Le droit des actionnaires dans le collimateur de la Commission européenne
Par Michael Herskovich, responsable gouvernance d’entreprise chez BNP Paribas Asset Management (Lettre ISR automne 2014 de BNP Paribas AM)
Afin de faciliter et de promouvoir les investissements à long terme, la Commission européenne propose de modifier la directive sur les droits des actionnaires. Le renforcement de la transparence et de l’engagement des actionnaires sont au cœur de cette proposition, qui devrait marquer le début d’une nouvelle ère dans la gouvernance d’entreprise et l’engagement des actionnaires et des gestionnaires d’actifs en Europe.
L’ampleur et l’impact de la crise financière ont incité les régulateurs du monde entier à s’interroger sur l’efficacité des pratiques actuelles en matière de gouvernance d’entreprise. Bien qu’il n’ait pas été la cause principale de cette crise, le manque de mécanismes de contrôle adéquats a sensiblement contribué à une prise de risque excessive de la part des institutions financières (Livre vert de la Commission européenne sur la gouvernance d’entreprise des institutions financières et les politiques de rémunération).
Trop souvent, les conseils d’administration et les actionnaires ont encouragé ou autorisé les dirigeants à prendre trop de risques à court terme. Ils n’ont pas surveillé assez attentivement les entreprises dans lesquelles ils investissaient (Conclusions du rapport de Larosière, « Rapport du groupe de haut niveau sur la surveillance financière au sein de l'Union européenne », publié le 25 février 2009). Par ailleurs, les politiques de rémunération ne s’inscrivaient pas sur le long terme et étaient malheureusement, bien souvent, sans rapport avec la performance réelle.
Outre les actionnaires, les régulateurs aussi ont été critiqués pour leur manque de contrôle des institutions financières. La Commission européenne ne l’a pas oublié. Parmi ses mesures, elle a ainsi proposé une révision de la directive actuelle sur les droits des actionnaires datée de 2007 (directive 2007/36/CE et directive 2013/34/UE). Le Parlement européen et le Conseil voteront les propositions de la Commission dans les prochains mois.
Objectifs de cette révision de la directive
Globalement, la révision de la directive vise à promouvoir un actionnariat responsable. La Commission européenne considère que le suivi et l’engagement des propriétaires d’actifs et des gestionnaires d’actifs se sont révélés insuffisants et qu’ils ne se sont pas suffisamment concentrés sur la performance à long terme. Pour atteindre cet objectif, la proposition de révision renforce les droits des actionnaires les questions fondamentales, tout en facilitant l’exercice de ces droits.
La nouvelle directive accroît la transparence parmi toutes les parties impliquées et son champ d’application est ambitieux. Si elle est approuvée en l’état, elle impactera à la fois les actionnaires, les entreprises cotées et les intermédiaires, tels que les dépositaires et les conseillers en vote.
Elle harmonisera des aspects clés de l’actionnariat en Europe, tout en laissant à la discrétion de chaque pays les points moins pertinents de la réglementation, pour faciliter le vote transfrontalier. Elle pousse en outre les actionnaires à responsabiliser les dirigeants d’entreprise en stimulant l’engagement. Pour autant, le réel défi de la Commission consistera à encourager une vision à long terme.
Faciliter le vote à distance
Trop peu d’investisseurs étrangers exercent leur droit de vote malgré quelques améliorations comme l’abandon du système de blocage des actions et de l’introduction de la date d’enregistrement6, qui était déjà prévu dans la directive originale de 2007.
Les frais de vote actuels, jugés excessifs, pourraient expliquer le faible taux de participation. En renforçant la transparence relative aux frais de vote, la Commission espère réduire les coûts. Bien que nous reconnaissions le bien-fondé de cet objectif et apprécions le gain de transparence qu’il apporterait, cette proposition est, selon nous, insuffisante. En effet, elle ne résout pas le problème de la charge du coût pour les investisseurs.
En dehors de l’Europe (aux Etats-Unis par exemple), ces coûts sont parfois couverts par les émetteurs. Si le modèle américain n’est pas privilégié, une répartition plus équitable des coûts encouragerait probablement une plus grande participation au vote.
Bien que l’intention de la Commission à ce sujet soit positive, tant qu’une charge administrative pèsera, le vote à distance restera probablement difficile dans certains pays. Il est primordial de lever ces obstacles techniques afin de faciliter le vote des actionnaires.
Réglementation sur les conseillers en vote
Les conseillers en vote – ces sociétés offrant des services aux actionnaires, et plus particulièrement des conseils en vote – sont soupçonnés de trop influencer le vote des investisseurs. Certains investisseurs leur délèguent leurs droits de vote, bien que ce ne soit pas le cas de BNP Paribas Investment Partners. Et nombreux sont ceux à suivre aveuglément leurs recommandations. Parfois, des conflits d’intérêt émergent et minent la valeur des votes.
La nouvelle directive exige une plus grande transparence dans le processus de vote par procuration. Cependant, alors que la plupart des grands prestataires ont déjà amélioré leur transparence à cet égard, le champ d’application de la directive reste flou, et risque d’exclure d’autres conseillers financiers et extra-financiers. Cette perspective serait regrettable car leur influence peut dépasser le cadre de la politique de vote et amener à s’interroger sur les entreprises dans lesquelles investir.
