La facturation d’honoraires, pourquoi ?
Par Olivier Rozenfeld, président de Fidroit
Il est un fait, aujourd’hui couramment admis, que le modèle économique des professionnels de l’intermédiation va connaître des perturbations. Il en va de même pour d’autres, comme les professionnels libéraux du conseil, qui devront réinventer partiellement le leur.
Cet enjeu doit être appréhendé avec la temporalité qu’il impose. Le premier téléphone portable date des années 1980 (!). Comme tout processus, il y a une phase d’amorçage, puis d’accélération et enfin la généralisation. « Gardons conscience que ce n’est pas parce que c’est long que c’est lent. Ne confondons pas distance et vitesse » (Jérôme Clarysse de RCA lors d’une keynote pour les experts en gestion).
Chacun doit s’emparer dans les meilleurs délais de ce sujet. Ne subissons pas l’avenir, fabriquons-le. Toute la difficulté, et je le sais, c’est d’investir dans le futur tout en préservant le présent. Objectif d’autant plus délicat que l’ensemble des acteurs, professionnels comme clients, ont des maturités différentes en la matière.
Nous le savons, et aucun d’entre nous ne peut assurément avoir été étranger à cette forme de réaction : nous sommes prêts à changer, mais rien ne doit changer (!) (1). Or il est indispensable de bouleverser nos habitudes. Sortir de nos zones de confort n’est pas naturel (2).
Nous devons pourtant être les moteurs de cette évolution et nous devrons être opiniâtres. Persévérants, car c’est difficile pour le consommateur : cela ne doit pas être plus cher, ni moins performant, et avec le même bien-être. Il faut donc créer de nouveaux repères.
Constat
Il est nécessaire de pouvoir évoluer tout en préservant la relation clients. Différentes étapes sont donc indispensables pour tenir compte des réalités de marché.
Cependant, il apparaît, comme inéluctable que la part d’honoraires, dans la formation de la rémunération, va (devra) croître. Les professionnels sauront-ils s’adapter ? Nous pourrions observer dans un avenir proche deux types d’attitudes selon que ces acteurs du marché adoptent un raisonnement court-termiste ou qu’ils se projettent sur le moyen terme ! Dit autrement, certains seront actifs, d’autres réactifs.
Or la part des honoraires plafonne depuis de nombreuses années si je concentre mon analyse sur les honoraires… de conseil.
Pour autant, nous sommes en train de changer de paradigme. Nous passons d’une économie transactionnelle à une économie servicielle. Loin d’y voir un simple effet de manche, il faut au contraire en tirer tous les enseignements. Tout produit doit être proposé comme un
service ! Pour prospérer, les professionnels qui ont fait et font de formidables efforts pour se doter des compétences requises, ne pourront pas indéfiniment, laisser le soin à d’autres, une fois des conseils oraux prodigués, de concrétiser ce qu’ils ont imaginé sans y prendre une part plus active. Le risque serait sinon de rester dans le couloir de simples « commercialisateurs ». Ils pénaliseraient alors le bel avenir qui pourrait leur être promis.
Dans cet environnement, nous sommes votre partenaire de demain à vos côtés dès aujourd’hui.
Une quasi-obligation : « le pourquoi » ?
Les coûts de production ne cessent de s’accroître avec des charges nouvelles souvent stériles pour la création de chiffre d’affaires supplémentaire. Et cela dans une période où les attentes des clients sont croissantes. Il est alors dangereux de n’avoir qu’un positionnement de « commerçant », c’est-à-dire vivant uniquement sur des commissions. Ce serait alors une fuite en avant qui éloignerait le client du professionnel. Le niveau de prestation qu’un professionnel doit promettre n’est plus compatible, en termes d’image et donc d’argumentation commerciale, avec du 100 % commissions. Au contraire, son rôle n’est plus de vendre, mais de créer un haut niveau de confiance avec son client et de faire preuve de pédagogie. Le tout englobé au sein d’un mandat qui dépasse la qualité de CIF en jouant un rôle plein, entier, transversal de conseil, de suivi, qui illustre la complexité du métier. Il va de soi alors que la personnalisation sera une des valeurs portées par le cabinet.
Entre les contraintes de ratios des compagnies, la baisse des rendements, les « clean-share » et bien d’autres exigences, les professionnels ont une formidable opportunité, avec le market-timing actuel, pour faire évoluer leur positionnement qui rassure définitivement le client de leur communauté d’intérêts.
Facturer son client du temps qu’on lui consacre en qualité de conseil, c’est aussi un moyen de réduire son aléa. Aléa tenant aux commissions associées à une opération commerciale, tout à fait hypothétique en début de relation. Ce mouvement est naissant. Au-delà de la réglementation vécue comme un « mal nécessaire » qui fait dorénavant partie du process commercial, beaucoup se concentrent sur la préservation des intérêts globaux de leurs clients en développant une activité de conseil en organisation patrimoniale.
L’acte de conseil suppose de l’autonomie, c’est ce que Fidroit apporte (3). Il se conjugue mal avec des exigences de production imposées aux distributeurs, dont eux-mêmes ressentent qu’il faut s’en libérer. Quand bien même, le CGP restera un conseil distributeur ou un conseiller « indicateur »… Pour conclure cette première partie, il faut donc admettre que pour passer de la vente du professionnel à l’achat
du client, de la rentabilité du produit à la valeur ajoutée du professionnel, il faut des contreparties à ces réalités – au moins avec les futurs clients – pour réussir à muter progressivement.
