Assurance-vie : laisser de la souplesse aux bénéficiaires ?
Par Jean-François Lucq, directeur de l’ingénierie patrimoniale de Banque Richelieu
Entre la souscription d’un contrat et son dénouement, la situation patrimoniale du souscripteur évolue, tout comme celle du bénéficiaire. Il peut également être intéressant de lui ouvrir des possibilités d’acceptation différentes afin d’optimiser sa stratégie patrimoniale.
Au moment où il remplit la clause bénéficiaire, le souscripteur d’un contrat a le plus souvent une idée claire sur les personnes ayant vocation à recueillir les capitaux et sur la répartition à effectuer entre elles. Mais si on se projette dans une perspective de moyen/long terme, il est souvent dans l’inconnu, quant à la situation qui sera celle des bénéficiaires lors du dénouement du contrat. La situation matrimoniale peut avoir évolué (le ménage a pu se recomposer, avec des enfants de lits différents) tout comme les moyens financiers des bénéficiaires.
S’il intègre ces perspectives, il est évident que le souscripteur sera le plus souvent désireux de laisser un maximum de souplesse dans l’utilisation qui pourra être faite des capitaux d’assurance-vie.
L’idée que certains bénéficiaires pourront ne prendre qu’une fraction des capitaux qui doivent leur être alloués, pour laisser le reliquat descendre au profit de bénéficiaires de second rang permet de répondre à une partie de ces préoccupations, mais sa mise en application nécessite quelques précautions.
Problématique fiscale
Si on prend l’exemple de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie le plus souvent proposée par la compagnie d’assurances (« mon conjoint, à défaut mes enfants, à défaut mes héritiers »), on constate qu’une clause à options se heurte à un problème d’ordre fiscal.
En effet, en assurance-vie comme dans le droit commun d’une succession, le bénéficiaire n’a, le plus souvent, que le choix entre accepter le bénéfice du contrat ou y renoncer.
Concernant l’assurance-vie, s’il souhaite ne bénéficier que d’une fraction des capitaux auxquels la désignation bénéficiaire lui donne droit, l’administration fiscale considérera que le montant des capitaux recueillis de ce fait par les bénéficiaires de second rang constitue une libéralité du premier bénéficiaire, taxable comme telle aux droits de donation, et ne relevant pas du régime de faveur de l’assurance-vie.
Quelques pistes de réflexion
Une solution possible consiste, pour le souscripteur, à disposer de plusieurs contrats, dont les clauses bénéficiaires seraient identiques. En choisissant, le jour venu, de n’accepter le bénéfice que d’une partie de ceux-ci, le bénéficiaire de premier rang réalisera de facto une acceptation partielle. Une autre possibilité consiste à nommer deux bénéficiaires du premier rang : une personne physique, et une société civile de famille dont cette personne physique serait l’associée. Ainsi, rien ne lui interdirait d’accepter le bénéfice à titre personnel, tout en renonçant au bénéfice en tant que mandataire social de la structure translucide (ou l’inverse). La structure devra naturellement préexister au jour du dénouement du contrat. Une autre piste de réflexion consiste à désigner comme bénéficiaire « mes héritiers », et que parmi ceux-ci se trouve le conjoint.
En effet, lorsque celui-ci bénéficie d’une donation au dernier vivant, il peut exercer une faculté de cantonnement sur les actifs de la succession, lui permettant de renoncer à une fraction des biens auxquels il a droit, sans que la transmission aux autres héritiers soit considérée comme une donation du conjoint survivant aux descendants. Toutefois, il s’agit là d’un mécanisme de droit civil, couvrant les actifs de droit commun de la succession. Or, l’assurance-vie relève d’un régime distinct. Les compagnies d’assurance sont souvent perplexes sur le sort à donner aux capitaux dans ce cas, et ce choix ne semble pas le plus judicieux. Attention ! Ne désigner aucun bénéficiaire du contrat, ce qui a pour conséquence d’attribuer les capitaux aux héritiers, n’a pas du tout les mêmes conséquences au plan fiscal. En effet, les capitaux sont alors considérés comme un actif de droit commun, soumis aux droits de succession.
Enfin, une voie plus originale consiste à désigner comme bénéficiaire de premier rang et de second rang la même personne, mais dans des quotités différentes. On peut ainsi concevoir une désignation comme bénéficiaire de premier rang pour l’intégralité des capitaux, et comme bénéficiaire de second rang pour une fraction seulement de ceux-ci (par exemple la moitié), ou encore comme bénéficiaire en usufruit. Le jour venu, cette personne peut ainsi renoncer aux capitaux en tant que bénéficiaire de premier rang, sans se priver pour autant de tout droit en tant que bénéficiaire de second rang. Une telle stratégie permet ainsi de laisser une marge de manœuvre fort précieuse au bénéficiaire au jour du dénouement. En fonction de sa situation financière, ainsi que de celle de ses descendants, il pourra opter pour l’un ou l’autre choix. Sur le plan fiscal, la question du régime applicable à la renonciation du bénéficiaire de premier rang a été clarifiée par la réponse ministérielle Malhuret. Celle-ci précise que la renonciation du bénéficiaire de premier rang n’est pas constitutive d’une libéralité au profit des bénéficiaires de second rang. A défaut d’une rédaction initiale intégrant tous ces paramètres, les clauses bénéficiaires ont vocation à être revues à intervalles réguliers, en liaison avec l’intermédiaire habituel du souscripteur.
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