La gestion de patrimoine des sportifs de haut niveau
Par France Duponchel, présidente de l’association luxembourgeoise Letz Brain Booster
Connue sous le titre « Grandeur et décadence des Romains », l’œuvre de Montesquieu de 1734 évoque la Rome antique, ses forces politiques, ses abus et les causes de sa chute. A l’instar de cette œuvre, le constat et les chiffres sont impitoyables sur les faillites d’anciens joueurs professionnels.
La liste des joueurs qui se sont retrouvés sur la paille après avoir accumulé plusieurs millions d’euros durant leur carrière est longue : les footballeurs Ronaldinho, Brad Friedel, Lee Hendrie, Jason Euell, Carl Cort, Colin Hendry, Keith Gillespie, ou du tennisman Björn Borg…
Pour mémoire, le regretté Diego Maradona est décédé avec seulement 80 000 euros sur son compte ; Gyan Asamoah, le joueur africain le mieux payé, alors qu’il émargeait à plus de 250 000 euros par semaine lorsqu’il a signé pour la Super League chinoise avec le Shanghai SIPG en 2015, n’avait plus que 700 euros sur son compte en 2018.
En Angleterre, c’est près de 60 % des footballeurs qui se retrouvent ruinés dans les cinq années suivant la fin de leur carrière ; aux Etats-Unis, cela concerne 70 % des basketteurs de NBA ou 80 % des footballeurs américains en NFL. Des chiffres qui matérialisent bien la précarité financière post-carrière sportive de ces joueurs de talent.
La fin d’année 2022 fut intense pour le monde du football, avec un match de Mondial France-Argentine tout en rebondissement qui a sacré Lionel Messi. Avec un salaire de 92 millions de dollars et des contrats de sponsors de 34 millions de dollars, l’international argentin était, avant Mbappé, le joueur de foot le mieux payé au monde, totalisant 126 millions de dollars de revenus professionnels. Des salaires en hausse constante, car avec un salaire de plus de 100 millions d’euros nets par an, Kylian Mbappé, lui, fait désormais exploser les compteurs.
Le monde du sport draine beaucoup d’argent, des émoluments importants pour des sportifs leur permettant d’assurer très rapidement leur avenir et celui des leurs. Si la plupart profitent de salaires confortables, la durée limitée de leur carrière ne leur assure pas un avenir serein une fois les crampons raccrochés ou leurs raquettes au placard.
Une question d’entraînement à la gestion de patrimoine
Pour éviter de grosses désillusions, la gestion de patrimoine est devenue un élément presque incontournable qu’il faut qu’ils apprennent comme un entraînement, une stratégie de match. Ils doivent avoir un modus operandi mental, les clés pour être préparé : un patrimoine se gère comme une microentreprise, avec son actif et son passif, ses revenus et ses charges.
Une diversification patrimoniale
Il s’agit en même temps de réaliser une diversification des biens, de les faire fructifier au fil des ans, de remplir ses obligations (impôts, échéances de crédits à venir), faire face à un imprévu (voiture, travaux, achat, etc.) ;
Une dimension internationale
Au niveau international, les joueurs ont besoin d’experts à leurs côtés qui facilitent leur vie. Par exemple, un footballeur sera amené à déménager dans différents pays au fur et à mesure de sa carrière, en moyenne dans trois juridictions différentes. Ce qui diffère d’un joueur de tennis et/ou d’un golfeur avec des organisations patrimoniales différentes, il faudra une expertise fiscale capable de s’adapter à un parcours professionnel international. Le sportif ne pourra pas rester 50 % de son temps dans son lieu de résidence avec l’Open d’Australie, Roland-Garros et l’US Open. Il conviendra donc de gérer les Prize Money australiens, français ou américains…
Une maîtrise des risques
Au niveau interruption de carrière, les blessures qui peuvent toucher tout sportif lors des entraînements et/ou des matchs peuvent parfois avoir une issue exceptionnelle. Ainsi, le coureur cycliste luxembourgeois Bob Jungels, très discret pendant deux ans en raison d’une endofibrose iliaque nécessitant une opération, est revenu en force, au printemps 2022, pour finir 6e du Tour de Suisse et s’imposer en solitaire face à Thibaut Pinot en gagnant l’échappée XXL lors de la 9e étape qui reliait Aigle à Châtel du Tour de France 2022.
