Biens divers : un champ d’application sans limite ?
Par Philippe Glaser, avocat associé Taylor Wessing
La notion de biens divers a longtemps souffert d’une définition pour le moins approximative et confuse donnant lieu à des interprétations doctrinales divergentes. On ne saurait bien évidemment reprocher au législateur d’avoir voulu à l’origine protéger les investisseurs de placements aléatoires ne bénéficiant d’aucune protection particulière.
Il faut tout de même convenir que le texte d’origine sur les bien divers mis en œuvre par la loi du 3 janvier 1983 sur le développement des investissements et la protection de l’épargne a entraîné de nombreux doutes sur son champ d’application.
On ne sera, d’ailleurs, pas surpris de relever que dans la plupart des cas soumis à la commission des sanctions de l’AMF, les professionnels cités ont contesté tant l’application des textes gouvernant la matière que la compétence de cette juridiction. L’AMF a elle-même revendiqué à diverses reprises, au travers de communiqués de presse, son incompétence à protéger ceux qui s’aventuraient dans des investissements hasardeux.
Contours et interprétations
Le 2 mai 2011, l’AMF diffusait ainsi un communiqué indiquant avoir constaté « le développement d’offres émanant d’acteurs qui proposent des investissements, au rendement annoncé parfois flatteur, dans des secteurs aussi divers que les œuvres d’art, les panneaux solaires, les timbres, les lettres et manuscrits ou autres secteurs de niche. L’AMF souhaite rappeler aux épargnants que ces secteurs ne sont pas tous soumis à une réglementation spécifique autre que celle du Code de la consommation et du Code civil. » L’AMF reconnaissait tacitement son incompétence, considérant que les dispositions du Code monétaire et financier (CMF) régissant les produits financiers, mais aussi les biens divers, ne trouvaient pas à s’appliquer.
La même autorité rappelait dans un communiqué le 12 décembre 2012 que les biens qu’elle qualifiait d’atypiques (lettres, manuscrits, œuvres d’art, panneaux solaires, timbres, vin, diamants, etc.) ne bénéficiaient pas de la protection des instruments financiers sans considérer qu’ils pouvaient rentrer dans la catégorie des biens divers. C’est dire que l’AMF était elle-même incapable de fixer les contours de cette notion !
Enfin, selon le communiqué de presse du 26 novembre 2014, l’AMF indiquait, en réplique aux assertions pour le moins inexactes de la société Aristophil, que l’activité de cette dernière « n’entre pas dans le champ de compétence du régulateur financier, et qu’elle [l’AMF] n’a ni agréé, ni visé, ni enregistré des produits de cette société. » L’autorité de tutelle précisait qu’elle alertait « régulièrement les investisseurs des risques des placements dits atypiques, et notamment les lettres et manuscrits, qui ne sont pas soumis à la réglementation protectrice des instruments financiers ».
Cela n’avait pas empêché la même AMF, cette fois-ci par la voix de sa commission des sanctions jugeant de faits portant sur des œuvres d’art, d’entrer en voie de condamnation le 7 avril 2014 et de sanctionner les différents intermédiaires ayant participé à l’opération dite Marble Art Invest ; l’auteur de ces lignes avait pourtant relevé une telle contradiction entre cette sanction et ces communiqués. Cette décision avait d’ailleurs été soumise à la censure du Conseil d’Etat où une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) avait été soulevée, les requérants considérant que les dispositions de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen avaient été violées, le législateur n’ayant pas selon eux défini les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire. En vain.
On relèvera enfin que la société Signatures (qui proposait à des particuliers d’acquérir une œuvre d’art ou une collection d’œuvres d’art avant de pouvoir les revendre au terme d’une période déterminée avec un prix majoré de 7,5 %), sanctionnée par la même autorité dans une décision du 13 novembre 2018, évoquait, elle aussi, ce communiqué de presse de 2014 en rappelant à la commission des sanctions que l’AMF avait affirmé ne pas être compétente pour réguler les œuvres d’art. La loi Hamon de 2014 a mis un peu d’ordre dans ce qui apparaissait alors comme un texte abscons et pour le moins critiquable, tant il portait atteinte au principe de légalité des peines. Malgré cela, ce texte est encore source aujourd’hui d’incompréhensions ou de doutes. On reviendra ici sur la définition des biens divers et sur les obligations liées à ce régime propre qui nécessitent une vigilance des promoteurs et distributeurs de ces placements.
