Taxonomie européenne : tout ça pour ça ?
Par Laurent Chaudeurge, responsable de l’ESG, porte-parole de la gestion de BDL Capital Management
Pour la finance durable, 2022 était une année importante, celle de la première publication des entreprises sur leurs ratios d’éligibilité et d’alignement aux deux premiers objectifs de la taxonomie, l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.
Rappelons que la Taxonomie est une réglementation européenne qui répertorie les activités économiques contribuant à l’un des 6 objectifs environnementaux suivants :
- atténuation du changement climatique ;
- adaptation au changement climatique ;
- utilisation durable et protection des ressources aquatiques et marines ;
- transition vers une économie circulaire ;
- contrôle de la pollution ;
- protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes.
En 2022, une activité était « éligible » à la taxonomie si elle faisait partie de la liste des activités répertoriées par la commission européenne concernant les deux premiers objectifs cités ci-dessus. Pour qu’elle soit alignée, en plus d’être éligible elle doit :
- contribuer substantiellement à un ou plusieurs des six objectifs ;
- sans causer de préjudice important aux autres objectifs ;
- tout en respectant les normes sociales ;
- et en étant conforme aux critères d’examens techniques établis dans les actes délégués.
Pour donner un exemple : l’activité de transport automobile est éligible, mais l’activité de voitures à moteur thermique n’est pas alignée car elle nuit à l’atténuation du changement climatique. En revanche, l’activité de voitures électriques peut être alignée. Donc deux constructeurs automobiles peuvent chacun avoir 100% de leur chiffre d’affaires éligible, mais si le premier ne fait que des voitures thermiques, il aura 0% de son cchiffre d’affaires aligné et le deuxième peut avoir 100% de son cvhiffre d’affaires aligné s’il ne fait que des voitures électriques.
L’objectif de la taxonomie est de flécher les financements vers des activités qui favorisent la transition vers une économie plus respectueuse de l’environnement. A-t-il été atteint en 2022 ? Non. Notre certitude actuelle est que la taxonomie se résume à un simple exercice de reporting qui prend (trop) de temps aux entreprises comme aux investisseurs.
C’est la conclusion de nos travaux récents. Un champ d’application trop étroit et un souci sur la fiabilité et la pertinence des chiffres nuisent à la crédibilité de la taxonomie.
Sur un échantillon de 1160 entreprises européennes, seules 485 ont plus de 5% de leur chiffre d’affaires éligible à la taxonomie. Elles ne sont plus que 279 à avoir plus de 5% de leur chiffre d’affaires aligné. Autrement dit, plus de 75% de l’économie européenne « n’est pas concernée par le sujet ». Les chiffres publiés ont donc un intérêt macroéconomique très limité.
Et ces chiffres montrent en plus des problèmes de cohérence ou d’interprétation. Trois exemples suffisent pour illustrer ce propos. Le premier porte sur la comparaison entre Vivendi et Publicis, deux sociétés du secteur media dont on s’attendrait à ce que leurs données taxonomie soient semblables. Il n’en est rien, le pourcentage du chiffre d’affaires éligible de Vivendi (61,3%) est près de cinq fois plus élevé que celui de Publicis. Vivendi bénéficie du fait que les activités de production de contenu sont éligibles à la taxonomie alors que les activités de création et de communication publicitaires de Publicis ne le sont pas. Est-ce que les activités de Vivendi peuvent contribuer cinq fois plus à l’adaptation et à l’atténuation du réchauffement climatique que celles de Publicis ? il est permis d’en douter…
Le deuxième exemple porte sur la comparaison entre Allianz et Axa, deux assureurs qui doivent publier le pourcentage de leurs primes d’assurance éligibles à la taxonomie. Allianz adopte une approche « généraliste » en indiquant que la plupart de ses contrats assurent tous les risques et donc le risque climatique même si ce n’est pas spécifié. Il en déduit que 76,7% de ces primes sont éligibles à la taxonomie. Axa interprète la question différemment et ne comptabilise que les contrats où une assurance contre le risque climatique est explicitement mentionnée. Axa calcule que 35% de ses primes sont éligibles. Est-ce que les primes d’Allianz contribuent deux fois plus que celles d’Axa a l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique ? la réponse de « bon sens » est probablement non…
Enfin, le troisième exemple est celui de NIBE. Ce groupe suédois fabrique des pompes à chaleur, l’équipement le plus emblématique de la rénovation énergétique des bâtiments. Pourtant il indique que son chiffre d’affaires aligné à la taxonomie est de 0% car il n’est pas sûr que les spécifications de ses produits correspondent aux critères techniques exigés par la commission européenne.
La taxonomie va s’améliorer en ajoutant des secteurs et des nouveaux critères techniques pour les quatre autres objectifs environnementaux. Mais en même temps elle va se complexifier. En général, ce sont les concepts simples et pertinents qui se développent rapidement et deviennent des standards de marché. Malheureusement, la taxonomie fait les choses à l’envers, elle est compliquée et son champ d’application est limité.
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