Une question de paramètres temporels et financiers
Une question de durée
Au niveau de l’aléa temps, la durée plus ou moins courte de carrière est primordiale à prendre en compte. En début de carrière, le joueur a naturellement tendance à dépenser beaucoup : belles voitures de luxe, générosité envers l’entourage… Or une grande différence subsiste entre les entrepreneurs familiaux, les collectionneurs d’art et les familles fortunées : la carrière forcément courte du sportif de haut niveau.
Il est fort possible que les émoluments, revenus et contrats publicitaires cessent d’une année à l’autre. Il est donc davantage pressé de se constituer un actif suffisant pour (sur)vivre sur le long terme.
La carrière d’un joueur professionnel au football dure habituellement de dix à douze ans. Sa situation financière peut vite devenir précaire lorsque sa carrière prend fin, volontairement ou non. Il est courant pour un joueur professionnel de ne pas savoir gérer sa fortune, il a donc besoin d’être accompagné.
Une gestion des risques
Gérer le patrimoine d’un joueur, c’est avant tout assurer la base : prévoir les risques, sensibiliser les joueurs sur les prévoyances… Quand il signe son contrat avec un club, il doit penser à souscrire également un contrat de prévoyance qui va couvrir les risques si des blessures adviennent et perdurent sur plusieurs mois.
Le joueur professionnel doit pouvoir avoir des capitaux disponibles en revenus complémentaires, diversifier son patrimoine pour se projeter dans le futur. Envisager le long terme est une nécessité afin de pouvoir assurer les dépenses courantes et celles de ses proches.
Epargne et fortune sur le long terme
Il faut avoir une approche de type family office à 360 degrés des besoins du sportif, d’où l’intérêt de la gestion de patrimoine sur mesure.
Le travail à établir sera celui d’un orfèvre spécialisé dans le patrimoine, puisqu’il faut connaître la situation civile, sociale et fiscale du sportif professionnel afin de l’assister dans toutes ses démarches administratives, déclarations fiscales et sociales pour couvrir et optimiser tous les aspects de sa vie professionnelle et familiale, ses projets d’investissements, ainsi que la préparation de sa retraite.
La solution : inculquer au sportif l’apprentissage d’une véritable base de connaissances de la gestion financière, faire de ce professionnel un entrepreneur en devenir. L’idée est de sécuriser l’ensemble du patrimoine de ces élites sportives, travailler avec elles sur la capacité d’épargne ou d’investissement, leur donner toutes les bases pour qu’elles puissent, une fois leur carrière terminée, mener une existence paisible sans soucis financiers et réussir leur reconversion. Et pourquoi pas en devenant un véritable entrepreneur, à l’image du coureur cycliste luxembourgeois Andy Schleck, vainqueur du Tour de France 2010, qui a entamé une nouvelle carrière en ouvrant un magasin entièrement dédié aux vélos, à Itzig, au Luxembourg.
60 % des professionnels qui sont retraités sportifs n’ont pas anticipé leur seconde vie, leur avenir financier et professionnel. L’enjeu est donc la préparation à la reconversion professionnelle, la retraite, établir un audit de leurs compétences, la préoccupation majeure étant toujours liée à la durée de vie limitée de leur carrière sportive initiale.
L’intérêt est plural : intervenir sur l’épargne, les placements financiers, les investissements immobiliers, l’optimisation fiscale du sportif… Car celui-ci doit avoir une vision maximale sur un horizon à vingt années. Ce qu’il n’a pas lors de ses premières fiches de salaires, notamment avec des revenus dignes de ce nom. L’idée est donc de les sécuriser au maximum pour qu’ils puissent, une fois la carrière terminée, éviter… la décadence.
Vos réactions