Matthieu Bailly (Octo AM) : « Aucun actif n’a été épargné »
Matthieu Bailly, directeur général délégué et responsable des investissements de la société de gestion spécialisée sur la classe d’actif obligataire dont Amplegest a pris une participation majoritaire fin 2018, nous expose sa vision de l’évolution des marchés et ses conséquences sur la gestion de ses fonds.
Profession CGP : Deux semaines après que cette crise du coronavirus se répercute sur les marchés financiers, quels constats pouvez-vous tirer pour la classe d’actifs obligataire ?
Matthieu Bailly : Contrairement aux stress de marché que nous avons connu ces dix dernières années, l’ensemble des titres ont perdu de leur valeur. En effet, auparavant, on assistait à un fly to quality vers la dette souveraine. Si ce mouvement a pu être constaté dans un premier temps, le marché a lâché la semaine dernière. Aucun actif n’est donc venu compenser la baisse d’un autre.
Ces mouvements sont par ailleurs massifs car les injections de liquidités qui durent depuis dix ans se sont massivement portées sur les marchés obligataires. La stabilisation sera d’autant plus longue que les poids sur la balance sont lourds. Ces mouvements sont aussi déconnectés de la réalité par l’effet mécanique de certains fonds de taille très importantes, notamment les ETF, dont les exécutions sont automatiques, et par les effets de levier massifs de certains portefeuilles qui amplifient les mouvements.
Parallèlement, nous évoluons dans un marché particulièrement illiquide. Si cela avait été perceptible en 2016 et 2018, aujourd’hui cette moindre liquidité est criante. En conséquence, par exemple, pour une obligation à haut rendement, la différence entre le prix affiché pour un actif et le prix auquel il est traité peut être diminuée entre 5 et 10 %.
Comment expliquez-vous ces problèmes de liquidité ?
M. B. : Tous les acteurs sont orientés dans le même sens, ce d’autant plus que le marché accentue souvent les problèmes. Sur les marchés obligataires, les market makers du passé sont beaucoup moins présents. En effet, les banques, après plus de dix années de régulation, ont réduit leurs prises de risque pour des questions de solidité financière et sont donc moins actives. De même, les assureurs prenaient des positions lors des stress de marché car ils avaient une réflexion de leur investissement à long terme et en taux absolu. Or, ils restent aujourd’hui en retrait car les taux sont toujours bas. Par exemple, en 2008, Danone émettait une obligation à un taux de 6,4 % quand, la semaine dernière, le taux de son émission à 7 ans restait à 0.6 %... Autre exemple, l’écart de spread sur le taux High reste limité, entre 600 et 700 pb, contre jusqu’à 1600 pb en 2008. Ainsi, même si les valorisations chutent, les taux restent bas. De même, certains assureurs peuvent rester prudents pour préserver leur solvabilité, à l’image de Groupama dont le taux de solvabilité s’affichait en net repli mi-mars, passant de 178 à 150 % après seulement quelques semaines de crise.
Et comment expliquez-vous que la baisse des actifs obligataires soit généralisée ?
M. B. : Contrairement aux crises précédentes comme en 2008, où les banques étaient principalement mises à mal, à 2011 où la crise portait sur les pays du sud de la zone Euro, ou à 2016 qui a concerné les matières premières, la crise du Covid-19 touche soudainement tous les pays et tous les secteurs économiques. Aucun actif n’a donc été épargné et le marché manque de visibilité.
Quel regard portez-vous sur les mesures prises par les banques centrales ?
M. B. : Elles ont été fortes et rapides, contrairement à 2008. La nouveauté est que la méthode a changé avec de l’argent versé directement aux agents économiques, la monnaie hélicoptère, et non pas aux banques ou sur les marchés uniquement.
Le parallèle est souvent fait avec la crise de 1929. La situation n’a rien à voir : la Fed était à l’époque restrictive et le budget de l’Etat dans l’économie était limité à 10 % du PIB. Aujourd’hui, son poids est de 40 % et il est également très important en Europe, en particulier en France. Ce coussin de sécurité est loin d’être anodin.
Comment opérez-vous au sein de vos portefeuilles ?
M. B. : Les valorisations actuelles ne sont pas représentatives de l’économie réelle car elles reposent sur des flux souvent forcés. Nous revenons sur les fondamentaux. Sur les titres en portefeuille, notre principale préoccupation est de nous assurer que son émetteur peut passer la crise avec suffisamment de liquidités et de latitude. Pour cela, nous observons si la société dispose du cash nécessaire pour tenir une année avec un trimestre d’arrêt total de l’activité et donc rembourser sa dette.
C’est plus particulièrement le cas pour notre fonds obligataire à court terme, Octo Crédit Court Terme, dont le rendement actuel est autour de 4 % et qui s’il a perdu en valeur, peut avoir une force de rattrapage assez rapide avec des titres à maturité moyenne 1 an.
Pour nos fonds flexibles et à plus long terme (Octo Crédit Convictions et Octo Crédit Value), notre gestion s’attarde sur les dossiers qui sont le moins impactés, comme l’agroalimentaire ou les télécoms. Notre attention porte aussi sur les valeurs fortement impactées mais qui sont stratégiques pour les Etats comme Air France – qui devrait être soutenue par la France et la Hollande comme l’avaient été les constructeurs automobiles en 2009 - contrairement à d’autres entreprises plus petites, moins stratégiques et avec peu d’actifs tangibles.
Une note positive pour finir ?
M. B. : On nous prédisait l’éclatement du système financier en 2008 ; ou la mort de la monnaie unique en 2011… or l’économie et les marchés ont toujours survécu. N’allons pas jusqu’à l’excès !
Pour les investisseurs finaux, investir sur les marchés obligataire peut être porteur car, dans les crises passées, nous avons pu constater que le rebond se matérialise d’abord par les marchés obligataires, avec une recovery souvent importante.
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