Virginie Fauvel (Harvest) : offrir le meilleur de la technologie
En moins de quatre années, Virginie Fauvel a profondément fait évoluer Harvest, le groupe doublant de taille grâce à différentes opérations de croissance externe notamment. Déterminée, la dirigeante ingénieur de formation ne compte pas en rester là avec l’accélération de son internationalisation ou encore l’intégration progressive de l’intelligence artificielle dans ses outils.
Profession CGP : Il y a près de quatre ans, vous passiez d’une multinationale, Euler Hermes, à une ETI, Harvest, qui avait été rachetée par un fonds d’investissement de Five Arrows, en février 2019. Pourquoi ce choix ?
Virginie Fauvel : Il est vrai que j’avais toujours fait carrière dans de grands établissements où j’avais mené différents projets très entrepreneuriaux, comme HelloBank ! Mais j’ai toujours souhaité franchir le cap de l’entrepreneuriat, et Harvest apparaissait donc pour moi comme une belle opportunité à saisir.
La décision de Brice Pineau et Jean-Michel Dupiot de me confier les rênes d’Harvest a été rapide ; et j’ai pu aussi apprécier la qualité de nos actionnaires, des personnes très aidantes et très élégantes, avec qui j’entretiens un très bon relationnel. A la fois ambitieux et respectueux, conformément à l’image que cultive Rothschild & Co, en France et à l’international, ils me laissent, avec mon comité exécutif, diriger l’entreprise et accélérer son développement en toute confiance.
Pourtant, la période était troublée, quand je suis arrivée en septembre 2020. En plein confinement, je n’avais pas la possibilité de rencontrer nos collaborateurs et nos clients. Dans ces moments très incertains, des transformations peuvent être menées en profondeur.
J’ai été séduite par la société qui reposait déjà sur un socle très solide, avec des équipes talentueuses. L’offre produit m’a impressionnée et la base commerciale était bien assise. Mais j’ai aussi pu identifier les différents leviers à activer pour renforcer et faire grandir cette entreprise, notamment en apportant les méthodes industrielles des grands groupes. Cela est aussi passé par l’entrée de nouveaux membres à notre comité exécutif et dans différentes équipes, aux profils plus internationaux et plus industriels. L’alchimie a fonctionné.
Quel chemin avez-vous parcouru depuis ?
Nous clôturons actuellement notre plan de développement baptisé « L’esprit de conquête 2025 ». Nous avons doublé de taille, en finalement peu de temps – trois petites années – et commencé à investir d’autres marchés européens, notamment l’Italie et le Luxembourg.
Pour cela, nous avons procédé à quatre acquisitions majeures en trois années : Fidroit en 2020, Quantalys en 2021, Feefty et ManyMore l’an passé. Ces rapprochements se passent vite – et bien –, car nous avons le plaisir d’intégrer des collaborateurs de haut niveau, ayant un bon état d’esprit, ce qui apporte une valeur ajoutée immédiate.
Du côté des effectifs par exemple, nous sommes passés de deux cent-soixante-dix à cinq cents personnes aujourd’hui, un chiffre que nous comptons doubler, d’ici 2028. Nous employons des collaborateurs aussi bien à Paris, Clermont-Ferrand et Sophia-Antipolis, qu’à Milan. Nous sommes fiers d’avoir autant recruté. Cent personnes rejoignent nos rangs chaque année, et je tiens à voir chaque candidat pour valider qu’il correspond bien à l’ADN et à l’esprit Harvest.
Cet été, nous bâtirons notre plan de développement à horizon 2028, qui a pour objectif de faire d’Harvest un champion européen, tout en reposant sur une technologie 100 % française. L’internationalisation de notre activité ne fait que de débuter.
Comment avez-vous fait évoluer l’offre d’Harvest ?
Nous avons beaucoup modularisé nos services, nos clients pouvant ainsi choisir les fonctionnalités qui correspondent à leurs besoins. Nous avons créé de nombreuses API, des passerelles informatiques pour que nos outils communiquent entre eux ou avec des solutions externes. Par ailleurs, nous avons également procédé à l’uniformisation de nos interfaces : toutes ont le même design pour une meilleure expérience utilisateur.