Contraintes : les conditions
Evoluer suppose de changer d’espace stratégique, de culture. Ce n’est pas évident. Mais si certains devaient le vivre comme une prise de risque, elle sera payante à n’en pas douter. Dépasser l’exercice de ses missions traditionnelles est indispensable. Ne plus être en silos pour être en interaction avec les compétences d’autres, ne plus se dire que dans 100 % des cas la réponse se limitera à un produit… Les « habitudes » de la profession ont amené les clients à oublier le niveau de service puisque celui-ci était accessoire à la création de marge et n’était pas un élément de création de marge. Il n’était pas valorisé par les CGP. C’est donc toute une chaîne qui doit être rééduquée : le client tout autant que… le professionnel.
Il existe des barrières cognitives bien que le « vouloir d’achat » existe. Pour transcender les barrières culturelles, il serait judicieux de former les clients. Un, parce qu’ils achètent plus ce qu’ils comprennent, deux, parce qu’ils mesureraient davantage la complexité de ce métier. Ils accèdent au savoir grâce au digital, notamment, alors que ce sont les professionnels qui ont la compétence. Et ce n’est pas la même chose !
La Cour de cassation (23 septembre 1994) a rappelé que le métier de CGP est un métier de conseil et qu’il repose sur ce professionnel une obligation spécifique de conseil. Elle a, à cette occasion, montré qu’elle a une vision autonome de la mission de CGP, celle-ci étant différente de celle d’un CIF, d’un courtier ou d’un agent général. Vous le voyez, la Cour de cassation ne s’arrête pas à l’absence de statut. « Sa mission est de délivrer un conseil fondé sur une approche globale ». Elle précise que la vente de produits ne doit être qu’un accessoire du conseil et qu’une stratégie patrimoniale ne doit pas être menée « soit directement par l’orientation vers des produits de placement, ni indirectement ». La définition du principal et de l’accessoire est très claire pour la Cour de cassation.
Aussi, ce sont bien les modes opératoires et incidemment le modèle économique qui seront le vecteur du changement à venir.
Il m’apparaît raisonnable de revenir aux fondamentaux. Ce qui est « engageant », chronophage, qui demande des connaissances doit être monnayé. Cela suppose un mode de présentation ad hoc de l’activité. Je suis rassuré en constatant que beaucoup se saisissent de cette nécessité. Beaucoup s’emploient nouvellement à structurer leur offre de conseil, à en calibrer la valeur en lui donnant une substance et repositionnent le produit d’investissement comme une des possibilités d’intervention du cabinet, réduisant alors leur dépendance économique.
C’est aussi à un changement de la hiérarchie des compétences auquel il convient d’aboutir. Cela suppose un peu de formalisation. Nous sommes prêts à payer notre médecin, pas nécessairement notre pharmacien, y compris lorsqu’il nous conseille, décrypte, éclaire… Où se place le CGPI ? La présence croissante de la « techno » va permettre aux professionnels de consacrer plus de temps à leurs clients, de leur apporter de nouveaux services. Ce market timing associé à la chaleur ajoutée du professionnel doit être l’occasion d’établir sur des bases nouvelles les relations contractuelles avec les clients.
Pour conclure cette deuxième partie, les clients n’assumeront des honoraires, qu’auprès des professionnels qui augmenteront leur valeur ajoutée. C’est donc un choix stratégique à faire. Certains vont casser leurs prix…
Pratiquement : le comment ?
Tout en invitant les acteurs à la réflexion, reconnaissons un déficit en matière de formations qui devraient apporter des réponses métiers. Elles sont trop concentrées sur des dimensions techniques alors que nous vivons des changements structurels importants. Segmenter, segmenter, segmenter, là est une étape indispensable du changement pour apporter les bonnes réponses aux bons profils. La population des « Millennials », par exemple, imposera le digital comme mode de relation.
Les professionnels y sont-ils prêts ? D’autres attendront une approche « palace » avec beaucoup de services intégrés, packagés… Ce qui exige un travail sur l’expérience et le parcours client : fluidité, instantanéité, personnalisation…
Il faut créer de nouvelles formes de conventions avec les clients, comme un document au sein duquel sera rendu visible ce que les clients ne voient pas.
Mettre en lumière, par exemple, le travail nécessaire à l’élaboration de reportings que le conseil en gestion de patrimoine s’engage à leur envoyer périodiquement. Le suivi sera le témoin de leur capacité à accompagner les clients sur la base d’un conseil récurrent où seront abordées toutes les « petites douleurs » qui jalonnent des parcours de vie. Cela ouvre la perspective de gestion par projet et horizon.
Il est essentiel de dissocier plus clairement deux phases. Celle de conseil et celle attachée à la dimension transactionnelle. Une relation claire, saine, structurée parfaitement identifiée par les clients doit être un marqueur du process qui facilitera votre positionnement. Cela revient à structurer le conseil comme un produit. La phase de conseil pourrait intégrer l’analyse critique des contrats qui n’ont pas été commercialisés par le professionnel si le client est mal suivi par ailleurs. Ce travail mérite honoraires. Les plus audacieux profiteront du passage du fond en euros vers des unités de compte pour montrer l’importance du suivi, de l’allocation d’actifs pour solliciter des honoraires en lieu et place d’une rémunération traditionnelle sous forme de commissions, de frais d’arbitrages… Enfin et indéniablement, l’externalisation va constituer une des solutions ; nous le constatons déjà à Fidroit avec un nombre de demandes qui se multiplie en la matière. En effet, sensibiliser le client, communiquer auprès de lui, fabriquer les réponses, les restituer suppose parfois un soutien externe. l
1. Voir la publicité de la Renault Zoé dont le message est symptomatique de cette contrainte : « rien ne doit changer pour que tout change ».
2. La période de confinement en est une douloureuse illustration pour certains.
3. Avec nos offres digitales qui permettent notamment de formaliser des services qui deviendront monnayables..
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