Quasi-usufruit : la voie est ouverte
Par Jean-François Lucq, responsable de l’ingénierie patrimoniale chez KBL Richelieu
Deux décisions de jurisprudence viennent récemment de clarifier le quasi-usufruit, tant sur le plan fiscal que civil. De quoi satisfaire les experts en stratégie patrimoniale.
L’usufruit portant sur une somme d’argent relève d’un régime particulier, décrit à l’article 587 du Code Civil. Celui-ci stipule que l’usufruitier a le droit de se servir des sommes en cause, à charge d’en restituer l’équivalent en fin d’usufruit. Appelé par les praticiens quasi-usufruit, ce régime n’a pourtant rien de commun avec un usufruit classique, car l’ex-usufruitier dispose, en fait, des sommes en cause librement, comme un propriétaire, et doit simplement restituer le capital à terme.
Concernant les libéralités portant sur des titres d’entreprises, avant la cession de ceux-ci à des tiers, le quasi-usufruit présente un certain nombre d’avantages comparatifs par rapport à un usufruit classique : après la cession, le donateur ne voit pas ses droits limités aux seuls revenus d’actifs acquis en remploi. De plus, dans un usufruit classique, les arbitrages ultérieurs d’actifs démembrés nécessitent d’obtenir l’autorisation du nu-propriétaire, alors que le quasi-usufruitier reste seul maître de ses décisions.
Enfin, jusqu’au 31 décembre dernier, la cession du bien démembré suivie d’un report du démembrement (par subrogation) sur des biens nouveaux était soumise à un régime fiscal moins favorable qu’en cas de quasi-usufruit, avec perte des abattements pour durée de détention.
Des freins désormais levés
Clairement avantageux sur le plan civil, la donation avec stipulation de quasi-usufruit en cas de cession n’avait, jusqu’à présent, pas connu un essor considérable, car elle présentait un écueil fiscal. Le fisc considérait, jusqu’alors, qu’avec le quasi-usufruit, le donateur ne s’était en réalité dépouillé d’aucun patrimoine, et qu’il n’avait aucune intention autre que fiscale (éviter d’acquitter l’impôt sur la plus-value de cession). Elle mettait en œuvre la procédure de répression des abus de droit, avec rétablissement de l’impôt au taux plein, plus pénalité égale à 80 % de l’impôt.
Dans une décision du 10 février 2017, le Conseil d’Etat a mis fin à cette interprétation, à l’évidence exagérée. Confrontée à une situation de quasi-usufruit classique, la juridiction a précisé que même si le quasi-usufruit n’était pas assorti de garanties au profit du nu-propriétaire, il ne constituait pas un abus de droit. Le dirigeant d’entreprise peut donc en toute tranquillité initier de telles opérations avant la cession, en prenant toutefois la précaution d’indiquer clairement dans l’acte initial de donation en démembrement l’application du quasi-usufruit aux liquidités issues de la cession ultérieure du bien démembré, car le choix d’un quasi-usufruit après la cession est une opération prêtant le flanc à la critique, pouvant même être qualifiée d’abus de droit (CE, 14 octobre 2015).
Si le sujet s’est complètement éclairci sur le plan fiscal, il a connu un tour nouveau sur le plan civil, dans le cas particulier de sociétés à capital démembré. En effet, lorsque l’AG des associés a décidé de mettre en réserve le résultat de l’année, celui-ci appartient (selon la majorité de la doctrine) au nu-propriétaire, car il accroît le capital. En cas de distribution ultérieure, la doctrine considérait toutefois que le nu-propriétaire devait laisser l’usufruitier exercer son droit d’usufruit sur les sommes en cause, et, s’agissant d’une somme d’argent, ce droit serait un droit de quasi-usufruit.
Dans un arrêt récent, la Cour de Cassation vient toutefois d’indiquer que pour elle, le résultat mis en réserve par décision de l’AGO, puis ultérieurement distribué, appartient au nu-propriétaire. Les praticiens se divisent sur le sens à donner à cet arrêt, certains y voyant un arrêt de principe mettant fin aux stratégies de quasi-usufruit, d’autres y voyant simplement une décision d’espèce ne jugeant que d’une situation de conflit entre usufruitier et nu-propriétaire.
En dehors de ce cas de figure particulier, la donation avec réserve de quasi-usufruit, portant tant sur les titres d’entreprise que sur les titres boursiers voit aujourd’hui son régime clarifié et sécurisé.
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