La définition des biens divers
La loi du 3 janvier 1983 avait institué, à l’époque de la Commission des opérations de Bourse (COB), un nouveau régime de protection pour les placements non financiers. C’est le régime des biens divers I que l’on connaît aujourd’hui par opposition au régime complémentaire instauré par la loi Hamon de 2014. Le législateur avait prévu à l’origine, non pas la création d’un statut d’intermédiaire en biens divers, mais plutôt une définition de l’activité d’intermédiation en disposant qu’est intermédiaire en biens divers : « 1. Toute personne qui, directement ou indirectement, par voie de publicité ou de démarchage, propose à titre habituel à des tiers de souscrire des rentes viagères ou d’acquérir des droits sur des biens mobiliers ou immobiliers lorsque les acquéreurs n’en assurent pas eux-mêmes la gestion ou lorsque le contrat offre une faculté de reprise ou d’échange et la revalorisation du capital investi ;
2. Toute personne qui recueille des fonds à cette fin ;
3. Toute personne chargée de la gestion desdits biens. »
La définition de « l’intermédiaire » a ainsi trait, non pas à un statut particulier, mais à une activité. Autant dire que certains professionnels qui n’imaginaient pas tomber sous le coup de cette réglementation ont été surpris de découvrir un texte d’interprétation si large.
La définition de cette activité au travers de la personne qui y participe est, en effet, plus large que l’on pourrait l’imaginer ; sont ainsi visés ceux qui initient l’opération, ceux qui la commercialisent (la plupart du temps des CIF), et ceux qui fournissent leur concours à l’opération, soit en recueillant les fonds (dans l’affaire Marble art, il s’agissait d’un huissier de justice qui a été qualifié d’intermédiaire en biens divers) soit en gérant les biens (au travers de conventions de gestion ou de garde). Tous ne sont pas des distributeurs, mais appartiennent à une chaîne de professionnels débouchant sur la commercialisation d’un produit non financier. Le législateur a cependant pris le soin de préciser que ces dispositions ne s’appliquaient pas aux opérations déjà régies par des dispositions particulières et notamment aux opérations d’assurance, aux opérations de crédit différé… Le texte dans sa version actuelle précise que tombent sous le régime de l’intermédiation en bien divers tous ceux qui concourent à une opération présentée ou commercialisée « par voie de communication à caractère promotionnel ou de démarchage » (L. 551-1 du CMF).
La notion de communication à caractère promotionnel dans le cadre de la proposition de biens divers n’est pas définie, mais on peut s’inspirer de celle retenue dans le cadre de l’offre au public de titres financiers. Il s’agit ainsi d’une communication qui présente une information suffisamment complète et précise pour permettre à un investisseur raisonnable de porter une appréciation sur l’opportunité de participer à l’opération projetée et pour pouvoir matériellement et concrètement acquérir les titres proposés. Le support de présentation du produit doit faire l’objet d’une diffusion auprès d’un ou plusieurs investisseurs potentiels et préciser notamment la nature du produit à souscrire, le montage proposé et les possibilités de rendement.
Dans l’affaire Signatures, la Commission des sanctions a considéré qu’une brochure informative présentant l’état de l’art, mais surtout une description de son offre et la possibilité d’entrer en relation avec elle, constituait une communication à caractère promotionnel (décision AMF du 13 novembre 2018). Bien que le (II) de l’article L. 551-1-1 du CMF ne reprenne pas les termes du (I) sur la nécessité d’une communication à caractère promotionnel, il semble que la condition soit la même et que dans certaines hypothèses, il soit tout à fait possible de proposer à la souscription ce type de placement dès lors qu’aucune publicité ou communication de nature promotionnelle n’est intervenue. En effet, sans promotion de l’opération ni démarchage (faut-il retenir la définition issue de L. 341-1 du CMF ?), il n’y a pas lieu de soumettre l’opération au contrôle préalable de l’AMF, ni aux diverses dispositions contraignantes liées au régime des biens divers.
