La MIFidisation des acteurs de l’assurance
Par Morgane Hanvic, avocat associé, cabinet Lexance Avocats AARPI ([email protected] ; www.lexance-avocats.com)
Un an et demi après l’entrée en vigueur des textes transposant en droit français la nouvelle directive en assurance dite DDA, le constat d’un alignement des obligations des acteurs de l’assurance sur celles des intermédiaires financiers s’impose.
En ce début d’année 2020, tous les acteurs de l’assurance ont intégré cette réforme du droit de la distribution en assurances. Même si des questions demeurent sur les implications de certaines dispositions, l’année écoulée a été l’occasion pour les intermédiaires distribuant des contrats d’assurance d’intégrer les nouvelles obligations qu’induit l’entrée en vigueur de DDA.
Cette directive 2016/97 du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (dite DDA) est venue refondre le dispositif de la directive 2002/92/CE du 9 décembre 2002 sur l’intermédiation en assurance, dont elle étend l’application à toutes les ventes de produits d’assurance.
Cette nouvelle réglementation conduit à élargir l’ensemble du dispositif du livre V du Code des assurances relatif aux intermédiaires d’assurance, à l’ensemble des distributeurs d’assurance et donc, outre aux intermédiaires, aux assureurs et aux réassureurs commercialisant les produits.
Les dispositions de la directive DDA sont détaillées par des règlements techniques s’imposant aux Etats pour sa transposition :
- le règlement d’exécution (UE) 2017/1469 de la Commission du 11 août 2017 établissant un format de présentation normalisé pour le document d’information sur le produit d’assurance (DIPA, en anglais : IPID – Insurance Product Information Document) ;
- les deux règlements délégués du 21 septembre 2017, portant respectivement sur les exigences en matière d’information et les règles de conduite applicables à la distribution des produits d’investissement fondés sur l’assurance, et sur les exigences de surveillance et de gouvernance des produits applicables aux entreprises d’assurance et aux distributeurs des produits d’assurance.
En droit français, la directive a été transposée par :
- l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018 relative à la distribution d’assurances ;
- et le décret n° 2018-431 du 1er juin 2018 relatif à la distribution d’assurances.
Les dispositions sont entrées en vigueur depuis le 1er octobre 2018 (à l’exception des dispositions relatives à l’obligation de formation continue entrées en vigueur le 23 février 2019).
Un an et demi plus tard, le constat de l’alignement des obligations des distributeurs d’assurance sur celles des intermédiaires financiers émerge.
Petit tour d’horizon de ce phénomène dit de MIFidisation de l’assurance, par référence aux directives européennes MIF et MIF II s’imposant aux intermédiaires financiers.
Des objectifs semblables
La directive sur la distribution d’assurances (DDA) confirme les orientations prises par MIF II en ayant pour objectifs de renforcer la protection des investisseurs, notamment au niveau du conseil en investissement ; de fournir une information plus transparente aux clients en s’appuyant notamment sur les documents institués par Priips.
Il est d’ailleurs intégré au Code des assurances un nouvel article L 521-1 I imposant à tout distributeur de produits d’assurance d’agir « de manière honnête, impartiale et professionnelle et ce, au mieux des intérêts du souscripteur ou de l’adhérent ».
L’obligation de rédiger ses procédures
Les nouvelles obligations introduites par DDA obligent aussi désormais les intermédiaires en assurances, y compris les petites structures, à rédiger leurs procédures internes qu’il s’agisse de prévenir et gérer les conflits d’intérêts, d’appliquer les obligations en matière de gouvernance produit ou encore de suivre l’accomplissement des obligations annuelles de formation continue mais aussi de revoir sa stratégie de distribution pour tout simplement vérifier si elle répond aux nouvelles obligations.
Prévenir et identifier les conflits d’intérêts
En imposant de nouvelles obligations dans ce domaine, DDA poursuit le même objectif que MIF II : prévenir et détecter les conflits d’intérêts pouvant porter atteinte aux intérêts d’un client. Comme pour les CIF, ceci a des implications sur les modes de rémunération et l’on retrouve le dénominateur commun de la transparence, l’obligation n’allant pas jusqu’à dévoiler les montants exacts (sauf dans certains cas très précis qui préexistaient à DDA), mais le client doit connaître la nature de rémunération perçue par son conseiller.
Des nouvelles obligations en matière de gouvernance produit
La directive MIF II a consacré des obligations en matière de gouvernance des instruments financiers. L’objectif consiste en une définition plus fine des responsabilités respectives entre producteurs et distributeurs en instaurant un lien entre les deux maillons principaux de la chaîne de distribution.
Lorsqu’une entité soumise à la directive MIF II conçoit des instruments financiers, elle doit notamment prévoir un dispositif de validation desdits instruments financiers, définir un marché cible et fournir aux distributeurs tous renseignements utiles sur les instruments financiers concernés (« règles producteurs »).