Nous avons également renforcé nos moyens en termes de cybersécurité, ainsi que nos infrastructures technologiques. La cybersécurité et la localisation des données, qu’elles soient patrimoniales et réglementaires, en France sont des enjeux primordiaux qu’un acteur de la dimension Harvest traite avec le plus grand soin. Ces sujets sont hyper-sensibles, et nos clients et les régulateurs sont de ce point de vue très exigeants. Ils n’auraient pu être mis en place sans avoir la taille atteinte par Harvest aujourd’hui. Il est essentiel de comprendre que dans le monde dans lequel nous opérons, pour servir de façon fiable et sécurisée les CGP, un acteur de la Tech doit nécessairement avoir une taille critique. Sans croissance, nous aurions mis les CGP en risque. Chaque année nous investissons des millions d’euros en recrutement, en cybersécurité et en innovation afin de rester le partenaire préféré des conseillers en gestion de patrimoine.
En France, nous couvrons bien l’ensemble des besoins de nos clients, mais nous pourrions réaliser quelques petites retouches, comme nous l’avons fait sur le segment des produits structurés avec l’acquisition de Feefty l’année dernière.
Dans un univers de la Tech en perpétuel mouvement, l’intelligence artificielle devrait profondément faire bouger les lignes, ainsi que celles du marché de la gestion de patrimoine…
Investir dans l’intelligence artificielle et nommer à la tête de la cellule Data Analytics & AI une femme, Mathilde Brousse, dans les équipes de notre directrice générale déléguée Delphine Asseraf, a été ma deuxième grande décision de PDG, après celle de fermer notre site au Maroc pour relocaliser notre activité et embaucher en France. Nous investissons massivement en R&D, pour plusieurs millions d’euros, et utilisons déjà l’intelligence artificielle dans nos outils en interne.
Or, investir dans l’intelligence artificielle suppose d’être suffisamment robuste pour pouvoir le faire. Et une société de Tech ne peut cesser d’investir…
Les CGP ont conscience de cette révolution. J’en rencontre plusieurs chaque jour, et ce sujet est systématiquement abordé. Dans le même sens, lors de notre dernière réunion de l’Apeci, une demi-journée était consacrée à l’intelligence artificielle.
L’IA va bientôt devenir une réalité pour nos clients, puisqu’elle va faire son apparition au sein de Fidnet, d’ici cet été, pour proposer une solution « survitaminée ».
Bien évidemment, d’autres projets sont en cours, et l’intelligence artificielle va irriguer l’ensemble des outils du groupe. Tout comme l’international, le développement de l’IA est prépondérant dans notre projet stratégique, à horizon 2028.
De manière plus globale, je suis convaincue que la France a toutes les armes en main, en particulier de belles écoles, pour être le leader européen de l’IA et du digital. D’ailleurs, je copréside la commission numérique et innovation du Medef : je donne de mon temps aux entreprises sur ces sujets afin qu’elles prennent le virage de l’IA. La France et les entreprises françaises ne doivent pas manquer le train de l’intelligence artificielle. Dans cette course mondiale à l’innovation, c’est un enjeu de souveraineté, pour ne pas dire de vie ou de mort, pour les entreprises françaises.
Le déploiement de l’intelligence artificielle pourrait-il vous conduire à créer une activité en BtoC ?
Absolument pas ! Nous resterons des acteurs en BtoB : nous ne commercialiserons jamais de produits financiers en direct et nous ne serons jamais des conseils pour des investisseurs finaux. C’est d’ailleurs pour cela que nous n’avons pas repris les activités de conseil de Fidroit ou encore le site Investisseur Privé de Quantalys.
Notre rôle est d’aider les conseillers en gestion privée à ne pas se faire disrupter par l’IA et, qu’au contraire, ils restent solidement armés pour y faire face.
De quelle façon allez-vous procéder pour vous déployer en dehors de nos frontières ?
Nous comptons devenir une plate-forme européenne disposant d’une gamme de produits internationalisable. Nous avons des projets de M&A [Mergers & Acquisitions, fusions-acquisitions, ndlr] sur des produits ou des zones géographiques sur lesquels nous ne sommes pas présents.
