la pression fiscale peut transformer d’honnêtes gens en fraudeurs. C’est le sens de l’adage « trop d’impôt tue l’impôt ». En quelque sorte, les contribuables se sentent en position de “ légitime défense fiscale ”.
D’autre part, avec la multiplication et la sophistication des impôts (IRPP, CSG, TIPP, TVA, ISF, TF, TH, cotisations sociales, CSG, etc.), la fiscalité est de plus en plus perçue comme une grande toile d’araignée, dans laquelle le contribuable se sent « englué », et dont il cherche à s’échapper par tous les moyens possibles. Par ailleurs, parmi les diverses raisons susceptibles d’inciter un individu à éluder l’impôt nous semble figurer en bonne place le simple plaisir – sinon la jouissance – qu’éprouve le contribuable à l’idée de tromper l’administration. Cette sorte de fascination pour la fraude fiscale est surtout caractéristique des pays dits latins.
Enfin, ces diverses tendances qui portent les individus vers la fraude ou l’évasion fiscale trouvent plus facilement à s’exprimer grâce à la présence de “ tiers médiateurs ”, qui proposent aux contribuables de multiples produits : du produit à régime fiscal incitatif au produit défiscalisé, jusqu’au produit “ sans-fiscalité-du-tout ”. »
Professeur Thierry Lamorlette, universités Panthéon-Sorbonne et Panthéon-Assas
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