C’est sans doute le développement de placements très variés, mais aussi les doutes sur la rédaction du texte d’origine qui ont amené le législateur, en 2014, à élargir sensiblement le champ d’application de l’intermédiation en biens divers : « II. – Est également un intermédiaire en biens divers toute personne qui propose à un ou plusieurs clients ou clients potentiels d’acquérir des droits sur un ou plusieurs biens en mettant en avant la possibilité d’un rendement financier direct ou indirect ou ayant un effet économique similaire. »
Ce sont ce que l’on appelle les biens divers II ; le législateur a souhaité ici élargir le contrôle de l’AMF en considérant que toute opération de nature spéculative serait à présent soumise au contrôle de cette dernière. Avec cette seconde définition de l’activité d’intermédiaire en biens divers, on comprend que les hésitations sur la commercialisation des œuvres d’art, des manuscrits et autres biens ont disparu. Ce n’est ainsi plus la nature du bien (il n’existe finalement aucune exception), mais la finalité spéculative qui amène l’AMF à sanctionner certains professionnels comme elle l’a encore fait récemment en matière de commercialisation de fûts de vinaigre ou de produits vinicoles.
Dans sa décision du 18 décembre 2020, la commission des sanctions de l’AMF a jugé qu’un ensemble de contrats portant sur l’acquisition d’arbres auprès d’une société luxembourgeoise, la gestion de ceux-ci et la location d’un terrain en Malaisie pour les planter entraînait la qualification de biens divers I, le commercialisateur ayant exercé l’activité de « conseil portant sur la réalisation d’opérations sur biens divers » prévue au 4° de l’article L. 541-1 du CMF. La même décision a considéré que la commercialisation de fûts de vinaigre balsamique prévoyant une perspective de rendement à cinq ans de l’ordre de 12 % permettait de classer ces fûts en biens divers II. On le voit, le spectre des biens divers s’est singulièrement élargi et nécessite à présent pour ceux qui en favorisent la commercialisation la plus grande vigilance.
On rappellera à ce sujet que la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 est venue quasiment aligner les deux régimes des biens divers, puisque le législateur a décidé de soumettre les deux catégories d’intermédiaires aux opérations préalables d’enregistrement d’un document d’information ainsi que de leurs documents contractuels, obligation qui ne concernait jusqu’alors que les biens divers I. Cet élargissement de la compétence de l’AMF et de l’activité d’intermédiation en biens divers n’est pas resté sans conséquence sur le plan judiciaire puisque des investisseurs, lésés dans le cadre de souscription à des opérations de défiscalisation, n’ont pas hésité à faire valoir le bénéfice de cette législation devant les tribunaux.
Plusieurs décisions sont venues consacrer l’application du régime de l’intermédiation aux biens divers à des opérations où des investisseurs avaient souscrit à des parts de SEP, sans pour autant à vrai dire en tirer de véritables conséquences. La cour d’appel de Versailles a ainsi jugé dans un arrêt du 15 janvier 2018 que « si les investisseurs étaient titulaires d’un droit à une fraction de l’actif à partager, celui-ci était subordonné à la constitution d’une masse indivise destinée à l’acquisition du matériel de production d’électricité avec pour objet le bénéfice d’une réduction d’impôt et déterminée d’après le réemploi de l’investissement de chaque associé sans pouvoir de gestion de ceux-ci » ; en bref, l’opération de défiscalisation devait s’analyser en une activité d’intermédiation en biens divers.
La même juridiction a encore considéré dans une espèce ayant donné lieu à un arrêt du 3 mai 2018 que les dispositions du CMF applicables à l’activité d’intermédiaire en biens divers pouvaient être assimilées à celles des conseils en investissement financier avec la panoplie de contraintes que l’on connaît.
Aujourd’hui, il ne fait pas de doute que ceux qui participent à la commercialisation de biens divers doivent s’assurer de l’existence d’un numéro d’enregistrement obtenu par le professionnel à l’origine du dossier mais aussi des conditions de commercialisation définies par l’ensemble des textes gouvernant la matière.
