Outre-mer : les majorations tarifaires des notaires et huissiers épinglées
Elles représentent entre 25 et 40 % de plus par rapport aux tarifs applicables en métropole. C’est que révèle l’Autorité de la concurrence qui suggère de revoir en profondeur ces tarifs. Explications.
Dans un avis réalisé à la demande du gouvernement, l’Autorité de la concurrence a examiné le système des majorations tarifaires des notaires et des huissiers de justice en outre-mer. Constatant la disproportion entre les majorations tarifaires prévues pour les notaires et les huissiers de justice ultramarins et les coûts réels supportés, l’Autorité recommande au gouvernement une refonte d’ensemble du cadre réglementaire.
À la demande du gouvernement, l’Autorité a rendu jeudi un avis relatif aux tarifs réglementés de plusieurs professions du droit (notaires, huissiers de justice et avocats) concernées par des majorations applicables dans les départements d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion et Mayotte). Les majorations actuellement prévues représentent entre + 25 % et + 40 % selon les professions et les territoires, par rapport aux tarifs applicables en métropole. Les tarifs en question concernent, par exemple, des prestations comme la réception d’un acte authentique de vente immobilière ou d’un testament, pour les actes notariés, et le commandement de payer les loyers ou la signification d’un titre exécutoire, pour les actes d’huissiers de justice.
Pour les avocats, révèle l’avis, il s’agit des seules prestations soumises à tarifs réglementés : les partages (opérations mettant fin à une indivision), licitations (ventes par adjudication de biens en indivision), les sûretés judiciaires (mesures conservatoires) et saisies immobilières (procédures d’exécution visant à la mise sous main de justice, par un créancier, d’un bien immobilier en vue de sa revente).
L’avis de l’Autorité de la concurrence « vise à alimenter les travaux de réflexion conduits par les ministères de la Justice, de l’Economie et des Outre-mer pour adapter le principe d’“orientation des tarifs vers les coûts”, inscrit dans le droit positif par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (loi Macron), à la situation spécifique de ces départements ».
Un niveau de majoration disproportionné et injustifié
L’analyse de l’Autorité s’est essentiellement portée sur les justifications des majorations prévues pour ces tarifs en outre-mer. Des majorations mises en place pour compenser « les écarts de dépenses professionnelles et de coût de la vie entre ces départements et la métropole et seraient justifiées, selon les instances professionnelles concernées (consultées à l’échelon national et local), par des surcoûts spécifiques à l’outre-mer. L’Autorité s’est ainsi attachée à déterminer si de tels surcoûts pouvaient être identifiés à partir de données financières et comptables des offices ».
À l’issue de ses travaux, l’Autorité est parvenue à un certain nombre de constats : « Bien que ce ne soit pas systématique, certaines dépenses professionnelles (entretien et réparation des locaux, acquisition de logiciels, frais de chauffage, eau, électricité…) peuvent effectivement impliquer des surcoûts en outre-mer par rapport à la métropole. Toutefois, ces écarts, qui sont variables en fonction des professions et des territoires, sont largement inférieurs au niveau des majorations actuellement prévues. Les taux de majoration, actuellement pratiqués, ne semblent pas correspondre à des surcoûts réellement identifiés et pas, en tout cas, à hauteur des majorations pratiquées. Le bien-fondé de cet héritage historique n’avait jusqu’ici jamais été réexaminé ».
Cette surcompensation des surcoûts outre-mer assure des « taux de profitabilité moyens particulièrement élevés dans certains DOM qui, combinés à un volume d’activité fréquemment supérieurs à la métropole, permet à de nombreux titulaires d’offices de bénéficier de rémunérations moyennes très importantes (jusqu’à trois fois supérieures à celles de leurs homologues métropolitains) ».
Surcoût moyen de 514 € par acte notarié et de 40 € par acte d’huissier de justice
Globalement, les majorations tarifaires entraînent « une hausse du prix acquitté par les usagers ultramarins, que l’on peut évaluer à environ 26 millions d’euros par an TTC, s’agissant des notaires, et à environ 11 millions d’euros TTC par an, s’agissant des huissiers de justice. Ainsi, le surcoût moyen supporté par les consommateurs est d’environ 514 euros par acte notarié et de 40 euros par acte d’huissier de justice. Les effets de ces majorations sont, par conséquent, loin d’être négligeables sur le pouvoir d’achat des consommateurs ultramarins ».
Pour autant, tempère l’avis de l’Autorité, « une suppression du système des majorations tarifaires du jour au lendemain pourrait confronter un grand nombre d’offices concernés des DOM à des difficultés économiques, ce qui conduit l’Autorité à recommander une démarche graduée permettant aux professionnels de s’adapter à une éventuelle suppression ou atténuation des majorations tarifaires ».
Refondre le cadre réglementaire
Les constats de l’avis conduisent l’Autorité à formuler deux recommandations :
- procéder à une révision du système actuel des majorations, afin que l’objectif de rémunération raisonnable des professionnels et d’orientation vers les coûts des tarifs, prévu par la loi Macron, soit davantage respecté, et que le consommateur ultra-marin ne subisse pas une surcharge tarifaire non proportionnée aux surcoûts constatés ;
- mettre au point une méthode de détermination des taux de majoration reposant sur des éléments objectifs, qui tienne notamment compte des coûts supportés par les professionnels et de critères tels que le différentiel de coût de la vie entre les DOM et la métropole et les évolutions des volumes d’activité des offices outre-mer.
L’Autorité souhaite alors :
- recalibrer les taux de majoration : « L’économie réalisée par chaque usager pourrait, si cette réforme est mise en place, être de l’ordre de 20 à 30 % par acte réalisé pour les notaires et les huissiers de justice » ;
- ouvrir le débat sur la prise en charge de ces majorations tarifaires, « aujourd’hui supportées par les seuls usagers ultramarins, et qui pourraient, si elles sont maintenues, être financées par d’autres biais, par exemple via le fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice (FIADJ). Ce fonds de solidarité est inscrit dans les textes mais n’a encore jamais été activé ».
- échelonner dans le temps la mise en œuvre de toute réforme tarifaire ;
- identifier les éventuels facteurs de déficit d’attractivité de ces professions en outre-mer, « qui ont jusqu’ici pu être mis en avant pour justifier les majorations tarifaires, afin de créer des incitations à l’installation ».
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