Produits d’investissement atypiques, restez vigilants !
Par Emilie Mazzei, avocat à la Cour d’appel de Paris, chargée d’enseignement à Paris I-Panthéon Sorbonne
Or, forêts, diamants, vins, manuscrits, œuvres d’art, panneaux solaires, chevaux de course, voitures de collection… Les offres de produits d’investissement atypiques se sont multipliées au cours des dernières années, sans doute comme palliatifs à la faible attractivité des produits dits classiques, à n’en pas douter comme réponse au désir de « concret », voire de « proximité » de l’investisseur avec son produit. Ce « nouveau » marché devient un véritable enjeu régulatoire.
Ces produits, présentés comme « à haut rendement », sont également et corrélativement des produits à risques élevés. Ces derniers, multiples, portent tant sur la réalité, l’existence, l’exploitation, l’utilisation et la valorisation du sous-jacent que sur la structuration même du projet d’investissement.
L’on ne peut penser ici qu’aux scandales, arnaques, mises en garde et autres contentieux disciplinaires, civils et pénaux ayant émaillé l’actualité récente.
Les CIF en première ligne
Ces risques concernent tout aussi bien l’investisseur final qui peut avoir à pâtir d’un mauvais investissement, que le distributeur si le produit se révèle in fine être une arnaque (responsabilité engagée par le client) ou si sa commercialisation est considérée comme non conforme par l’autorité de régulation compétente (responsabilité disciplinaire). Dans le domaine du placement atypique, les distributeurs (généralement CIF au sens de l’article L. 541-1 du Code monétaire) sont en première ligne dès lors qu’ils sont, bien souvent, les seuls maillons régulés de la chaîne de commercialisation du produit atypique et qu’ils sont corrélativement les interlocuteurs directs du client final. Et cela cause légitimement un certain nombre d’inquiétudes parmi les distributeurs intéressés. Or ces produits atypiques sont dans le scope des autorités de régulation et plus particulièrement de l’AMF. Produits d’investissement destinés à une clientèle souvent retail, ils intéressent pleinement sa mission de « protection de l’épargne investie dans les instruments financiers et tous autres placements offerts au public ».
Vigilance de l’AMF
Cela transparaît d’ailleurs dans les mises en garde et autres lancements d’alertes mis en ligne depuis 2012 sur le site Internet de l’autorité à intervalles réguliers. La méfiance des autorités de régulation concernant ces produits s’exprime également à travers le prononcé récurrent de décisions de sanction et ce, la plupart du temps à l’encontre des seuls CIF distribuant le produit. En effet, l’AMF considère que la commercialisation de ces produits non conformes est, par principe, effectuée à l’encontre des intérêts du client, et ce même si ce dernier n’a subi aucun préjudice lié à l’investissement. La non-conformité du produit est en soi un manquement aux obligations réglementaires du distributeur. Et, dans ce domaine, les sanctions disciplinaires prononcées sont loin d’être négligeables : sanctions pécuniaires, interdiction d’exercer son activité, etc.
Enfin, cette préoccupation des pouvoirs publics transparaît dans le renforcement croissant de la législation, notamment par la réforme du régime de l’intermédiation en biens divers ou encore, par la révision de l’article 1841 du Code civil, toutes deux proposées par la loi Sapin II.
Quelle définition pour les produits atypiques ?
Cette attention réglementaire accrue n’apporte pas de réponse claire, globale et stabilisée sur les produits d’investissement atypiques. En effet, la notion même de produits atypiques n’est, pour le moment, définie par aucun texte législatif et/ou réglementaire existant. Or ces produits présentent une grande hétérogénéité : sous-jacents divers et variés, localisations plus ou moins exotiques, services et opérations pouvant être proposés sur ce type de supports, structuration du produits, modes de commercialisation, etc. Hétérogénéité qu’il conviendrait de dépasser par le biais législatif.
Proposer un guide des bonnes pratiques réglementaires et juridiques dans ce domaine n’est donc pas chose aisée. En effet, la difficulté première concernant ces produits d’investissement dits atypiques est d’en donner une définition unitaire et satisfaisante. Identifier sans difficulté ce qu’est un produit atypique permettrait au distributeur de faire preuve d’une vigilance renforcée et d’entamer une démarche de commercialisation satisfaisante et correspondant au produit.
