Bertrand Rambaud (France Invest) : « L’attachement des Français à l’entreprise se prolonge dans leur épargne »
Vecteur de performance sur le long terme, le capital-investissement s’ouvre de plus en plus à la clientèle privée, notamment via l’assurance-vie et l’épargne-retraite. Alors que France Invest, l’association des sociétés de gestion spécialisées sur le secteur, fête cette année son quarantième anniversaire (quatre-cent-vingt sociétés adhérentes pour plus de 400 milliards d’euros d’actifs sous gestion), son président, Bertrand Rambaud, dévoile sa vision de cette démocratisation.
Profession CGP : Depuis quelque temps, l’offre ouverte à la clientèle privée s’élargit. Vous devez vous en féliciter…
Bertrand Rambaud : Tout à fait, ce mouvement était souhaité et nous nous en réjouissons. Cette ouverture du capital-investissement aux clients particuliers n’est pas propre à la France, mais est une évolution mondiale. Il est, par exemple, toujours intéressant d’observer les tendances aux Etats-Unis : outre-Atlantique, les particuliers et personnes fortunées sont la première source de financement de l’industrie. C’est une étape naturelle de maturité du secteur : le Private Equity a connu, ces quarante dernières années, une évolution progressive.
D’abord réservée aux investisseurs institutionnels, la classe d’actifs s’est ensuite ouverte aux grandes familles, notamment via les family offices, puis aux entrepreneurs détenant un patrimoine significatif. C’est sans surprise qu’elle s’ouvre à l’épargne individuelle en complément des autres classes d’actifs déjà accessibles. L’offre s’est également enrichie au fil des années – financement au capital de PME ou d’ETI, dette, infrastructure, marché secondaire, sans oublier le capital-innovation (venture capital)… –, permettant de créer des solutions sur mesure qui délivrent de la surperformance sur le long terme. Le capital-investissement est aussi au cœur des enjeux de notre temps : transition écologique, digitalisation de l’économie… On constate également que cette ouverture du capital-investissement arrive à la conjonction de deux phénomènes : d’abord, d’une reconnaissance plus forte de l’entreprise, son rôle économique et social, et d’autre part l’avènement de la participation des salariés dans le capital de leur entreprise. L’entreprise n’est plus vue seulement comme un endroit où l’on travaille et où l’on fait carrière, mais aussi comme un vecteur d’épargne. Les Français entretiennent un lien de plus en plus fort avec l’entreprise : l’attrait pour le non-coté en est le prolongement.
L’accès au capital-investissement via le PEA ou le PEA-PME, l’assurance-vie et le PER à des fonds gérés pour le compte d’investisseurs institutionnels offre un alignement d’intérêts parfait entre toutes les parties. Après la loi Pacte qui avait initié ce mouvement d’ouverture de l’épargne, la loi Industrie verte est venue élargir l’offre de capital-investissement ouverte aux épargnants. Ces évolutions réglementaires ne sont pas seulement franco-françaises. L’Europe s’est également engagée dans cette voie. La réglementation Eltif 2 va donner les moyens à nos sociétés de gestion de s’adresser à un marché européen.
Dans cette perspective, France Invest plaide pour une adaptation des véhicules d’investissement français afin de les rendre compétitifs au niveau européen. Nous nous montrons plus largement attentifs à éviter toute surtransposition.
Ce mouvement est aussi une fierté pour notre industrie, et prouve sa maturité et son poids dans l’économie française, avec pas moins de 50 milliards d’euros investis par an en France ces dernières années.
Eu égard à la moindre liquidité de ces produits et aux risques associés, comment accompagnez-vous cette « démocratisation » ?
Ce mouvement positif et souhaité nous oblige également. Le capital-investissement est une classe d’actifs qui a ses spécificités en termes de typologies d’entreprises dans lesquelles il investit, de risques associés, d’horizon d’investissement, de rendement ou encore de liquidité. Dès lors, la pédagogie est centrale pour accompagner la montée en puissance du capital-investissement dans les patrimoines. Chez France Invest, nous menons un certain nombre d’initiatives dans ce sens envers les distributeurs. J’en citerai deux principales. Tout d’abord, nous avons une mission de formation reconnue des conseillers, sur les principes et les spécificités de la classe d’actifs. Ensuite, avec Bpifrance, nous avons créé un site Internet dédié qui vient expliquer comment est exercé notre métier, sur quels critères nous investissons, comment se construit la performance… (epargner-autrement.fr). Cela s’accompagne de nos autres missions de communication que nous menons depuis un certain nombre d’années de façon spécifique aussi bien auprès des investisseurs institutionnels, family offices que du grand public.
L’investissement en Private Equity passe principalement par l’assurance-vie et le PER, donc par les fonds evergreen… Faudrait-il rendre plus accessibles les fonds fermés ?
