Sisyphe et les marchés
Par César Pérez Ruiz, responsable des investissements et CIO Pictet Wealth Management
Les dieux de l’Olympe avaient condamné Sisyphe à éternellement pousser jusqu’au sommet d’une colline un rocher voué à retomber sans cesse. Aujourd’hui, les dieux Marchés soumettent les banquiers centraux du monde entier au même châtiment : chaque fois que les banques centrales tentent de normaliser leur politique monétaire, ils les obligent à repasser en mode accommodant et à abaisser leurs taux d’intérêt. Car nous sommes désormais entrés dans l’ère de la «slowbalisation», autrement dit de la mondialisation au ralenti.
L’économie mondiale avance en effet avec un seul moteur : le secteur manufacturier étant en perte de vitesse, les services assurent seuls l’équilibre. Poussés par le populisme, les dirigeants maintiennent pour l’heure les services à flot grâce à des mesures de relance budgétaire, et les banques centrales font tout ce qu’elles peuvent pour soutenir leurs économies respectives. Les risques de récession sont certes faibles, mais une décélération des bénéfices n’est pas à exclure si l’activité économique ne s’accélère pas au deuxième semestre ou si aucun accord commercial n’est signé entre la Chine et les Etats-Unis. De fait, alors que la vigueur de l’économie est plus étroitement liée aux services, le sort des marchés actions est généralement lié au secteur manufacturier. Nous restons donc relativement confiants pour l’heure concernant la croissance mondiale, mais les actions devaient se retrouver à la peine dès lors qu’une expansion des multiples paraît difficile dans un environnement caractérisé par une faible progression des profits. Les banques centrales s’efforceront certes de restaurer la confiance des consommateurs afin de prolonger le cycle, mais les actions pourraient avoir du mal à reproduire les bonnes performances récentes. L’absence de frénésie constitue pour les marchés un atout majeur. En effet, ce rallye a ceci d’unique que les marchés actions ont atteint des records, alors que 150 milliards de dollars sortaient des fonds en actions.
Les politiques monétaires semblent prises en étau dans un cycle à la fois plus souple et plus long, renforçant l’attrait des instruments de crédit, sur une base ajustée du risque notamment. La Fed dispose encore d’une certaine marge de manœuvre, mais la Banque centrale européenne et la Banque du Japon ont une boîte à outils monétaire moins bien garnie. Le dollar pourrait donc fléchir, ce qui continuerait à soutenir les cours de l’or et les monnaies des marchés émergents. Il y a donc peu de chances que les « dieux Marchés » libèrent les banques centrales et autorisent une normalisation des politiques monétaires. Et si des politiques monétaires nouvellement accommodantes ne débouchent pas sur de la croissance, il faudra s’attendre à ce qu’un nombre toujours plus grand de gouvernement populistes optent pour de nouvelles mesures de détente budgétaire directes. Alors que la campagne électorale en vue des élections présidentielles américaines est sur le point de débuter, il sera intéressant de voir quelles mesures le ou la candidate démocrate va présenter, notamment à l’heure où la « Théorie monétaire moderne » revient au cœur des débats.
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