Responsabilisation des actionnaires
La Commission est déterminée à encourager les actionnaires à exercer un contrôle adéquat de la direction grâce à un vote sur la rémunération (principe du « say-on-pay ») et un droit de regard sur les transactions avec des parties liées.
L’introduction du principe du « say-on-pay », au moyen duquel les actionnaires sont invités à voter la rémunération des hauts dirigeants, vise à remédier au problème du lien insuffisant entre la rémunération de la direction, les performances et les salaires des employés, ainsi que les régimes de rémunération des dirigeants qui encouragent une vision trop court-termiste.
La plupart des juridictions européennes disposent déjà de réglementations qui requièrent un vote sur la rémunération, mais leur approche et leur champ d’application sont différents. La réglementation britannique (loi Enterprise and Regulatory Reform Act de 2013), était citée en exemple, entre autres par la Commission européenne, car elle donnait aux actionnaires en Europe le droit de se prononcer sur la rémunération. Si elle est approuvée, les actionnaires disposeront tous les trois ans d’un vote contraignant sur la politique de rémunération. En outre, ils seront consultés chaque année sur le rapport de rémunération publié par le conseil.
Que ce soit sous la forme d’une résolution consultative ou contraignante, il a été démontré que les entreprises ont tendance à respecter les souhaits des actionnaires, car elles craignent d’entacher leur réputation en cas de contestation des plans de rémunération.
Dans leur politique de rémunération, les entreprises européennes devront aussi expliquer le ratio entre la rémunération moyenne des dirigeants et celle des employés, selon une approche similaire à celle adoptée lors de la réforme financière Dodd-Frank aux Etats-Unis. La publication des ratios de rémunération entre la direction et les travailleurs permet aux investisseurs de comprendre les plans de rémunération des entreprises et leur politique en matière de capital humain, et donc de pouvoir mieux comparer les entreprises entre elles au cours du temps.
Le principe du « say-on-pay » donne aux actionnaires un certain poids pour contrer les abus de rémunération des dirigeants et leur offre une chance d’exprimer leur mécontentement, en particulier quand la performance de l’entreprise ne justifie pas une telle rémunération ou si elle porte préjudice au capital humain de l’entreprise.
Les actionnaires jouent un rôle primordial de garde-fou. Cette nouvelle directive permettrait d’accroître sensiblement l’influence des actionnaires concernant la rémunération des dirigeants dans les juridictions européennes où le vote sur la rémunération n’est pas appliqué. Les transactions avec des parties liées peuvent porter sur des ententes ou des arrangements d’affaires entre deux parties qui entretenaient un rapport particulier avant la transaction. Par exemple, une transaction commerciale entre un grand actionnaire et une entreprise, telle qu’un contrat en faveur de l’entreprise de l’actionnaire pour la fourniture de services, sera considérée comme une transaction avec des parties liées. Ce type de transaction a aussi été une source de mécontentement, car il peut permettre à la partie liée de capter une partie de la valeur d’une entreprise au détriment des actionnaires minoritaires. Des transactions avec des parties liées et un manque de supervision des actionnaires ont déjà posé problème par le passé.
La directive révisée imposera une plus grande transparence et un avis indépendant sur les transactions qui représentent plus de 1 % des actifs d’une entreprise. Les grandes transactions, qui représentent plus de 5 % des actifs d’une entreprise, nécessiteront l’approbation des actionnaires.
Ces seuils élevés éviteront des transactions de trop grande ampleur et auront un impact sur les plus petites entreprises, en particulier les entreprises familiales d’Europe continentale. Ce droit important devrait contribuer à la protection des actionnaires minoritaires face aux transactions abusives avec des parties liées.
Une plus grande responsabilité pour les investisseurs
La Commission européenne s’attend à ce que ce plus grand pouvoir accordé aux actionnaires les encourage à se montrer plus responsables. Ceci se traduit par une demande non contraignante en vue de l’établissement d’un dialogue et du suivi de la performance financière et non financière des entreprises dans lesquelles ils investissent.
Bruxelles aimerait donc que les investisseurs développent et publient une politique d’engagement complète qui inclut l’exercice des droits de vote. La Commission propose le principe « appliquer ou expliquer » pour les propriétaires et les gestionnaires d’actifs. Tous les investisseurs devront publier leur politique sur leur site web. S’ils ne souhaitent pas le faire, ils devront en donner publiquement les raisons. En outre, les gestionnaires d’actifs feront périodiquement un rapport aux propriétaires d’actifs sur l’application de leur mandat à propos de leur engagement.
Cette révision de la directive porte non seulement sur le lien entre l’investisseur et la société détenue, mais confère autant d’importance au rôle du propriétaire d’actifs qu’au gestionnaire d’actifs. La directive dispose que les stratégies des gestionnaires d’actifs soient publiées. Elles doivent décrire dans quelle mesure la stratégie d’investissement contribue à la performance à moyen et long terme du propriétaire d’actifs et inclure certains détails, comme les coûts de rotation.
Chez BNP Paribas Investment Partners, nous appliquons une approche préventive concernant le niveau de détail et de transparence requis dans certaines dispositions. D’une part, l’étendue et le type d’informations détaillées demandées pourraient interférer avec une relation contractuelle établie. D’autre part, cela pourrait s’avérer coûteux et lourd administrativement.
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