Les fonds evergreen ont su répondre à ce mouvement de marché et aux caractéristiques des investisseurs particuliers. Ils sont une solution adaptée au grand public, notamment au regard de leur horizon d’investissement et de la liquidité offerte grâce à des fenêtres de sortie organisée et au maintien dans ces fonds d’une poche de liquidité. L’autre enjeu pour l’épargne est la valorisation, avec la nécessité qu’elle soit appréciée de façon régulière. Il nous faut désormais faire grandir cette offre en proposant une palette de supports plus large et ainsi permettre aux épargnants de diversifier la nature des actifs dans lesquels ils investissent. Il convient de ne pas opposer les deux solutions : fonds fermés et fonds ouverts. Les deux doivent coexister pour répondre aux besoins et attentes des épargnants. Les solutions doivent être multiples pour s’adapter aux objectifs de chacun. Tout cela concourt à renforcer l’accès à la classe d’actifs, son poids, sa lisibilité. La dynamique est forte !
On note aussi l’émergence de fonds d’infrastructures qui attirent les épargnants.
La France dispose d’équipes remarquables en matière d’infrastructures. C’est un vrai savoir-faire qu’elle sait exporter au-delà de ses frontières, et les besoins sont considérables. Pour l’investisseur, ces actifs réels offrent un bon rendement, le plus souvent indexé sur l’inflation, et de la visibilité, avec des contrats à très long terme. Le rôle de notre industrie est primordial, à l’heure où les Etats n’ont plus les ressources budgétaires pour mener ces investissements. Les opportunités sont réelles pour les épargnants.
En revanche, les fonds de défiscalisation disparaissent peu à peu du paysage…
Ces fonds fiscaux ont eu le mérite d’exister. Ils ont permis aux épargnants individuels de se familiariser avec la classe d’actifs. Néanmoins, ces fonds fonctionnent avec de fortes contraintes d’investissement – géographique et/ou de typologie d’entreprise « investissable » –, justifiant l’avantage fiscal associé, mais qui, dans nos métiers, ne permettent pas nécessairement de définir un cadre idéal pour créer de la valeur.
Les formules actuelles sont plus saines, car elles permettent l’alignement d’intérêt entre investisseurs individuels et investisseurs institutionnels en allant chercher de la performance opérationnelle et financière.
Quel regard portez-vous sur le ralentissement qu’a connu le marché l’an passé ?
Notre industrie a connu dix belles années de croissance et se positionne aujourd’hui comme le leader en Europe continentale, avec huit mille entreprises accompagnées sur l’ensemble du territoire. 2023 a été une année de rupture, en raison de la hausse des taux. Cela s’est traduit par une baisse des montants investis, mais aussi des cessions et des levées de fonds, alors que le marché était nourri, jusqu’à fin 2021, par l’abondance de liquidité qui a suivi la crise sanitaire ; tout s’est mis à prendre plus de temps, sans pour autant s’arrêter, dans le sillage des conséquences de la guerre en Ukraine.
Cette année, notre industrie devrait repartir de l’avant avec de bonnes perspectives pour les cessions et les investissements car nous anticipons une stabilisation, voire une baisse, des taux d’intérêt. Cette meilleure visibilité devrait nous permettre d’avoir des perspectives plus positives, même si les levées de fonds devraient rester contraintes.
A plus long terme, je suis fondamentalement optimiste pour le secteur du capital-investissement. Nous sommes en effet l’une des principales réponses pour permettre aux entreprises de disposer des fonds propres nécessaires pour faire face à leurs grands enjeux en termes de croissance, de transition énergétique et de digitalisation. Par ailleurs, notre réponse n’est pas uniquement financière, mais repose aussi sur l’accompagnement quotidien que nous apportons aux dirigeants et à leurs équipes.
C’est-à-dire ?
Auparavant très financier, notre métier a évolué pour devenir plus impliqué d’un point de vue opérationnel dans les grandes mutations de notre économie, avec des équipes en support dédiées et le partage des bonnes pratiques. Cette plus grande immersion dans les entreprises – en nous positionnant comme des accompagnateurs, non pas comme des censeurs – témoigne de la confiance que nous portent les dirigeants. Cette évolution est positive pour l’ensemble de notre économie.
Nous épaulons les entreprises dans leur feuille de route de réduction des émissions et plus généralement d’amélioration de critères ESG, en cohérence avec le développement de l’entreprise, le plus souvent en liant la rémunération du dirigeant à ces facteurs extra-financiers. Nous aidons les entreprises à suivre les bons indicateurs et sommes convaincus que ces enjeux extra-financiers viennent influer sur la valorisation de l’entreprise. Une entreprise n’ayant pas opéré sa transition peut purement devenir invendable. Si les enjeux environnementaux sont primordiaux, le social est également un enjeu pour tous les acteurs économiques : mixité, parité, partage de la valeur… En parallèle des évolutions de la loi transposant l’accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur, nous nous sommes d’ailleurs engagés à mettre en place des accords d’intéressement dans les entreprises accompagnées. Par ailleurs, nous encourageons le développement de l’actionnariat salarié, encore trop faible aujourd’hui en France. Or les Français entretiennent un lien de plus en plus fort avec l’entreprise et celui-ci se prolonge dans leurs décisions d’épargne.
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