Faut-il craindre un alourdissement de la fiscalité patrimoniale ?
Par Stéphane Jacquin, associé-gérant, responsable de l’ingénierie patrimoniale de Lazard Frères Gestion
L’actualité des derniers mois a été marquée par le grand débat national voulu par le président de la République pour tenter de sortir de la crise dite des « gilets jaunes ». Ce grand débat a été organisé par l’exécutif autour de 4 thèmes : la transition écologique ; la fiscalité et les dépenses publiques ; la démocratie et la citoyenneté ; l’organisation de l’Etat et des services publics.
Le thème de la fiscalité a remporté un grand succès et a été l’occasion de l’expression d’un ras-le-bol fiscal, d’une « exaspération fiscale » selon les mots du Premier Ministre pour qui le pays a atteint une « tolérance fiscale zéro ».
Ce ras-le-bol fiscal apparaît justifié à la lecture des publications de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). En effet, avec un ratio recettes fiscales sur Produit Intérieur Brut (PIB) de 46,2% en 2017, la France est, parmi les 36 pays membres de l’OCDE, le pays qui a le ratio le plus élevé. Au surplus, notre pays se situe très au-dessus du ratio moyen des pays membres qui était de 34,2% en 2017.
Pour autant, au cours du grand débat, certaines voix ont proposé l’alourdissement de la fiscalité du patrimoine (rétablissement de l’impôt sur la fortune, augmentation des droits de succession…). Dès lors, faut-il craindre un alourdissement de la fiscalité patrimoniale ?
Ces revendications pourraient avoir une certaine logique si la France, tout en ayant un niveau de pression fiscale globale élevé, taxait peu le patrimoine. Les statistiques de l’OCDE montrent que ce n’est pas le cas. En effet, la France est également en tête du classement des 36 pays membres de l’organisation pour le ratio impôts sur le patrimoine sur PIB. Ce ratio s’établissait à 4,4% en 2017.
Précisons que la transformation de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) ne fera pas perdre à la France sa première place dans ce classement de l’OCDE.
En effet, les recettes de l’ISF se sont élevées, en 2017, à 5 Milliards d’euros, soit 0,2% du PIB, selon les chiffres de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP) repris par l’OCDE dans son classement. Sans l’ISF mais avec l’IFI, le ratio impôts sur le patrimoine sur PIB de la France aurait donc été supérieur à 4,2%.
A cet égard, la perte de recettes fiscales liée à la transformation de l’ISF en IFI avait été estimée à 4 Milliards d’euros. Cette perte a très probablement été surestimée à l’époque puisque les recettes attendues de l’IFI en 2019 sont, selon la loi de finances, de 1.5Milliards d’euros. Néanmoins, même avec des recettes de l’impôt sur la fortune de 1 Milliard au lieu de 5 Milliards, la France aurait eu en 2017 un ratio d’impôts sur le patrimoine ramené au PIB supérieur à 4,2% et serait restée championne de cette catégorie dans le classement de l’OCDE.
Il apparaît donc logique que l’exécutif ne semble pas vouloir suivre ceux qui réclament un rétablissement de l’impôt sur la fortune ou une augmentation des droits de succession.
Ajoutons que l’augmentation des impôts sur le patrimoine n’offrirait pas véritablement de marge de manoeuvre budgétaire compte tenu de leur part limitée dans les recettes fiscales totales.
Au surplus, une augmentation des impôts sur le patrimoine pourrait, en terme budgétaire, s’avérer contreproductive. Pour s’en convaincre, rappelons-nous quelles furent les conséquences de l’augmentation de la taxation des revenus financiers et des plus-values financières adoptées dans la loi de finances pour 2013.
Souvenons-nous en effet que le principe d’une imposition forfaitaire des revenus financiers et des plus-values financières fût abandonné, à compter du 1er janvier 2013, puisque la loi de finances pour 2013 supprima le prélèvement forfaitaire sur les dividendes et intérêts et l’imposition forfaitaire des plus-values mobilières pour soumettre ces revenus au barème progressif de l’impôt sur le revenu.
L’un des objectifs de cette réforme était d’obtenir des recettes fiscales supplémentaires. Cet objectif ne fût pas totalement atteint de l’aveu même de Christian ECKERT, Secrétaire d’Etat chargé du budget entre 2014 et 2017, qui déclara au Sénat le 11 décembre 2014 « nous anticipons une importante moins-value sur les revenus de capitaux mobiliers, qui ont fortement chuté en 2013, ainsi que sur les plus-values mobilières (…). Le moindre dynamisme de ces revenus a fortement limité la croissance de l’impôt ».
En effet, les contribuables adaptèrent leur comportement en évitant, par exemple, d’encaisser des dividendes. Ainsi, selon les chiffres de la DGFIP, le montant total de dividendes déclaré à l’impôt sur le revenu par l’ensemble des contribuables était en baisse de plus de 1 milliard d’euros en 2013 par rapport à 2012.
La réforme mise en œuvre en 2013 constitua donc une illustration des formules « trop d’impôt tue l’impôt » ou « les hauts taux tuent les totaux » résumant les résultats des travaux de l’économiste Arthur LAFFER qui montrent qu’au-delà d’un certain seuil de prélèvement fiscal toute nouvelle augmentation des taux entraîne une baisse des recettes fiscales.
Au total, gageons qu’il n’y aura pas de retour en arrière sur les allègements de la fiscalité patrimoniale entrés en vigueur à compter du 1er janvier 2018 qu’il s’agisse de la limitation de l’impôt sur la fortune aux seuls actifs immobiliers ou du rétablissement d’une imposition forfaitaire sur les revenus financiers et les plus-values financières (flat-tax de 30%). De même, un alourdissement de la fiscalité des transmissions apparaît peu probable.
Vos réactions