Suite à nos précédentes acquisitions, nous disposons désormais d’une solide expérience dans les process à mettre en place pour faciliter les intégrations. Pour mener à bien cette ambition, nous disposons en interne d’une équipe M&A, ainsi qu’une équipe d’intégration.
Nous estimons être le bon acteur pour réaliser la consolidation du marché européen, lequel reste très fragmenté comme l’est encore le marché français. En effet, il n’existe pas de grand acteur comme Harvest sur le continent.
Quels pays ciblez-vous prioritairement ?
Nous comptons nous développer en mêlant croissance organique, pour renforcer notre solidité, et croissance externe, pour aller vite.
Dès lors, sur le plan de l’expansion géographique, nous avons ciblé trois priorités (Italie, Allemagne et Suisse), et nous abordons les marchés luxembourgeois et belge depuis la France. Néanmoins, nous restons attentifs aux mouvements de marché en Espagne, dans les pays Nordiques et de l’Est.
Après plus de cinq années au capital d’Harvest, il est l’heure pour Five Arrows de céder sa participation…
Il est possible que notre capital évolue en 2024, avec la reprise du groupe par d’autres partenaires spécialisés dans la technologie. Nous nous projetons dans cette nouvelle étape avec beaucoup d’enthousiasme. Five Arrows est un actionnaire absolument fantastique, qui a beaucoup apporté à Harvest.
En tant que dirigeant, comment opérez-vous pour insuffler votre dynamique de croissance auprès de chacun de vos collaborateurs ?
Outre le fait de rencontrer chaque nouveau collaborateur pour valider son embauche, j’attache une grande importance à communiquer régulièrement avec mes équipes sur notre stratégie et à instaurer un dialogue permanent.
Par exemple, tous les premiers lundis du mois, l’ensemble des collaborateurs est réuni pour une visioconférence de quarante-cinq minutes, durant laquelle nous partageons l’avancée de la stratégie du groupe et nous donnons les directions à suivre. Et tous les quinze jours, nous réalisons également une visioconférence d’une quinzaine de minutes sur l’actualité de l’entreprise : compte-rendu du Comex, deals en cours, projets… Les collaborateurs ont ensuite une dizaine de minutes pour s’exprimer et interroger les dirigeants. Autre élément, le Comex est régulièrement délocalisé dans les différents sites du groupe.
Il est pour moi capital que la direction soit proche des équipes et que ces dernières ne fonctionnent pas en silo, mais de façon globale.
Les chefs doivent être au milieu des équipes, en proximité, en écoute, pas seuls chez eux, en survêtement et en visio. Un leader doit incarner son leadership, l’habiter pour le transmettre.
Par ailleurs, Harvest est, par exemple, labellisé Great Place to Work depuis trois ans, et notre Comex composé de trois femmes et de trois hommes est à parité parfaite. Je suis également très attachée à limiter notre impact environnemental avec la mise en place de mesures très concrètes, comme la suppression du plastique, favoriser les déplacements en train, le développement des mobilités douces… Chaque année, nous finançons également des actions d’Emmaüs en France. Ces mesures peuvent parfois paraître symboliques, mais c’est très important de les mettre en place.
Vous opérez, il ne faut pas le nier, dans un univers très masculin…
J’ai étudié en école d’ingénieurs au sein d’une filière très scientifique, et ensuite j’ai évolué dans des comités de direction masculins. J’ai donc toujours été entourée majoritairement d’hommes, ce qui ne m’a pas gênée, au contraire, j’apprécie beaucoup la compagnie masculine. J’ai pu, parfois, ressentir une sorte de volonté de dominer de la part de certains hommes, cela m’a donné encore plus d’énergie pour être plus forte.
Je suis également très féministe et j’encourage dès que je le peux les petites filles à se lancer dans des études scientifiques. Ingénieur est un métier formidable : savoir comment volent les avions, comment fonctionne l’espace…
L’univers des mathématiques est un monde parfait, pur, qui me fascine. Je regrette vivement que le monde scientifique ne soit pas plus féminin, et je désespère que des jeunes filles passent leur temps sur TikTok ou à se faire les ongles plutôt que de résoudre des équations…
Vos réactions