En l’absence de textes, l’on peut définir ces produits d’investissement atypiques par les quelques grands traits communs qu’ils présentent :
- ce sont des produits de placement « alternatifs », portant sur des actifs qui ne sont pas des produits financiers et bancaires. Ces placements sont dits atypiques car ils ne font pas partie des investissements traditionnels, « typiques » de l’épargnant ;
- l’objet du produit est de proposer aux investisseurs un placement financier, généralement avec une promesse de rendement élevé ;
- ces produits impliquent soit la souscription de parts ou d’actions de sociétés de droit français non cotées (de type SA, Sarl, SAS, SCA, SCS, SNC…) ou de parts de sociétés en participation (SEP), créées pour les besoins d’un projet d’investissement spécifique, dans un secteur d’activités donné (hôtellerie, immobilier, photovoltaïques…), soit l’acquisition en direct d’un bien avec mise en avant d’un certain rendement financier ;
- le distributeur peut être sollicité dans le cadre de la commercialisation de ces produits, soit en qualité d’apporteur d’affaires, soit au titre de ses activités de conseil en investissement si le conseil porte sur des instruments financiers (en application de l’article L. 541-1 I du Code monétaire et financier) ou au titre de ses autres activités de CGP en application de l’article L. 541-1 II du Code monétaire si le conseil porte sur d’autres produits.
Ne pas confondre produit atypique et produit non réglementé
Enfin, il ne faut pas faire la confusion entre produits dits atypiques et produits non réglementés. Les deux notions ne sont pas synonymes. Des produits atypiques conformes à la réglementation peuvent ainsi être parfaitement commercialisés et seront alors proposés par des producteurs de produits régulés. C’est le cas, par exemple, des biens divers proposés par les intermédiaires en biens divers (IBD), soumis aux dispositions des articles L. 550-1 et suivants du Code monétaire et financier. Ce sera le cas également des « Autres FIA », dont le sous-jacent peut être un actif « atypique » (c’est-à-dire non financier ou bancaire…) au sens défini précédemment. Ces véhicules d’investissement sont des placements collectifs, soumis aux dispositions de la directive AIFM et régis par les articles L. 214-1 et suivants du Code monétaire et financier.
De la même façon, certains produits atypiques peuvent ne pas être soumis à la réglementation au regard de leurs caractéristiques (produits non régulés). Ils doivent être considérés par le distributeur comme étant des produits à risques accrus et faire l’objet d’une vigilance particulièrement renforcée. Ils pourraient, en effet, être non conformes à la réglementation : produits qui auraient dû être soumis à la réglementation relative aux biens divers, structures d’investissement devant être qualifiées de FIA… L’enjeu majeur va être de distinguer les produits non régulés des produits non conformes. Et, dans ce domaine, la responsabilité de la qualification va reposer essentiellement sur le distributeur.
Des distributeurs nécessairement vigilants
L’objectif de ce distributeur, souhaitant commercialiser ces produits, va ainsi d’être en pleine capacité d’identifier/qualifier le produit, de le vérifier et de pouvoir juger de sa bonne commercialisation. Il doit donc appréhender deux problématiques réglementaires distinctes :
- la qualification du produit (produit réglementé, produit non réglementé, produit non conforme) : le distributeur doit alors vérifier si le produit est un bien divers ou un placement collectif. Si ce n’est pas le cas, le distributeur doit vérifier les raisons pour lesquelles le produit ne serait pas soumis à ces réglementations et apprécier si les raisons avancées par le promoteur de produits sont légitimes. Il doit alors être capable d’identifier les produits non conformes qu’il viendrait à ne pas commercialiser ;
- les conditions de commercialisation du produit auprès du client (commercialisation conforme, commercialisation non conforme). Dans ce cadre, le distributeur doit être en capacité de vérifier qu’il ne propose aucun service de placement non garanti au sens des articles L. 321-1 et D. 321-1 du Code monétaire pour lequel il n’est pas habilité, qu’il ne participe à aucune offre au public irrégulière de titres financiers ou encore qu’il ne diffuse pas d’informations non claires, imprécises et trompeuses. Cela passe notamment par une vérification systématique des documents promotionnels transmis au client et plus particulièrement de la présentation des risques liés à l’investissement.
L’on voit que dans ce domaine, la réglementation ou plutôt son caractère lacunaire exige du distributeur une particulière maîtrise dans la sélection des produits conseillés au client. Les obligations de vérification sont alors quasi de résultat. Ce processus de sélection doit répondre à des principes d’évidence qu’il convient pourtant de rappeler :
- le CIF ne doit pas proposer à ses clients des produits qu’il ne comprend pas lui-même. La compréhension s’étend des caractéristiques financières de l’opération à sa structuration juridique ;
- le moindre doute à un quelconque moment de la démarche de vérification du produit doit conduire à ne pas le sélectionner. Dans ce domaine, le doute ne saurait profiter au produit. Les enjeux réglementaires sont, en effet, bien trop importants et le coût avantages-risques complètement défavorable au distributeur.
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