Les obligations des intermédiaires en biens divers
La matière est bien évidemment particulièrement fournie ici et encadrée par les textes qui sont constitués principalement des dispositions du Code monétaire et financier, du Règlement de l’AMF (RGAMF) ainsi que de l’instruction de l’AMF de 2017 (DOC-2017-06) modifiée en 2020. Il convient, à titre préalable, de faire la distinction entre ceux qui initient l’opération et ceux qui la commercialisent. Ceux qui initient une opération portant sur des biens divers doivent suivre une procédure d’enregistrement auprès des services de l’AMF en déposant un dossier aux fins d’obtention d’un numéro d’enregistrement. Ce dossier doit comporter des informations justifiant que son auteur et les intermédiaires participant à l’opération présentent, en matière d’organisation, d’honorabilité, de compétence et d’expérience, des garanties suffisantes et adaptées à la nature de l’opération.
S’agissant plus particulièrement de l’expérience et de la compétence, le dossier doit comprendre les statuts des intermédiaires personnes morales, le CV des personnes physiques et des dirigeants intervenant dans l’opération avec une expérience d’au moins deux ans dans le domaine d’activité du sous-jacent de l’offre et, pour les intermédiaires personnes morales, le bilan et le compte de résultat des trois derniers exercices ou s’il s’agit d’un nouvel acteur, ses comptes prévisionnels sur les trois prochains exercices. Le dossier doit, en outre, présenter une description des moyens matériels, financiers et humains des intermédiaires concernés. Par ailleurs, le monteur de l’opération devra justifier auprès de l’AMF de la souscription d’une assurance de responsabilité civile professionnelle par les intervenants. L’initiateur à l’origine du dossier devra en outre joindre au dossier une description des procédures mises en place aux fins de prévenir la survenance de conflits d’intérêts de nature à porter atteinte aux intérêts des investisseurs.
On rappellera, en outre, l’ensemble des obligations liées à la souscription d’une assurance des biens sur lesquels les droits sont acquis et, pour éviter les quelques affaires qui ont placé les investisseurs dans des situations délicates, les obligations liées à la valorisation des biens au moment des souscriptions. Les tenues de registre ainsi que les mécanismes de liquidité sont, là encore, strictement contrôlés par l’AMF. A l’instar de ce que connaissent les CIF et intermédiaires en assurance, il est rappelé par le RGAMF la nécessité de mettre en place une procédure permettant de déterminer un profil-type d’investisseurs adapté au risque afférent au placement en bien divers.
Autant dire que l’intermédiaire qui initie l’opération, mais aussi celui qui participe à la commercialisation du bien, devra justifier s’être assuré de l’adéquation du placement aux besoins exprimés par l’investisseur. Ce sont l’ensemble de ces éléments que l’AMF contrôlera en suite du dépôt de dossier pour donner son aval au lancement de l’opération. Cette étape aboutissant à l’enregistrement de l’opération ne fera pas pour autant disparaître les contraintes mises à la charge des intermédiaires. Ceux-ci doivent en effet remettre au client potentiel un document d’information sur l’opération ainsi que le projet de contrat ; faute de cela, la résolution pourra intervenir, éventuellement accompagnée de dommages-intérêts.
Autant dire que si l’intermédiaire ne peut pas apporter la preuve d’une telle remise avant la signature du contrat, il fournira l’opportunité au client mécontent de l’opération ou de son efficacité économique d’en demander la résolution, celle-ci emportant nécessairement la restitution des sommes versées. Cet apport de la loi Pacte de mai 2019 vient renforcer de manière conséquente les droits des investisseurs dans le cadre de procédures judiciaires.
Naviguer avec prudence
On le voit, l’extension du champ de compétence de l’AMF a singulièrement alourdi la matière et contraint bon nombre d’intermédiaires comme les conseils en investissement financier à intervenir avec la plus grande prudence pour éviter des sanctions particulièrement sévères. On relèvera que les dirigeants personnes physiques ne sont plus épargnés à présent.
Pour finir, on rappellera que seuls sept dossiers ont donné lieu depuis 2014 à un numéro d’enregistrement ; autant dire qu’il faut s’attendre à de nouvelles procédures tant l’AMF ne cesse d’allonger la liste noire de ceux qui commercialisent des placements divers sans autorisation.
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