Le distributeur soumis à la directive MIF II (à travers la fourniture de services d’investissement) doit, quant à lui, se doter de dispositifs appropriés pour obtenir les renseignements utiles relatifs auxdits instruments financiers, pour en comprendre les caractéristiques et pour évaluer la compatibilité de chaque instrument financier avec les besoins de ses clients, notamment par rapport au marché cible qu’il définit en tenant compte, le cas échéant, du marché cible identifié par le producteur (« règles distributeurs »). Les exigences réglementaires sur la gouvernance des instruments financiers, impliquent ainsi une définition, puis un suivi, notamment des caractéristiques de l’instrument financier (niveau de risque, horizon de placement, etc.), du marché cible, de la stratégie de distribution adaptée au marché cible.
DDA a instauré des principes de gouvernance très similaires pour les producteurs de produits d’assurance vie faisant peser sur les distributeurs de nouvelles obligations en termes d’adéquation au marché cible et aux remontées régulières à faire auprès des producteurs qui restent toutefois en charge de la définition de la cible.
Dans le cadre de futurs contentieux, la question se posera d’ailleurs sûrement de la responsabilité de l’intermédiaire qui aura pris le parti de proposer un produit à un client ne répondant pas la cible définie. La préconisation par écrit justifiant de l’adéquation du produit aux exigences et besoins exprimés par le client sera d’autant plus importante dans un tel cas.
Un devoir de conseil renforcé
Le devoir de conseil était déjà bien connu des intermédiaires en assurance, institué par la première directive et prévu à l’ancien article L. 520-1 du Code des assurances, cette obligation avait vu sa teneur renforcée et ses contours précisés au fil des années par la jurisprudence.
Avec DDA, le législateur institue un devoir renforcé avec la distinction de plusieurs niveaux de conseil et l’apparition d’un service supplémentaire, optionnel et pouvant faire l’objet d’une rémunération ad hoc, dénommé service de recommandation personnalisé.
Ce « nouveau » devoir de conseil implique de justifier de sa préconisation. Le distributeur conseille un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel et précise les raisons qui motivent ce conseil (art. L. 521-4 I du Code des assurances).
En assurance-vie, « l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation précise par écrit les exigences et les besoins exprimés par le souscripteur éventuel ou l’adhérent éventuel, ainsi que les raisons justifiant le caractère approprié du contrat proposé » (art. L. 522-5 I du Code des assurances).
Rejoignant les obligations des CIF, il s’agira pour le distributeur d’assurance vie de réaliser un test d’adéquation et de pouvoir en justifier par écrit. La déclaration d’adéquation s’apparentera au rapport de mission remis par le CIF.
L’obligation de l’écrit en cours de contrat
Avant DDA, la jurisprudence avait déjà mis à la charge des intermédiaires en assurance une obligation de suivi tout au long du contrat, les obligations de l’intermédiaire ne s’arrêtant pas au stade de la souscription. Mais avec cette directive, cette obligation est désormais prévue dans le texte avec, en assurance-vie, sans aller jusqu’au point annuel dû par les CIF, l’obligation de remettre le rapport annuel auquel le courtier s’est engagé.
Obligation accrue de formation continue
Depuis plusieurs années, les CIF sont assujettis à une obligation annuelle de formation continue, le contrôle de l’accomplissement de cette obligation revenant aux associations agréées par l’AMF, avec quelques évolutions effectives au 1er janvier 2020. L’obligation instaurée par DDA et entrée en vigueur depuis le 23 février 2019 est plus stricte avec quinze heures obligatoires par an et un encadrement strict des formations éligibles par arrêté. La liste des compétences qui doivent être actualisées régulièrement a été fixée par un arrêté du 26 septembre paru au Journal officiel du 29 septembre 2018.
Le contrôle par une association agréée
Dans le prolongement de cet alignement, on signalera également cette nouveauté dans le monde des intermédiaires en assurance : le projet d’un système d’autorégulation. Un parallèle peut évidemment être fait avec le système existant pour les CIF qui doivent pour exercer adhérer à une association agréée par l’AMF. Le projet destiné au courtage prévoit également une adhésion obligatoire à une association agréée cette fois par l’ACPR mais les attributions des associations ne seront pas tout à fait identiques à celles des associations rassemblant les CIF.
La proposition de loi déposée le 14 janvier 2020 à l’Assemblée nationale, après qu’un premier projet, contenu à l’article 207 de la loi Pacte ait été censuré par le Conseil constitutionnel, prévoit des prérogatives de contrôle accrues pour ces associations. Les courtiers IOBSP sont également concernés. Même si les réglementations ne sont pas strictement identiques, il y a clairement une uniformisation des régimes s’imposant aux intermédiaires financiers ou en assurances. Pour les distributeurs cumulant ces statuts réglementés, il est donc cohérent de mener de manière coordonnée les projets de mise en conformité.
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